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[Interview] Sam’s : « Faire un album, c’est faire une thérapie »

Après plusieurs projets intermédiaires (les EP Gestelife, Revolution et Que Dieu Me Pardonne, la mixtape Je Suis Petit), le prolifique Sam’s était de retour dans les bacs le 23 octobre dernier avec son premier album Dieu est grand. Une première galette solo aboutie et saluée par la critique, sur laquelle celui qui a grandi dans l’ombre de Youssoupha se raconte, de sa carrière de footballeur avortée à son accident de voiture dans lequel il a failli perdre la vie. Pression du premier album, illuminatis, sa rencontre avec Youssoupha : découvrez notre interview de Sam’s. 

Le Rap en France : À en croire plusieurs vidéos publiées sur ton Facebook, tu as mis beaucoup de temps à trouver la cover de ton premier album Dieu est grand. Est-ce que tu peux expliquer ce qu’il s’est passé ?
Sam’s : Au départ, j’avais une autre cover. Mais avec mon graphiste, après avoir réécouté l’album, on s’est dit que cette pochette ne reflétait pas toutes les subtilités qu’il pouvait y avoir dessus. Du coup, au moment où on nous a demandé la pochette, on a dit qu’on ne l’avait pas encore. Et c’est à ce moment-là que Youss’ m’a envoyé le message que j’ai mis sur Facebook.

Donc au départ, c’est vraiment spontané ? Les gens ont pu penser que c’était un coup marketing.
C’est vraiment spontané. J’ai reçu ça, je l’ai posté parce que c’était marrant, mais je ne pensais pas que ça allait être autant relayé. Après on a donc fait d’autre vidéos suite à ça, mais au départ c’est vraiment spontané.

C’était pareil pour les précédents projets ou c’était spécifique à celui-ci ?
Non, juste sur celui-là. Comme c’est mon premier album, je voulais vraiment que ça représente du mieux possible ce qu’il y a dedans. Je suis rentré à Bordeaux chez mes parents, et j’y ai retrouvé plein de photos. Et je me suis dit que comme dans mon album, je raconte ma vie… On y voit plein de photos de quand j’étais petit, la voiture avec laquelle j’ai eu un accident, des contrats de foot etc. Comme c’est mon premier album, je voulais vraiment que ce soit quelque chose qui reste.

C’est ton premier album mais pourtant ça fait longtemps que t’es dans le rap. Tu n’es pas le seul, Dosseh a par exemple déjà au moins 10 ans de carrière, et il n’a toujours pas sorti d’album. Comment tu expliques ça ? Vous vous mettez trop la pression ?
Non ce n’est pas qu’on se met la pression, mais en fait, je suis passé par plein de projets. Je suis aussi comédien, j’ai fait plein de trucs entre-temps. Mais là, je sentais que toutes les conditions étaient réunies pour sortir mon album dans les meilleures conditions.

Pour revenir un peu sur la cover, il y a donc tes photos, mais aussi un triangle inversé.
Je pars du principe que chaque personne est une élite à part entière. Et le but est que chacun tende à apporter à une masse pour s’élever.

Donc en fait, t’es un rappeur de gauche.
(Rires) Ah non pas de gauche… Enfin je ne sais pas. Moi tu sais la politique… On va dire que je suis un rappeur utopique sur certains points.

Ce triangle, sur Genius, tu as expliqué que c’était celui des illumatis. Souvent, quand on lit les commentaires en-dessous des clips, on voit souvent des mecs sortir des théories selon lesquelles tel ou tel rappeur serait un illuminati. Toi aussi t’as été victime de ça ?
Si tu regardes le clip de Je bloque, en-dessous, il y a tout un débat. À un moment, je sors la phase « on ne refait pas le monde autour d’une table assis, à moins de s’appeler Bush, Rockfeller ou Onassis ». Et ceux qui ont fait le clip, ils se sont dit qu’ils allaient mettre un triangle pour faire comprendre que je fais une petite allusion aux illuminatis. Et les mecs qui ont commenté ils ont trouvé des trucs…

