Après un long silence, puis une série de freestyle tout au long de l’année 2018, T.Killa sortait le 15 février 2019 son premier projet solo, Dernier malaxe. C’était l’occasion pour nous de discuter avec cette figure importante du rap du 95, héritier d’une famille légendaire du rap game…
Le 15 février, lorsqu’on a téléchargé la mixtape de T.Killa, Dernier Malaxe, sur notre petite appli de streaming on n’a pas tout de suite pris le temps de l’écouter. Un coup d’oeil à la tracklist nous a permis de comprendre qu’on allait devoir prendre notre temps pour bien l’écouter et le savourer à sa juste valeur.
26 titres pour une mixtape, c’est beaucoup, c’est long et ça fait un peu peur, à l’époque de l’abondance de sorties rap tous les vendredi. Grands amateurs du Secteur Ä et de la musique de Ärsenik, on a pas été impressionné et on a écouté cette mixtape d’une traite. Et plusieurs fois. Dernier Malaxe est un concentré bouillonnant de rap sombre et énervé, porté par un rappeur puissant qui s’aventure sur de nouveaux terrains. Sans perdre la violence de sa plume, portée par sa voix grave et rocailleuse, T.Killa a évolué. Le rappeur de Villiers-le-Bel balade son flow sur des prods trap, ou même un peu plus « dansantes » avec un facilité qui désarçonne, surtout pour quelqu’un présenté comme un puriste nostalgique d’un rap hardcore. En 21 titres (sans les bonus), T.Killa remet les pendules à l’heure et montre qu’il n’est pas là pour faire de la figuration dans les concerts de ses frères (Lino et Calbo d’Ärsenik, on ne le dira qu’une fois, pour ceux qui n’étaient pas encore au courant). T.Killa est de retour, pour envoyer du lourd.
La 1er fois qu’on t’as entendu, T.Killa, c’était sur un projet de Doc Gyneco, et c’était maintenant il y a 20 ans… Tu en es où maintenant ?
Ouai… Wow, 20 ans vraiment ?! J’ai envie de me suicider [rires]. Non, mais où j’en suis maintenant ? Je viens de sortir ma mixtape Dernier malaxe, qui est mon premier projet solo. Et en même temps, on bosse en famille, avec les frères, sur les concerts et tout ce qui va arriver derrière…
Pour ce titre Dernier malaxe ? Qu’est ce que ça veut dire pour toi ?
Chez nous, le malaxe, c’est un mélange de substances, l’alcool, ton shit, tout ce que tu veux. Moi, c’est le rhum avec le jus de pomme… Et donc, dernier malaxe, parce que après ça, c’est fini…
Pourquoi le format mixtape en 2019 ?
Je n’allais pas revenir avec un album, ça faisait longtemps que j’avais rien sorti, depuis K.ommando Toxik. Donc, on allait pas sortir de nulle part en mode « T.Killa sort un album ». Non, il fallait que je reprenne un peu de jus, que je me remette dans le bain pour bien envoyer. Voilà pourquoi j’ai sorti ce format, ça m’a permis de reprendre de la patate et en plus, c’est un format où tu es plus libre, du coup, c’était parfait.
C’est un projet qui fait 26 titres ! En 2019, à l’époque du streaming et de l’abondance des sorties, c’est énorme…
Ouai, mais j’en ai rien à foutre, je suis un mec à l’ancienne. Que ça soit long, pas long, trop long,… Moi je pars du principe que si t’aimes l’artiste, qu’on te donne 20 ou 40 morceaux ; tu prends, si tu aimes bien. C’est mon côté généreux. Je suis comme un cuistot avec ma musique, je donne beaucoup.
Pour ceux qui viennent d’arriver, les profanes // ça fait du bien un peu de kickage, de propane
Comment ça s’est fait ce projet ? Tu as débuté avec une série de freestyles il y a un an, c’est ça ?
Il y a un an, ouai. À l’époque, c’était juste une série de freestyles, parce qu’on devait sortir un projet Liaisons Toxiques, qui n’est composé que de feats… Je devais me mélanger avec pas mal de gars, mais on a mis ça de côté. D’ailleurs, les featurings en bonus sur la mixtape, ce sont des titres de ce projet au départ. Et finalement, je vais les remettre sur Liaisons Toxiques et on va tout ressortir dans un CD qui arrive, avec pleins de feats, pleins de surprises…
Comment ça s’est fait d’ailleurs ces feats ? D’où vient la connexion avec les autres artistes ?
