Rappeur, beatmaker, ingénieur son : Sheldon est un artiste aux multiples facettes. Membre éminent du collectif 75ème session, il apparaît comme l’épicentre du studio du Collectif, le Dojo. A chaque sortie de projet, Sheldon y participe en y travaillant aussi bien dans la lumière que dans l’ombre. Deux ans après RPG, un projet commun avec le beatmaker Yung Cœur, ils reviennent pour un second opus, intitulé FPS. Nous sommes allés le rencontrer à l’occasion de cette sortie, histoire d’en savoir un peu plus sur sa musique, son travail et ses inspirations.
Salut Sheldon, on est ravis de t’avoir sur Le Rap en France. Est-ce que tu pourrais te présenter en quelques mots pour ceux qui ne te connaitraient pas ?
Moi je suis Sheldon, rappeur de la 75ème Session, je suis aussi ingénieur du son et producteur.
Tu es ingénieur du son de formation ?
Oui, j’ai fait une formation que j’ai pas terminée jusqu’au bout. Au moment où je faisais mes études on a commencé à avoir le premier studio de la 75ème session dans le 15ème arrondissement. Du coup, je trouvais plus d’intérêt à aller me confronter au métier directement que de continuer vraiment d’aller à l’école.
Fin mai 2018 tu sortais RPG, un projet 8 titres en collab avec Yung Cœur, depuis tu as sorti un préquel, puis Lune Noire, un gros projet que tu taffais depuis un bout de temps, un jeu vidéo, un manga… Aujourd’hui tu reviens avec FPS, toujours 8 titres, toujours en collab avec Yung Cœur. Pourquoi avoir décidé de sortir cette suite de RPG maintenant, après tout ça ?
Ça s’est fait un peu au feeling. Déjà, avec le confinement, ça a été l’arrêt des activités au Dojo (Studio de la 75ème session, ndlr). Ça faisait longtemps qu’on voulait faire une suite, dès la sortie de RPG on avait déjà conçu l’idée de FPS. On a gardé l’idée de cette collab’ en toile de fond, elle est revenue et j’espère qu’elle reviendra encore avec Yung Cœur. Là en fait, le confinement a fait que c’était le bon moment pour le faire, il m’envoyait des prods, j’ai fais des morceaux… J’avais un petit studio ici (il pointe un bureau de l’appartement, ndlr), Yung Cœur avait son studio chez lui aussi. C’était le bon moment pour le faire, on a eu le temps, les conditions réunies donc on l’a fait.
Vous aviez déjà l’idée du nom, FPS, juste après RPG ?
Oui, on savait en faisant RPG qu’on aurait envie de continuer ce truc là, de refaire des projets en lien avec le jeu vidéo, c’est un truc qui nous tient à cœur à tous les deux donc on savait qu’on le ferait à un moment. Et puis il y avait un espèce de consensus, moi je suis grave un mec des RPG, Yung Cœur plus des FPS, donc je savais que j’y aurai droit à un moment (rires).
Vous le voyez vraiment comme une suite par rapport à RPG, ou seulement un nouvel opus dans une lignée similaire ?
Oui c’est une suite. Après forcément c’est deux ans plus tard, j’ai fais des trucs entre temps, il a fait des trucs entre temps, je pense que ce n’est pas exactement la même chose. Les morceaux sont différents, l’approche à un tout petit peu bougée, mais dans le cœur du projet c’est ça, une suite. C’est du rap, on parle beaucoup de jeux vidéos, avec les prods de Yung Cœur à l’identité hyper forte, tu vas quand même retrouver ce truc dans les deux projets. Pareil pour moi, je suis quand même un rappeur qui est dans un certain type de sonorités assez identifiées, il y a clairement un truc commun entre les deux projets.
Yung cœur occupe évidemment une place centrale dans le projet, est-ce que tu peux nous expliquer cette alchimie particulière qu’il y a entre vous deux ?