T’as mis beaucoup de temps à trouver ta cover, mais par contre tu as eu beaucoup moins de mal à trouver l’inspiration pour écrire : depuis la fin d’année dernière, tu en es déjà à deux projets, et l’album va être le troisième. À ce rythme-là, tu vas détrôner Jul au titre de rappeur le plus productif de France…
(Rires) Et encore, pour l’album, j’avais au moins 140 morceaux. Mais en fait, quand j’ai commencé à bosser l’album, je me suis dit que j’allais faire plein de morceaux. Parce que quand tu ne sors pas d’album, tu as une frustration. Ensuite, j’étais avec Cehashi qui m’a fait découvrir plein de trucs, et du coup j’ai trouvé une nouvelle phase créative.

Ça se ressent beaucoup à l’écoute de l’album, c’est assez différent de ce que t’as pu faire avant.
Je me suis dit que pour ceux qui me suivent, ça serait bien de voir l’évolution du personnage au niveau de la musicalité et de l’état d’esprit.

C’est quoi ton processus créatif maintenant ? Tu écris sur les instrus que tu reçois ou tu as déjà des textes de côté ?
Je réfléchis beaucoup et Je dors très peu. Je suis un peu hyperactif, je suis toujours en train de faire des trucs. Moi je n’aime pas trop le fait de recevoir des instrus et d’écrire dessus. Des fois je reçois des instrus, j’en garde que la boucle par exemple. Ça me donne des brides d’idées et je construis par rapport à ça.

Tu mets donc du temps à obtenir le morceau final. 
Oui mais ça peut aussi être hyper rapide. Par exemple, pour le morceau Putes, DJ Fresh m’a envoyé une prod’. Je l’ai écouté, et le soir-même, je lui ai envoyé le morceau.

Ça dépend de ton inspiration du moment.
Exactement. Ce qui est marrant avec le morceau Putes, c’est que j’avais déjà le concept du refrain dans ma tête. En fait, c’est aléatoire. Le seul morceau que j’ai vraiment mis du temps à faire, c’est F.F.F : Cehashi me demande si j’ai envie de faire un morceau sur le foot et je lui réponds que je le sens moyen. Comme je disais tout à l’heure, il y a des périodes où tu es frustré, il y a des sujets tabous dont tu ne veux pas parler, c’est enfoui au fond de toi. Il m’a fait écouter la prod. Je savais ce que je voulais dire mais je ne voulais pas l’écrire. Je me sentais bizarre. Et quand j’étais au Luxembourg, quand je me suis mis sur le morceau, je l’ai écrit d’un trait, je l’ai posé en one shot.

C’est un peu une thérapie de faire un album en fait.
C’est ça, faire un album c’est faire une thérapie. Encore plus pour ce morceau : quand je l’ai posé, j’étais mal à l’aise. Et quand je l’ai sorti, on aurait dit que j’étais libéré d’un poids. C’est hyper bizarre.

C’est comme si tu étais passé chez le psy et que tu avais tout déballé.
Ouais, voilà. J’ai crevé un abcès et c’est sorti tout seul. C’est ça aussi qui est marrant avec le rap, c’est que tu apprends à te connaître. Quand tu fais des morceaux qui te demandent de puiser dans tes souvenirs, tu fais une auto-analyse. C’est comme si tu te mettais en face de toi et que tu te répondais. Et en fonction de ce que tu te réponds, tu as une analyse par rapport à ça. Et du coup, quand tu fais un morceau, tu apprends à te connaître. C’est une bonne thérapie. (Rires)

L’album s’appelle Dieu est grand. La religion a tellement une grande place dans ta vie que tu voulais en faire le titre de ton premier album ?
Pas forcément. En fait, je t’explique : la religion, pour moi, elle a une grande place dans ma vie. Mais c’est surtout par rapport à des choses qui se sont passées, des événements qui se sont déroulés.