Avec tous ces salopards là ? Ça s’est fait hyper simplement, parce que déjà, c’est des mecs que je connais de longue date. Genre Sofiane, Dosseh, on se connait bien, ça s’est fait naturellement. Et la MZ, on ne se connaissait pas, mais c’est des gens que j’aimais bien. De là, on a fait le morceau, les 3 sont venus au studio. En vrai, c’est le dernier morceau de la MZ en groupe, c’est magnifique. Je suis content de l’avoir…
Alors, Dernier Malaxe au niveau contexte d’enregistrement, ça s’étale sur plusieurs années ?
En fait, Liaisons Toxiques, c’est un projet avorté. Je ne pouvais pas arriver avec que des featurings, il me fallait une vraie niaque. Je devais retrouver le vrai T.Killa, le Tek d’avant, vivace avec une vrai dalle et qui a envie de rapper. Je voulais retrouver ce truc là, du coup, on s’est structuré, on a fait notre studio, pour que je puisse avoir ma cabine et ne pas être stressé par le temps. Quand tu loue des studios sur paname, tu viens, t’as 5h top chrono. Alors qu’ici, je peux créer comme je veux, toute la nuit, jusqu’à demain matin même. Fallait que je trouve ce contexte, qu’on se structure et c’est ce que j’ai fait avec ABM Corp, avant de se lancer sur une petite mixtape pour se faire les jambes…
Qui est derrière les prods de cette mixtape ?
Alors, il y a du Weal star, il y a BQ qui vient d’Ecosse, Katrina Squad sur le remix avec Lino, Hopsalaprod sur Bob l’Éponge, du Triabl beats… Et aussi des type beats qui traînaient sur YouTube. Que des bons salopards!
Est-ce que tu as pas l’impression que tu restes toujours dans l’ombre de Lino et Ärsenik ?
Je peux pas enlever ça de mon sillage, je serais toujours un peu dans l’ombre de ces messieurs. C’est mes frères, ils ont une grande carrière. Ils sont là, ils continuent d’exercer et on bosse ensemble. Donc, je pense que c’est quelque chose qui va me rester toute ma vie, jusqu’à ce qu’on m’enterre.
Qu’est-ce que vous avez mangé dans la famille M’Bani, quand vous étiez petit ?
Ah, mais on a mangé des trucs compliqués, hein. Du riz, des trucs congolais, des saloperies… C’est naturel, le rap, chez nous. Moi j’ai commencé quand j’avais 9 ans, presque plus tôt que mes frère, c’était juste évident. Après, on ne va pas dire qu’on a pas bossé, les choses tombent pas du ciel. Il faut travailler, mais il y a un truc naturel chez nous, c’est vrai.
La question se pose : Lino a fait Ärsenik avec Calbo, pourquoi ne pas faire un projet Lino – T.Killa ? Nos confrères du site Le Bon Son ont même fait une playlists regroupant tous les morceaux sur lesquels vous apparaissez tout les deux. (Playlist disponible ICI)
Je dirais pas grand-chose sur le sujet, à part : soyez patients.
On est tous en train de travaillez et on garde un œil sur ce qui se passe et sur ce qu’on dit de nous…
Qu’est-ce qui s’est passé avec K.ommando Toxik ?
On a juste décidé de prendre notre envol en solo, tout simplement. On s’est dit que c’était le moment de déployer nos ailes de notre côté. Beksoul à pris un autre courant musical, il s’est lancé vers autre chose. Il n’y a pas d’histoires fantasmagoriques, on ne s’est pas étranglés. On avait envie d’évoluer et d’étaler notre propre couleur musicale sans faire de compromis
Justement, tu parles d’évoluer, tu as visiblement essayé différents trucs avec ce projet, tu t’es adapté à la trap, il a des morceaux plus rythmés, presque dansant…
Ouai, il y a des prods un peu plus olé-olé que d’habitude. Mais il le fallait, on va pas rester dans la même chose toute notre vie. Si on s’écoute dans le navire ABM, on est tous dans un délire sombre. Mais là, c’était une mixtape, on se détend, c’est relax.
ABM, c’est quoi exactement ?
C’est ma structure avec les potos Grizz et Vital. C’est mes deux frères d’armes, avec qui j’ai été à l’école, puis à l’internat, des gars de la cité avec qui j’ai fait les 400 coups. Et en plus de l’amitié, on a les mêmes goûts, on a baigné dans le même monde musical et du coup, quand on a commencé à faire les affaires, on s’est vite compris, c’est plus facile.