Il y a plusieurs choses, déjà on se connaît hyper bien. A la base Yung Cœur c’est le premier stagiaire d’une école de son que j’ai pris au Dojo, donc on a été amené très tôt à faire du son ensemble. Je pense qu’un a des univers hyper différents, ma façon et faire des prods et sa façon de faire des prods n’a rien à voir mais on a quand même une méthodologie, une façon de faire commune. Je pense que le ciment est dans le fait qu’on aime les mêmes choses : on aime les mêmes jeux, les mêmes artistes ou presque, on a quand même un espèce d’héritage commun et de truc très similaire dans notre façon de faire de la musique. Il y a aussi ce truc qu’il n’y a pas forcément entre tous les binômes producteur / rappeur, c’est qu’on a pas de mal à se lâcher la place. Ce n’est pas un problème qu’il fasse une prod et que je vienne faire des arrangements dessus, ou alors qu’on mette une prod sur le projet dont la base a été conçue par moi, mais il va faire tellement de retouches que ça va devenir sa prod. En fait on fait vraiment une collab’ et c’est une collab’ à tous les niveaux, ça peut être aussi qu’il me dise qu’il ne sent pas du tout un refrain, alors on le réécrit. Ce n’est pas vraiment “un beatmaker fait des prods et un rappeur fait des couplets”, c’est un truc ou on fait tout ensemble, de la première étape de création au mix. Je pense que c’est ce truc là qui donne une impression d’homogénéité.
Au niveau du mix justement, j’ai l’impression qu’un gros travail est fait autour du traitement de voix, des mélodies et les distorsions, c’est un truc qu’on ressent beaucoup dans ta musique et ce depuis plusieurs années. J’ai un peu l’impression que tu accordes une place de plus en plus importante au mixage, est-ce que tu le ressens comme ça ?
Oui, forcément. Le fait d’être toujours dans les deux box, d’être un rappeur et à côté un ingé son, j’ai forcément envie d’explorer tous les aspects. Après je ne suis pas le seul à faire des doubles voix, des effets glitchés, des arrangements, on est plein à faire ça. Je n’ai pas non plus le sentiment d’être unique là dedans. Mais forcément, le fait d’avoir les deux casquettes permet d’avoir assez vite le truc, ça me permet de penser dans ma façon d’écrire des couplets à ces trucs-là dès le début, et c’est peut-être ça la différence. C’est le côté un peu confortable de ma position. Parfois c’est chiant parce que tu fais tout, mais tu peux anticiper et avoir une vision d’ensemble sur ce que tu veux faire, et ce dès le début.
Avez le confinement vous avez du vous ré organiser dans vos méthodes de travail comme tu nous l’as expliqué, mais comment vous avez l’habitude de travailler quand vous êtes ensemble ?
Au delà de nos projets communs, ce processus de travail ensemble on l’applique partout. Très régulièrement les projets de M (le Maudit, ndlr) et les projets d’Inspire c’est des travaux communs. Parfois il y a une de mes prods et la majorité c’est des prods de Yung Cœur, et souvent on réalise tout ça ensemble. Comme on passe beaucoup de temps ensemble, c’est rare que l’un de nous deux termine un projet sans que l’autre ait un œil dessus. Par exemple, sur Lune Noire, Yung Cœur n’a pas signé beaucoup de titres en tant que producteur, mais il a eu forcément son mot à dire et sa part de réflexion sur l’intégralité de l’album. Donc quand on se retrouve à faire un EP ensemble, forcément ce truc là ressort encore plus nettement. Si tu veux, la casquette officielle annoncée sur le disque c’est « Yung Cœur beatmaker et Sheldon rappeur », mais on fait tout ensemble. Après sur FPS et RPG il a quand même le lead sur les prods et je le laisse mettre son environnement musical au maximum, mais ça peut arriver que je change des trucs sur les prods, sur les couplets… On essaie d’être ensemble au maximum.
Sur RPG il n’y avait qu’un seul featuring, l’Ordre du Périph, et sur FPS c’est un morceau avec M le Maudit et Inspire, tous très proche de toi. Pourquoi rester avec des artistes que tu connais et dont tu es proche artistiquement et humainement ?
C’est comme ça, parce que le Dojo, la 75ème session, c’est un lieu de vie ou on est beaucoup ensemble. J’aurais pu et je pourrais sur d’autres projets avoir des collabs avec des gens que je connais moins et dont juste j’apprécie le travail. Ensuite, avec ODP au moment ou on a fait le projet on était tout le temps ensemble, donc c’était une logique de le faire. C’est surtout ça, j’essaie de faire des morceaux logiques dans le sens ou le truc doit se faire naturellement. Si j’essaie de faire des morceaux avec quelqu’un que je ne connais pas bien, je vais faire en sorte que ce soit naturel. Après bien sûr, je peux contacter des rappeurs et leur proposer une collab’ comme avec Caballero sur Fétiche, mais j’essaie toujours de garder le morceau un peu spontané. Sur des projets comme ça, où il y aura peu de feats parce qu’il y a peu de titres et qu’on est déjà deux avec Yung Cœur, on avait pas forcément envie d’intégrer 3 ou 4 featurings sur le projet. Il y en a qui s’invitent un peu naturellement.