Comme par exemple l’accident de voiture que tu as subi.
L’accident, mon rapport au foot, à la vie… C’est pour ça que l’EP s’appelle Je suis petit, et l’album Dieu est grand. Comme je l’explique dans l’intro, j’aimerais me débattre mais je suis petit. Au bout d’un moment tu te rends compte que, oui on est maître de notre vie, mais il y a des choses qui arrivent et on est complètement dépassés. On ne sait pas, on ne comprend pas. Et que ce soit dans le bien comme dans le mal. J’ai eu un accident, c’est la vie.

Ce sont des choses que tu ne peux pas maîtriser.
Exactement. Même le fait d’être resté en vie, je ne peux pas le maîtriser. Je n’ai pas créé un chakra qui fait que je suis protégé ou quoi que ce soit. Tu prends du recul et tu te dis qu’en fait, on est rien. Après, concernant la religion, dans l’album, je ne suis pas là en train de faire des rappels aux gens ou quoi que ce soit. Je parle par rapport à moi et ce que je pense de ça.

Est-ce que tu peux raconter comment t’as rencontré Youssoupha ?
C’est une question qu’on me pose tout le temps. (Rires) En fait à l’époque, j’avais fait un concert à Bordeaux pour la première partie de l’Indépendance Tour. Quelqu’un avait filmé ma première partie, et la vidéo a atterri dans les mains de Philo de Bomayé Musik. Il est venu sur Bordeaux pour me voir, il me dit qu’il aime bien ce que je fais et qu’il s’occupe d’un rappeur qui s’appelle Youssoupha. C’était à l’époque d’Eternel Recommencement. J’avais laissé une démo et elle a atterri dans les mains de Tefa, qui s’occupait d’Hostile 2006 à l’époque. Il avait kiffé et m’a fait participer à la compilation. C’était le premier contact avec Bomayé et Youssoupha.

Et maintenant, Youssoupha est ton producteur.
C’est ça. On a fait nos albums en même temps au Luxembourg. C’était bien d’ailleurs puisque du coup, dans le processus créatif, quand t’es avec quelqu’un, tu te sublimes.

Il y avait un peu une compétition entre vous deux.
C’était une compétition mais saine et positive. On peut aussi se donner des conseils sur des morceaux. Parce que parfois, quand tu as la tête dans le guidon, tu n’as pas de recul sur ce que tu fais.

C’est qui les beatmakers de ton album ?
Cehashi pour la majeur partie, il y a Ogee Handz et Dik-c, DJ Stresh, Thundabolt et Jewelerz.

Il y a donc pas mal de beatmakers différents. Pourtant, on ressent une certaine osmose musicale tout au long de l’album.
Moi, je marche au feeling. J’ai reçu des productions et je suis allé chez des beatmakers plus ou moins connus. Il y en a certaines qui étaient énormes mais je les ai refusées parce qu’elles ne rentraient pas dans la cohérence de l’album, on avait l’impression de les avoir déjà entendues.

Alors que toi, tu voulais vraiment quelque chose d’unique.
Exactement. Quand j’étais au Luxembourg, avec Cehashi, on a passé trois jours durant lesquelles on n’a fait aucun son, on a fait que parler. Et si on n’avait jamais eu cette discussion, cet album ne serait jamais sorti. On a parlé de tout et de rien. Du coup, ça lui a permis de voir mon état d’esprit. Et moi, ça m’a permis de comprendre comment il fonctionnait. Mais que ce soit lui ou les beatmakers qui ont travaillé avec moi, ils ont un point commun : ils veulent créer de la musique avec l’artiste. La prod’ de départ, ce n’est jamais la même à la fin. On travaille les morceaux ensemble. C’est comme un film. À la fin, il y a toujours un générique. Et plus il y a de monde, plus le film est grandiose.

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