Et Streetboyzmusic, à la réalisation des clips ?
C’est des gens qu’on a remarqué, avec ABM. On les a invité pour un malaxe, et on ne s’est pas quitté, on bosse ensemble. L’équipe est carré et je suis en affaire comme je suis en amitié : si ça connecte bien, on va évoluer ensemble facilement.
Pourquoi ne pas bosser avec Daymolition, ç’aurait été plus facile ?
Je peux, c’est vrai. D’ailleurs, on leur a envoyé le son avec Lino, pour emmerder le peuple. On savait très bien que le public avait rien à voir avec ce titre. On s’est dit « allez on va les faire chier », on leur envoie le morceau. J’aurais pu dire à Screetch « fais moi tout mes clips », mais c’était pas intéressant. Daymolition, c’est pour la nouvelle génération, pas pour moi (même si je suis pas si vieux).
Tu parles de nouvelles générations, mais il y’a pas mal de gens qui regrettent que le 95 ne soit pas aussi soudé que le 93 et qu’il n’y ai pas de « passage de flambeau » ?
Y’en a encore qui pleurnichent ? Le problème de ce coin, c’est qu’on aime beaucoup pleurer, beaucoup d’émotions dans le 95. Mais, qu’est-ce qu’on appelle « passer le flambeau » ?
Quand tu regardes Sevran, par exemple, tu penses que Kaaris, il a donné son flambeau à Maes, et que Maes a ensuite passé le truc à 13 block, puis à Kalash Criminel qui finit par le donner à Da Uzi ? Bah non, ils sont sortis avec leur propres culs : ils ont fait leurs affaires et ils sont arrivés : bang.
Mais ils sont quand même beaucoup plus soudé dans le 93. Kaaris, il a partagé au début les sons de Maes, et tout ça…
Ceux qui ont bénéficié de l’appui d’Ärsenik ou du Secteur Ä, ce n’est même pas moi déjà. C’est pas de cette manière que ça fonctionne. Ceux qui bénéficié du support d’Ärsenik, c’est le groupe Armaggedon, la génération entre moi et mes frères. C’était le groupe qui était censé suivre. Puis Armaggedon aurait envoyé la force à Kommando Toxik, et ainsi de suite. Moi, si tu regardes dans toute ma carrière, il y’a toujours eu des jeunes loups sur mes projets, donc on peut pas dire que je m’enferme et que je donne pas de force. J’ai toujours essayé de partager ce putain de flambeau. Mais ceux qui arrivent pas à sortir de ce putain de trou par eux mêmes, faut qu’ils arrêtent de miauler et de dire que c’est la faute des autres.
Faut aller au charbon, c’est tout.
Et pour ceux qui sont déjà sortis du trou…
Qui ? Monsieur 404 ? Il est bien gentil, mais il parle du Secteur Ä alors qu’à cette époque, il devait avoir 5 ans, ça n’a aucun sens : il n’y a pas de label Secteur Ä qui l’aurait signé…
Qu’est ce qui est dommage, 404 ? Qu’on ne l’ai pas poussé ? Il est bien entouré, il a des bons appuis, dès le début il est arrivé avec des jolis petits clips, avec une bonne équipe autour de lui. Ils font bien le taff, il y en a qui charbonnent dans son équipe. Il n’avait pas besoin de nous. Tu vois un petit avec du talent, qui souffre tout seul dans son coin, là d’accord, tu mets la main à la pâte. Quand y’a pas de malaise et qu’on peut rien apporter, tu veux qu’on fasse quoi ? Il est pas exclu du 95, on s’est déjà croisé, on peut poser ensemble, on peut s’appeler. Mais à l’instant T, il y a des gens qui avaient plus besoin de lumière et d’expo que lui. On l’a pas oublié et la preuve, il se débrouille bien. Ce petit salaud avait pas besoin d’un Secteur Ä qui s’était terminé avant qu’il ait passé ses 10 ans .
Dans la mixtape tu parles beaucoup de séries…
Ouai, je me bute beaucoup aux séries aussi. Je fais des références aux séries que j’ai beaucoup tué, donc Vikings, Power, … Quand je suis en période de création, ça veut dire insomnies et besoin d’inspiration. Donc je regarde pas mal de séries. Et moi, je suis un boulimique des séries, en une nuit, je peux niquer une saison, j’enchaîne les épisodes. Donc logiquement, ça finit par tomber dans mon écriture.