Yung Cœur c’est le DJ de Youv Dee, le producteur principal de M et Inspire, sur les projets d’Assy il y a toujours une prod qui se glisse à moi ou à Yung Cœur. Donc forcément ça se fait naturellement, on fait en sorte de passer un bon moment, surtout sur ce type de projet. C’est des disques qui sont là pour nous faire plaisir, et faire plaisir à celles et ceux qui attendent du neuf.
C’est marrant parce qu’après Lune Noire, je pensais que tu allais faire une assez grosse pause, parce que tu as travaillé plus de 3 ans dessus, avec un manga, un jeu vidéo, de nombreux clips. Qu’est-ce qui t’as poussé à te replonger dans un processus créatif directement après, est-ce que tu n’avais pas envie ou besoin de temps pour digérer cet album ?
En fait Lune Noire, entre le moment où il est fini et le moment où il sort il y a quand même un peu de temps qui passe. Parce qu’il y a la BD, parce qu’il y a le jeu vidéo, parce qu’il y a plein d’outils qu’on a envie de mener à bien pour bien accompagner le projet. Donc déjà j’ai pas embrayé directement après la sortie de Lune Noire. Il y a aussi le fait que j’ai quand même constamment besoin de faire des trucs. Même que ce soit pour les autres et tout, j’ai toujours envie de faire de la musique. Il y a forcément des périodes creuses, des périodes ou je suis perdu, ou je dois réfléchir à la suite comme tout le monde, mais il y a ce côté accident avec FPS qui est lié au confinement et au fait qu’on ait eu le temps de le faire. C’est la grosse différence avec Lune Noire, c’est que c’est pas un truc ou on se pose 10 000 questions : sortir des grosses prods de Yung cœur et faire des gros couplets d’egotrip où on cite 45 mangas et 32 jeu vidéos par morceau, c’est aussi un truc dans lequel on est absolument dans notre zone de confort, que ce soit lui ou moi. C’est pas une réflexion ultra long terme, c’est très à l’instinct.
Pour la question de deuxième album je pense que ça sera plus long par exemple. Je ne pense pas que ça durera 3 ans comme Lune Noire mais ça va être plus long.
Dans tes textes on sent des inspirations très diverses, alors évidemment les jeux vidéos et les mangas, mais aussi les liens familiaux, l’amour et les relations humaines plus largement. Est-ce que ta musique c’est aussi un moyen de retranscrire tes émotions ?
En fait comme je fais de la musique de plein de façon différentes, que ce soit pour moi, pour les autres, à plusieurs ou tout seul ce n’est pas fixe du tout. Ma façon de réfléchir à un morceau de Lune noire ou un morceau de FPS ça ne sera jamais la même. FPS et RPG c’est des projets qui me permettent de dire des choses sur moi sans me foutre à poil. Ça me permet de garder toute cette carapace de pop culture que je garde autour de moi, qui me permet de parler de moi sans être hyper personnel.
Par exemple, ce que j’essaie de faire pour le deuxième album, que j’ai bien délaissé avec lune noire, je suis en train d’essayer de faire un album ou je parle vraiment de moi. L’avantage avec un projet comme FPS c’est que ça me permet de parler de moi, de dire des choses sur ma famille, sur mes relations et comment je ressens le monde sans être au premier rang de ce truc là. Je laisse la place à plein de références qui me permettent d’exprimer des choses complexes avec des images simples. Par exemple, tu vas utiliser une image qui appartient à un manga de 500 épisodes pour exprimer une idée concise à toi, derrière c’est le background des 500 épisodes pour tous ceux qui les ont vus, et ça te permet de dire un truc qui serait ultra compliqué à exprimer sans cette référence. C’est l’intérêt que je vois là dedans, pouvoir dire beaucoup de choses avec peu de mots.
Le fait de pouvoir aborder toutes ces références ça te laisse aussi un format très libre aussi.
Oui clairement, mais je ne m’impose rien non plus. Si un track plus personnel vient dans le projet et qu’il est cohérent, je ne vais pas me dire “non on parle de jeux vidéos il faut que je tranche des têtes sur des prods énervées à 130 BPM ”. Il y a des morceaux comme Solid Snake, PS1 ou Team Rocket qui sont plus personnels et moins dans l’univers de base. En fait oui, je ne me pose pas trop ces questions parce que j’ai tellement été contraint avec Lune Noire. Même si j’ai été très content de le faire, mais tu as une histoire, tout un déroulé à suivre qui ne te laisse pas le choix. Sorti de ce projet qui m’a pris vachement de temps, je me pose moins ces questions, j’essaie de faire juste les trucs comme ils me viennent, je suis moins dans ce soucis d’ultra cohérence qu’avant.
