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[Interview] Stick : « Le rap ça me permet de faire tout ce que je peux pas faire dans la vie »

C’est lors d’un passage parisien un froid mercredi d’hiver que j’ai pu intercepter le Stick avant qu’il ne retourne en terres toulousaines. Entre un grec et quelques pintes, j’ai pu me rendre compte que le psychopathe que je m’attendais à rencontrer n’était en fait qu’un type sympa avec lequel on pouvait juste parler de tout et de rien. Surtout de rien. J’ai tout de même décidé de ne retranscrire que ce qui valait la peine d’être lu, le reste appartient à la postérité.

Hello Stick,comment vas-tu ?

Ca va bien merci. Il fait froid mais tout va bien (rires).

On se retrouve pour Glossolalie, ton deuxième album. Avant ça, tu as sorti le premier 1 MC 2 PLUS, puis les mixtapes Tricératox. Qu’est-ce qui s’est passé pour toi entre ces deux albums ? Et comment tu as conçu cette deuxième galette ?

En fait, au moment de la sortie de 1 MC 2 PLUS, je venais de trouver un taff. Ca m’a un peu mis dans la merde, parce que du coup je n’ai pas pu faire de promo, ni de concerts, je travaillais beaucoup. Je n’ai pas pu défendre l’album à sa juste valeur. Malgré le taff, je continuais d’écrire un petit peu, mais rien de spécial. Et dès que j’ai pu me remettre au chômage, j’ai réenclenché sur la musique. J’ai sorti les mixtapes, j’ai écrit un bouquin, j’ai fait le projet Salfrom avec Goune et Bazoo… Donc je n’ai pas chômé.

Autant le titre d’1 MC 2 PLUS parlait de lui-même, avec ce double sens entre « je ne suis q’un rappeur parmi tant d’autres », et « j’ai bouffé tous les MCs, je pourrai m’en refaire un de plus »…

Ah c’est pas mal ça ! J’y avais pas pensé, moi je le voyais plus comme Kill Bill, genre « je viens de tuer un MC, je le raye de la liste, ce n’est qu’un de plus ». Mais bien, j’aime bien ton interprétation.

Surtout que l’esthétique de la pochette m’a fait penser au pêché de la gourmandise représenté dans Se7en, toi affalé sur ton siège après avoir mangé tous ces rappeurs, prêt à exploser de faim…

Surtout qu’à l’époque j’étais bien fat (rires).

En tout cas, le titre de ce premier album parlait un peu de lui-même. Glossolalie beaucoup moins.

En effet, c’est un autre style… C’est un autre Stick ! Ce mot joue sur plusieurs tableaux. Dans la religion ou la psychiatrie, c’est le « parler en langue », quand des gens se mettent à parler des langues que personne ne comprend, inintelligibles. C’est le contraire de la xénoglossie, ou tu parles une langue connue mais que tu n’as jamais apprise. Ce sont des phénomènes très étranges, qui ont amené des gens à se faire tuer car on pensait qu’ils étaient habités par le démon. Ca a un gros rapport au satanisme, à l’exorcisme, aux possessions, tout ce dont parle l’album quoi.

C’est vrai que cet album est beaucoup plus mystique et même religieux que le précédent. Ne serait-ce que la pochette, cette sorte de crucifixion démoniaque… Les titres des sons, également, imprègnent le disque d’une touche ténébreuse, dans le champ lexical du satanisme.

Carrément. D’une certaine manière, c’était annoncé à la fin du premier album. Si tu fais bien attention, la fin de Pluie de sang (l’outro d’1 MC 2 PLUS, ndlr), c’est le début de Possession (l’intro de Glossolalie, ndlr). Les 30 dernières et premières secondes sont les mêmes en fait.

Ca tu l’avais en tête dès la conception du premier LP ?

Ouais à fond. Je partais vraiment dans ce délire là. La fin d’1 MC 2 PLUS, c’était Evil Dead, et notamment ce personnage qui dit « J’ai vu les ombres noires se mouvoir dans les bois, j’ai l’impression que ces formes me rattraperont moi aussi ». Et c’est ça le principe de Glossolalie : les ombres m’ont rattrapé. Le MC de plus que tu as vu et écouté sur le premier projet, il s’est fait rattraper par des démons, et donc le deuxième album est empreint de ces ténèbres.

