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[Interview] Sean : « La musique c’est éterniser des souvenirs, de la nostalgie, de l’amour »

Parmi des milliers de rappeurs que comporte la scène francophone, rares sont ceux qui savent faire la différence. Du haut de ses  21 ans, Sean fait pourtant partie de ces jeunes artistes au sens musical déjà bien aiguisé. Après un premier EP bien accueilli par le public, Sean revient pour présenter un projet en deux parties, à moitié loup. Entre mélancolie, mélodies solaires et nostalgie profonde, discussion avec l’un des espoirs les plus prometteurs du rap français. 

Salut Sean, très heureux de t’accueillir sur le Rap en France 

Salut Tim, c’est un plaisir.

Est-ce que tu peux te présenter pour ceux qui ne te connaîtraient pas ? 

Ouais, carrément. Moi c’est Sean, je suis un jeune rappeur du 20ème arrondissement de Paris, qui a depuis peu déménagé sur Montreuil. J’ai sorti un premier EP qui s’appelait Mercutio l’année dernière. Un 5 titres, c’était vraiment un petit EP concept qu’on avait sous la main depuis assez longtemps, on a voulu se donner pour y arriver. Et aujourd’hui on revient avec une mixtape qui s’appelle à moitié loup, en deux parties, et là c’est plus palette de ce que je sais faire, et que je fais depuis 2, 3 ans maintenant. Le but c’est de montrer un peu tous les styles que je fais, pour après développer des choses plus conceptualisées.

Pourquoi avoir fait le choix de sortir le projet en deux parties, et à deux semaines d’intervalle ? 

Là ça rentrait vraiment dans la cohérence du projet, l’idée c’était de lire le projet en deux parties. Une première fois ou tu te prends les 6 premiers sons, avec un Sean assez humain, toujours mélancolique mais avec une part d’espoir assez importante. Et deux semaines plus tard, une fois que t’as eu le temps de bien écouter la première partie, on sort la deuxième. Parce que tu sais, maintenant les gens écoutent de la musique d’une façon différente, beaucoup plus rapidement. Et au bout de deux semaines, de se reprendre le projet pour le finir je trouve que ça faisait une bonne piqûre de rappel. Je sais que moi, en tant qu’auditeur j’aurai aussi pu être touché par ça. Niro l’avait fait avec OX7M8RE par exemple, avec la première partie OX7, suivi de M8RE. J’avais grave kiffé. Même en terme de ventes, tout est bien dans cette stratégie. Même si c’était pas du tout pour le marketing de base.

Ça fait depuis plus de 10 ans que tu fais du son, et c’est marrant parce que j’ai fouillé un peu internet pour tomber sur des morceaux plus anciens, et je n’ai rien trouvé avant souvenirs, sorti il y a deux ans. 

Ouais, on a supprimé les morceaux sortis avant.

Et pourquoi avoir choisi ce morceau alors, c’est là où tu as commencé à construire ton identité musicale ? 

Oui, c’était vraiment un choix de commencer par souvenirs. Un titre ou j’avais pas encore signé, on voulait juste sortir un premier truc en mode « c’est nous, c’est ce qu’on fait ». On est restés un peu dans la même lignée en supprimant ce qu’on avait fait avant, pour créer une vraie identité musicale comme tu dis. Et cette identité on essaye de la développer, mais on n’en est qu’au début. Pour l’instant j’en suis à 5% de mes capacités, j’ai rien donné encore, j’ai plein de matière.

Justement, dans la première partie de à moitié loup, j’ai l’impression que tu nous montres une certaine confiance en l’avenir. Dans le sens ou on a l’impression que tu sais où tu vas, ce que tu as déjà offert et ce que tu veux montrer pour la suite. 

Grave. C’est pour ça que dans cette première partie, je suis focus sur mon avenir, vraiment. Je pense que je parais serein face au futur, face à ce qu’on est en train de construire.

C’est quoi ton rêve pour l’avenir ? 

Mon rêve c’est le bonheur, c’est d’être heureux d’abord. Après je me suis fixé des objectifs, donc pour l’instant c’est la musique. J’ai plein d’autres objectifs, plein de rêves. Des voyages, d’argent, d’amour, des rencontres. De vie. J’ai plein de rêves et c’est ça qui me motive. Si j’avais pas la musique, j’espère que j’aurai d’autres rêves et d’autres ambitions qui me feraient vibrer.

La musique c’est ton moteur ? 