Au fil du temps on a senti ta musique totalement évoluer, que ce soit au niveau des prods, de ta façon de poser, de chanter aussi, tout en gardant une certaine identité qui t’es propre. Pourtant elle est assez indescriptible, j’ai essayé de définir ton style sans vraiment pouvoir y arriver. Est-ce que tu arrives toi-même à définir ta musique ?
Non je ne la définis pas non plus, j’essaie de faire une musique qui me ressemble, même si j’ai une inspiration et un style commun avec plein d’autres gens. J’ai aussi ce truc d’orgueil de me dire que j’ai envie de faire des choses qui n’ont jamais été faites, même si je suis dans un style hyper identifié, même si on est beaucoup à faire ce que je fais. J’essaie toujours d’avoir mon truc à moi. Je ne saurais pas trop quoi dire parce qu’effectivement il y a tout ce side des références, des mangas…. Par exemple Django le fait vachement, Nekfeu aussi. Si tu veux je ne me sens pas propriétaire de ce truc là, c’est plus une histoire d’héritage pour moi. Que ce soit un Népal, un Alpha Wann, un Nekfeu, tous les rappeurs de cette génération et de cette sphère là on a tous cet héritage de la référence.
Après pour le reste j’ai mon truc, ma façon de parler aux gens, d’être dans la représentation sans trop me montrer, de ne pas trop être sur le créneau de “je suis plus fort que les autres”, en apportant une dimension de second degré à mon egotrip. Mais je ne saurai pas te dire précisément ce qui me caractérise, d’autant plus que ça change tout le temps. Il y a quand même peu de lien entre mes premiers Eps de 2015, Lune noire, FPS…
Tu nous as parlé un peu de ton deuxième album, tu sais déjà quelle direction tu veux donner au projet ou c’est plus de l’exploration pour l’instant ?
La direction c’est pas de direction. Exactement l’inverse de Lune noire, avec une contrainte très forte liée à une histoire complexe qui se resserre peu à peu. Pour moi c’était une belle contrainte et j’en suis hyper fier, mais là c’est un peu l’inverse. Je fais du son avec les gens avec qui j’ai envie de faire du son. Je travaille avec Vidji de Fixpen Sill sur cet album par exemple. Si j’ai envie d’envoyer un track de drill hyper énervé et que derrière j’ai envie d’envoyer un morceau de zumba ou je chante pendant 3 minutes juste en guitare / voix, je peux le faire. Je n’ai pas de contraintes pour cet album, j’essaie de ne pas en avoir et de ne pas m’en fixer… même si tu finis toujours par le faire.
J’aime bien terminer les interviews comme ça en général, mais qu’est-ce que tu écoutes en ce moment ?
En ce moment… Le projet de Laylow. Trinity. Je le trouve trop chaud, comme tout le monde. Quand un disque arrive comme ça, tu n’as pas trop le choix, ça met tout le monde d’accord. Sinon le dernier album de Bruno Major, rien à voir avec le rap mais c’est un chanteur de pop, je trouve l’album incroyable, je trouve ça assez fou. Après j’écoute les nouveaux trucs de mes gars. Moi c’est hyper segmenté, j’écoute du rap quand je suis en studio, quand je suis chez moi j’aime bien écouter un truc qui me sors de mon métier, du jazz, de la soul…
Le jazz pour moi c’est grave une musique d’apaisement, d’accompagnement donc j’écoute mes classiques, les albums qui me rappellent l’enfance, Miles, Coltrane… Des trucs qui sont des ultras gros classiques du jazz. Contrairement à ce que j’écoute dans le rap par exemple. Comme tout le monde j’ai écouté des classiques, mais je cultive moins le retour à ces trucs là. Avec le jazz je vois plus ça comme des albums piliers, qui me suivent déjà depuis très longtemps, et qui vont continuer de me suivre.
Merci d’avoir lu cette interview, n’hésitez pas à aller écouter FPS de Sheldon et Yung Coeur, disponible sur toutes les plateformes.
Coquilles modifiées ! Merci pour ton retour
Super interview en vrai ! Faut donner de la force à Sheldon !
Par contre ces chauds autant de coquilles dans le texte quand on veut faire du qualitatif…