Je voulais également te parler de ton label, CMF pour Crazy Mother Fuckers. En fait, à la base, c’est une grande bande de pote tout ça ?

(rires) Ouais, même une petite bande de potes en fait ! C’en est devenue une grande avec le temps. A la base, c’était Swed (beatmaker), Meda (graphiste) et moi. C’était juste un gros délire entre nous, c’était notre crew. Et un jour on s’est structurés en asso pour organiser des concerts, puis au fur et à mesure l’asso est devenue un label.

Vous vous êtes développés aux côtés de Bim Bam Prod, l’asso de 10Vers, particulièrement active à Toulouse également à une époque ?

Non pas vraiment. Enfin, on a déjà organisé des choses ensemble, on se connaît très bien, mais on ne s’est pas forcément développés en parallèle.

J’aimerai te poser une question qui va sembler banale, mais qui servira à développer autre chose derrière. Pour toi, à quoi ça sert de rapper ?

Pas facile celle-ci. Je pense que j’ai commencé parce que j’aimais ça en fait, tout simplement. Comme tout le monde, tu commences parce que tu kiffes. Et puis avec le temps chacun y trouve son intérêt. Certains vont y trouver la flambe, d’autres l’exutoire, d’autres le côté potos… Pour moi, il y a un peu de tout ça. Après, concrètement, ce à quoi ça sert le rap ? Je pense que ça sert à rien. Pour les gens ça sert à rien en vrai. Ca sauvera pas le monde. Le rap engagé ça fait 30 ans qu’il y en a, rien n’a changé quoi. Je dis pas ça pour tailler ce qu’on appelle le rap engagé, mais bon.

(rires) Tu dis que c’est pas pour tailler le rap engagé, mais tu en fais quand même ton cheval de bataille sur tous tes disque ! Une de mes phrases préférées sur 1 MC 2 PLUS c’est « Je serai engagé lorsque je toucherai…

le cachet de Keny Arkana ! » (rires). Des bisous à Keny ! On devait jouer avec elle à un concert, elle n’a pas pu venir, c’est dommage.
Cette formulation et l’idée qu’il y a derrière, c’est de dire que nous, chez CMF, on a fait beaucoup de concerts gratuits en fait. Quasiment que ça. Du coup c’est mortel de se dire que de grands défenseurs plein de valeurs et de morale touchent des cachets que t’auras jamais, et qu’ils sont payés pour véhiculer une image universelle… Après c’est le côté rageux du morceau, c’était voulu de faire quelque chose de très énervé en crachant sur tout le monde. Surtout que depuis ce morceau, on m’a dit qu’elle touchait pas tant que ça la pauvre (rires). Cette phrase, c’est plus pour ce qu’elle représente que pour elle réellement.
Et puis c’est vrai que j’ai un peu un problème avec le rap engagé. Déjà parce que je ne trouve pas que ce soit engagé, le mot est mal trouvé. Parce qu’ils dénoncent, ça c’est vrai, mais au final ils ne proposent pas de solutions, ils apportent rien de concret. J’ai vu une interview de Damso récemment. Il parlait des schmitts en disant en gros que ça servait à rien de dire nique la police, ce qu’il fallait selon lui, c’est qu’on devienne nous-mêmes keufs pour la niquer de l’intérieur. Et je trouve ça dix fois plus engagé que ce qu’on va te vendre ! Du coup c’est vraiment un problème de terme, parce que ce qu’on appelle rap engagé, c’est des trucs que je vais écouter honnêtement. Ces rappeurs, on leur colle une étiquette dont souvent ils pâtissent aussi souvent.

Surtout que ces rappeurs dénoncent certains travers de la société et en parlent dans leur texte, mais toi quand tu abordes les thèmes de l’alcoolémie, de la violence domestique, du divorce, du racisme dans 666 euros… C’est sous couvert d’humour noir et d’auto dérision, mais au final tu dénonces tout ça, de manière moins lourde et moralisatrice que ces rappeurs souvent. Tu vois un de mes morceaux préférés de Médine, c’est Boulevard Auriol. Sur 666 euros, sous une forme différente, tu dis la même chose.