Ouais, c’est le principal. C’est ce qui me fait me lever le matin, c’est à quoi je pense quand je m’endors, c’est une grosse grosse partie de ma vie. Mais je pense que c’est une phase. Enfin, je ne sais pas. En tout cas, de tout ce que j’ai vécu c’est ce qui a pris le plus de place dans ma vie.

 » Je me suis fixé beaucoup d’objectifs, et pour l’instant c’est la musique. J’ai plein de rêves et c’est ça qui me motive »

Au fil du temps je trouve que t’as accordé beaucoup d’importance à tes mélodies, elles sont de plus en plus efficaces, et ça se voit pas mal sur le titre hiver avec Azuul Smith par exemple. Comment tu travailles ces mélodies ? 

Je vais essayer d’aller chercher la spontanéité. Quand je fais des morceaux comme ça, c’est souvent des sons que ne n’écris pas en amont. Je suis en studio, j’écoute la prod, je me mets devant le casque, et des mélodies que je trouve y’a souvent des mots qui ressortent. Pour hiver par exemple, Savero m’avait envoyé la prod, je me suis mis devant mon micro et j’ai fait la topline du refrain. Et là, direct, j’ai trouvé la line « en bas il caille sa mère ». Et c’est à partir de ça qu’on a développé l’idée de l’hiver, des « doigts gelés par le froid ». Après j’ai envoyé mon mémo directement à Azuul, je lui ai envoyé la prod et il a écrit directement son couplet. Le truc marrant, c’est qu’il l’a écrit dans le froid, quand il était dehors. *rires* C’est pour ça que la première phrase, c’est « les doigts gelés par le froid, en bas il caille sa mère, j’arrive même plus à rouler ». C’est ultra imagé, j’aime trop. Et après on est allé l’enregistrer chez Yann Dakta et Rednos, c’était lourd de fou, on a trouvé d’autres mélos pour les couplets. Entre mon couplet et celui d’Azuul, les mélodies sont grave différentes et je trouve ça grave cool. Pareil pour le refrain, on est arrivés à un résultat que j’aime trop.

C’est drôle que vous ayez eu l’idée de la thématique de l’hiver et du froid, alors que la prod est très solaire, très dansante. 

Carrément, c’est un truc de ouf. Dès que je l’ai entendue, j’ai eu les lyrics qui me sont venues. On a voulu pousser le contraste encore plus en allant clipper en Colombie, juste avant le confinement. C’était un truc de fou.

En écoutant ta musique, j’ai l’impression que t’accordes une place ultra importante aux mixage, au traitement de voix, aux effets. Est-ce que c’est une part de ta musique que tu veux mettre en avant ? 

En fait, quand j’ai des idées en tête, j’essaie juste de les reproduire à la perfection, et généralement, ça passe par l’utilisation de certains effets. C’est vraiment pour essayer de reproduire ce que j’avais en tête de base. J’ai passé des moments à vouloir expliquer des effets, des traitements à notre ingé son. Tu vois par exemple, la reverb inversée, c’est un truc que j’avais écouté sur un morceau de Trippie Red. J’avais trouvé ça trop frais. Et j’ai mis 5 heures à expliquer à mon gars, en lui expliquant etc. Bon j’ai fini par lui faire écouter le son, et maintenant c’est un truc qu’on utilise souvent. Mais oui de base, c’est juste un truc que j’avais en tête et que j’avais essayé de reproduire dans notre musique.

Justement, le mixage contribue à créer les ambiances particulières de tes morceaux, souvent mélancoliques et parfois solaires. C’est aussi en studio que vous créez ces ambiances ? 

Oui, c’est presque toujours en studio. C’est là que tout se concrétise, avoir rien qu’une reverb sur la voix ça change tout par exemple. Tu fermes les yeux, tu chantes avec la reverb, et là ça sort tout seul. L’ambiance se construit d’elle-même.

Ces ambiances tu les utilises aussi pour transmettre des sentiments, des ressentis. La musique c’est un vecteur pour partager tes émotions ? 

Je pense que la musique c’est fait pour ça, pour transmettre des émotions. Que ce soit pour transmettre celle de l’artiste ou pour simuler celles de l’auditeur. Ce qui est intéressant c’est que ça peut aller d’un extrême à l’autre : tu peux danser et te sentir bien comme pleurer et être dans le mal.

Pour toi, un morceau c’est le moyen de matérialiser une émotion ? 

Grave. C’est vraiment ça, matérialiser des souvenirs, de la nostalgie, de l’amour. Tu peux éterniser des moments, des choses qui ne sont pas forcément palpables. Je trouve ça vraiment beau.