Et tu regardes quoi en ce moment ?
Game of Thrones, évidemment. Vikings aussi, enfin y’a pas mal de choses. En ce moment, il y a la série American Gods aussi !
Et tu ne cites pas The Wire ? Pourtant ça colle bien à ton univers …
Bah, j’ai regardé la série forcément. Il y a un truc, mais j’en ai mangé assez ce genre de choses dans ma vie. Ça ne m’a pas laissé sur le cul, cette série.
Le petit écran est donc une part importante de ton inspiration, mais le grand écran aussi, non ?
Ouai, c’est vrai. J’aime le bon cinéma, les bon réal, les trucs bien tournés… Je me prends la tête quand je regarde des films, j’analyse comment le mec il tourne, ce qu’il fait. J’aime vraiment beaucoup ça, et peut-être que quand j’aurais la barbe bien grise, on pourra me retrouver sur un plateau ou quelque part dans ce domaine…
Le titre Millions est un peu différent de ce qu’on avait l’habitude d’entendre… Déjà qui est la voix féminine sur le son ?
Alors, c’est Ambre, une jeune chanteuse qui est venu bosser au studio. Elle apparaît dans le clip d’ailleurs, c’est la petite métisse assise dans le train.
Et Juliette Fievet dans le clip ?
Juliette, c’est quelqu’un que je connais depuis très longtemps. C’est une dame qui m’a vu évoluer dans la musique et on a des liens costauds. On est aime rire et siroter de temps à autres. Je l’ai invitée sur le clip, alors qu’à la base, elle refuse pleins de clip. Je l’ai appelé un dimanche, je lui ai dit de venir et elle s’est prêtée au jeu.
Juliette, c’est la famille.
Tu abordes souvent les violences policières dans tes sons. Qu’est ce que tu penses de la place de ce sujet dans le rap français aujourd’hui et personnellement dans ta musique ?
Honnêtement, je vais continuer à en parler. J’ai un coté militant, à demi-teinte bien sûr, et ça fait partie de moi. J’ai l’habitude de dire que les artistes doivent faire passer les messages que la rue ne peut pas exprimer. Enfin, que la rue exprime, mais d’une autre manière, et qui n’est pas assez entendue… Nous, les artistes, on doit servir à véhiculer des messages, pas seulement parler de nos baskets, de ce qu’on a dans les poches ou c’qu’on vend/mange. À un moment, il y a aussi ce que les gens vivent, ce qu’on voit autour de nous. C’est toujours bien de mettre des thématiques qui dérangent un peu : il faut secouer les tympans ! Il ne faut pas oublier que ça peut arriver n’importe quand, à n’importe qui. On est là, on parle de quartier, mais finalement, c’est pas que le quartier, c’est général.
Tu viens juste de faire un projet avec un opéra symphonique et une chorale avec le lycée Jean-Jacques Rousseau de Sarcelles. Comment tu es arrivé sur le projet ? Comment ça c’est passé ?
C’est la CPE, Mame-Fa Bruneau, qui m’a contacté et m’a présenté le projet, qui avait déjà eu lieu auparavant. Du coup, ils ont voulu mélanger le truc avec un peu de rap et elle m’a fait rencontrer les gens qui bossent sur ce projet. Notamment Laurence Benezit, la chanteuse lyrique et le chef d’orchestre Itaï Daniel. Et ça a bien matché, on a discuté et on s’est lancé. J’ai posé deux couplets et j’ai entraîné des petits qui sont monté sur scène. Des jeunes du lycée Jean Jacques Rousseau qui ne connaissait pas le rap et que j’ai coaché. Et franchement, c’était magnifique, ils ont assuré. Tout le monde est reparti content, avec des jolis souvenirs.
Qu’est ce que tu écoutes en ce moment ?
J’écoute que des saloperies, des trucs à l’ancienne. Je survole ce qui sort aujourd’hui, pour ne pas trop me laisser influencer. J’écoute des trucs à l’ancienne, de la soul, des trucs qui peuvent m’inspirer pour repartir dans la création. Je reconstruis mon cerveau : après chaque projet je le détruis, je le formate et faut recommencer après…
Un mot pour la fin ?
Continuer à écouter du T.Killa et du Ärsenik… Il y’a du nouveau qui arrive, on a pas fini de vous faire saigner les tympans.