A fond. Je suis complètement d’accord. C’est mon morceau le plus engagé (rires) !
Ce que j’aime, ce sont les différents niveaux de lecture, c’est ce que j’essaye de faire dans mes textes. Dans mon processus d’écriture, je cherche pas la rime parfaite, c’est très rare que je me casse la tête sur une ligne, que je reste 3 heures dessus, ça n’arrive pas. Là où je me triture vraiment le cerveau, c’est sûr les différentes manières d’appréhender un morceau. Glossolalie, tu peux l’écouter dans deux sens. T’es un petit jeune tu peux te taper des barres avec tes potes en t’arrachant, tu vas délirer. Mais tu peux aussi l’écouter seul au casque et cogiter dessus, tu le comprendras différemment. Moi ca me fait chier quand j’écoute un morceau et que j’ai capté ce que le mec voulait dire dès le premier coup.  C’est également ce qu’aime mon public, bien qu’il soit restreint (rires). C’est des gens qui achètent encore le skeud en physique, qui l’écoute plusieurs fois. C’est des mecs qui soutiennent à notre petit niveau.

Glossolalie, comme tu dis, c’est un disque avec plein de facettes. Il est plein d’amertume, de haine, de rêves détruits, mais aussi beaucoup d’humour et d’autodérision. Tout à l’heure je te demandais à quoi servait le rap, c’était pour arriver à cette question : est-ce que pour toi, le rap te sert d’exutoire ? Je te demande ça parce que ta musique est tellement liée à ta vie de manière viscérale, que je me demande comment tu fais la démarcation entre ta vie et ton art.

Un peu oui. Le rap ça me permet de faire tout ce que je peux pas faire dans la vie. En terme d’ultraviolence déjà (rires). Et aussi parce qu’il me permet de dire des choses que je dis pas dans la vie. Y a plein de potes à moi qui ont découvert des choses sur moi qu’ils ne soupçonnaient même pas.

Ce sont des choses que tu n’arriverais pas à dire en face à face ?

Si, je pense. Parce que c’est du passé, j’en ai rien à foutre. Mais bon dans la vie tu essayes de te protéger, tu dis rarement ce qui ne va pas trop au final. On a tous nos soucis, tous nos galères, donc je les mets sur disque. Et je le fais aussi parce que ça me donne l’occasion d’aborder des thèmes, comme dans Mémoires d’un Salfrom, qu’on n’a pas l’habitude d’entendre dans le rap français bizarrement. Sur les parents alcooliques, le divorce… Il y en a quelques uns, mais pas des masses, ce n’est pas un thème plébiscité par les rappeurs en général. Y’a plus des rappeurs qui font des chansons d’amour sur leur maman (rires). Donc c’est exutoire d’un certain côté, mais c’est pas non plus libérateur genre je fais un album et c’est bon tout va bien dans ma vie. Ca permet aussi à des gens de s’identifier à une figure qu’ils n’ont pas l’habitude d’entendre. Ce sont des chose que j’aurai aimé entendre minot. C’est bizarre, mais souvent en parlant de toi tu parles aux autres.

Carrément. Ca me fait penser à une super interview de Lomepal par SURL, Fenêtre sur vie, où il explique notamment qu’il est très étonné des réactions de son public sur certains de ses sons, où il délivre un message universel en parlant de choses ultra personnelles et d’expériences propres.

Ah ouais ? J’ai pas vu ça. Mais il a raison je trouve. C’est cool en tout cas, j’aime beaucoup Lomepal, des bisous à lui (rires). Avec toutes ses références à Eminem dans ses paroles et ses samples, c’est cool.

Dans le rap, et dans la société en général, quand on parle des problèmes, on racialise beaucoup le débat en opposant blancs occidentaux privilégiés à jeunes black ou arabes défavorisés en banlieues. Toi tu parles de sujets tout aussi dévastateurs, que sont les ravages de l’alcoolisme en campagnes, l’absence de figure stable du père et surtout tu recentres la réflexion sur la pauvreté tout simplement, qui sont des sujets tout aussi importants mais plus rarement abordés.