L’écriture joue aussi un rôle important dans ta musique, c’était ton objectif de transmettre des émotions quand tu as commencé à écrire ? 

Quand j’ai commencé à écrire, c’était directement pour faire des chansons, pour faire du rap. Très vite c’est devenu un moyen, une envie de raconter des histoires, de se mettre dans la peau de personnages. C’est pour ça qu’on avait fait Mercutio, c’était vraiment une phase ou je racontais des histoires différentes de celles que j’avais l’habitude de raconter. C’est comme se glisser dans la peau de personnages, je peux être très égotrip comme parler de meuf assez directement. Écrire c’est jamais la même chose, à chaque fois t’abordes des thèmes différents, ça donne des émotions nouvelles.

Dans un de ses morceaux, Swish, Laylow dit « premier son ça m’a fait tout drôle, comme de découvrir un pouvoir ». Est-ce que le fait d’écrire et de faire de la musique ça te donne cette sensation-là, comme si tu avais développé une nouvelle capacité ? 

Ouais, clairement, je suis grave d’accord avec ça. C’est clairement un pouvoir, que je travaille tous les jours, que j’essaye de magnifier pour pouvoir aller encore plus loin. Nos skills s’améliorent, et ça nous permet de tester de nouvelles choses, et d’élargir notre musique. Le but c’est de devenir le plus fort mon reuf. *rires*

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Et en fait, tout ce dont on vient de discuter j’ai l’impression que ça contribue à générer des images dans ta musique. Dans le sens ou les émotions, l’utilisation du mixage, les ambiances que tu crées : le tout forme un produit très cinématographique, très imagé.  

Oui, y’a de ça. Ce côté cinématographique est très présent surtout à travers les clips, on les a beaucoup travaillé parce qu’on considère qu’ils font 50% du morceau, quand il y en a un. On accorde beaucoup d’importance à ça, à l’image, et au visuel qu’on va dégager. L’image peut faire passer d’autres messages aussi, un clip peut faire changer le message d’une chanson.

Tu as présenté le visuel du morceau à moitié loup, réalisé par Lokmane, et il donne vraiment une couleur particulière au morceau, comme s’il accentuait encore plus son côté nocturne. Raconte-nous comment vous travaillez avec les réalisateurs, et comment vous en arrivez à un produit fini comme ça. 

Là avec Lokmane c’est la première fois qu’on se laisse vraiment guider par un réalisateur. Je l’ai rencontré parce que c’était un gars avec qui je voulais taffer. Je l’ai contacté il y a longtemps, et l’année dernière et il est revenu vers moi avant qu’on se rencontre finalement il y a deux-trois mois. Donc on a discuté autour du projet, c’est à dire clipper le titre éponyme de l’album. Je lui ai expliqué tout le concept, et il m’a fait une première proposition. Je l’ai vue, j’ai rien dit. C’était incroyable. On a trouvé des fonds de ouf avec Stink Rising, une grosse boite de prod qui nous as bien soutenu sur ce clip. Pour Lokmane, je pense qu’il faut travailler comme ça avec lui. Généralement je suis très attaché à conception du clip, l’avant tournage, l’après tournage, la post-production. Mais là, je sais pas comment te dire, je l’ai suivi et c’était vraiment un plaisir de travailler avec lui. Là aujourd’hui, quand je regarde notre clip, je suis émerveillé, alors que je l’ai vu mille fois.

C’est marrant parce que depuis début de l’interview tu dis toujours « on » pour parler de toi. Tu peux nous expliquer quel rôle joue ton entourage dans ta musique, et dans ta vie ? 

Je roule avec les mêmes gars depuis toujours, c’est ça qui est lourd. Je pense qu’un artiste aujourd’hui, s’il veut une carrière pérenne, il lui faut une équipe solide. Je pense que ça fait 70% du travail. Un artiste il a beau être talentueux, il lui faut une équipe derrière, des épaules sur lesquelles s’appuyer. De mon côté je roule avec mon équipe, et je peux compter sur eux. Entre mes gars, mon équipe professionnelle, les artistes desquels je suis proche, les studios, mon ingé son, et mon manager avec qui je roule depuis le début.

« a moitié loup », le second projet de Sean est désormais disponible sur toutes les plateformes d’écoute et de téléchargement. Si vous avez aimé l’interview, n’hésitez pas à nous suivre sur les réseaux et à vous y abonner pour plus de contenu !

À proposTim Levaché

Chaque jour mes tympans avalent des kilos de lyrics et de tapes pour le bien de mon cerveau.

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