Des fléaux ! Après tu parles de campagnes, mais je n’ai pas côtoyé que ça dans ma vie, j’ai beaucoup déménagé. J’ai vécu en banlieues dites difficiles, en centre-ville à Toulouse, en campagne dans le Larzac… Et j’ai côtoyé plein de classes différentes, des riches comme des pauvres, ça m’a beaucoup formé ça aussi. Et pis quand j’étais tout petit, tout se passait bien pour moi, mes parents avaient un petit commerce qui tournait bien, ça a changé après le divorce. Pas de pauvreté extrême non plus, on a toujours eu à manger, mais des trucs un peu d’un autre siècle quand même.
Et par rapport au divorce de mes parents, c’est vrai aussi que j’en parle beaucoup, mais aussi comme j’ai dit tout à l’heure, pour parler à des gens qui ne se sentaient pas représentés, mais ça m’a pas ravagé non plus. C’est un peu un problème de blanc le divorce (rires). Comme dit le poto Bazoo « Des parents divorcés comme tous les blancs ».
Mais bon, ça me tient à cœur de parler de tout ça parce que c’est rare qu’on en parle dans le rap français. Y’avait Ol Kainry qui avait fait un morceau sur le divorce de ses parents, et je pense que c’est un des seuls qui en parle autant.

Et surtout qu’à l’écoute de tes textes, on se rend compte qu’il y a eu des choses bien plus graves que ce divorce qui ont jalonné ton enfance.

La suite a été plus compliquée en effet !

L’humour également est un des fils rouges parcourant ta musique. Sur 666 euros, j’y reviens tu m’excuseras mais ce morceau est incroyable…

C’est mon morceau stand-up (rires) ! C’est pour me lancer dans le one man show.

On va en parler à James Deano ! L’humour c’est aussi un masque social dans ta vie ? C’est un besoin pour toi de rire tout le temps ? Ou c’est juste dans ton caractère d’être jovial ?

Je saurai même pas te dire… J’ai fait des blagues très tôt en vrai. Et pis on vient du rap, c’est aussi la culture de la punchline, du mot qui va bien. Après dans la vie, mieux vaut avoir la banane et se taper des barres que se morfondre. Mais bon faut trouver le juste milieu, y’a rien de plus chiant que le comique de service, le gadjo qui débarque pour faire rire la compagnie alors que tout le monde a envie d’être posé (rires). L’humour même dans la vie c’est super utile socialement. Tu peux toujours t’en tirer avec une petite blague, un jeu de mot qui passe bien, ça peut désamorcer des situations tendues quoi.
Et puis faut pas oublier qu’on est de l’école freestyle, où on squattait les radios, ça partait toujours en couilles entre potes, donc on a la vraie culture de la punchline qui passe bien, du mot pour faire rire les copains.

T’es à la croisée de plein d’influences musicale. Sur la forme tu fais du rap mais au sein de tes instrumentales, c’est super punk, black métal, hardrock comme sur Exorcisme, le dernier morceau de l’album par exemple.

A fond ! Il paraît qu’on nous appelle « la scène punk toulousaine » (rires).

J’en parlais récemment avec un pote, qui m’a dit que c’était un peu Zebda aussi qui avait posé les premières pierres de cette culture à Toulouse.

Ouais Zebda !, Ils venaient du Mirail. Ils rappent pas, c’est un peu bizarre mais y’a des morceaux ouais c’est presque de l’early rap. C’est un délire spécial, ils chantonnent avec un gros accent toulousain. Un truc super détente. C’est toute l’école fin des années 80, ils venaient aussi d’Arnaud Bernard, un quartier assez incroyable parce qu’en même temps y’a plein de blédards et aussi plein de zikos qui font de la chanson populaire où tout le monde se mélange. Et pour moi Zebda ça découle vraiment de cette culture je trouve. Après c’était pas vraiment du rap, mais c’est vrai qu’il y a des beats de l’époque à la limite du hip-hop ouais. Après on se revendique pas du tout de leur héritage en terme de musique quoi. La référence en terme de rap toulousain ça reste KDD.

Merci beaucoup Stick pour ces quelques mots. Il y a quelque chose que tu aurais voulu rajouter ? 

Oh non pas grand chose. Merci à toi, de gros bisous à tous ceux qui ont travaillé sur l’album de près ou de loin. Low Cut qui s’est tapé le mix et le master, la pire partie (rires). Et un énorme big up à tous ceux qui prennent le temps de creuser, d’écouter, ceux qui se penchent vraiment dessus. Ca fait du bien.

À proposLeo Chaix

Grand brun ténébreux et musclé fan de Monkey D. Luffy, Kenneth Graham et Lana Del Rey, je laisse errer mon âme esseulée entre les flammes du Mordor et les tavernes de Folegandros. J'aurai voulu avoir une petite soeur, aimer le parmesan, et écrire le couplet de Flynt dans "Vieux avant l'âge". Au lieu de ça, je rédige des conneries pour un site de rap. Monde de merde.

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