Aujourd’hui, c’est le jour de la sortie de Parlons Beuh, et déjà ma première réaction c’est : enfin ! Tu l‘as teasé dès fin 2015 avec le clip Cendrier, ça date un peu, et puis finalement entre temps il s’est passé beaucoup de choses, t’as quitté le label BomaYé, t’as créé ton label E2 Musique et t’y as sorti un EP, P.A.N. Pourquoi les choses se sont faites comme ça ?
À la base, le projet Parlons Beuh devait sortir chez BomaYé, je l’ai commencé là-bas, il y avait une première version bêta qui était prête à sortir… Et puis finalement ça a pris du temps pour pas mal de raisons, donc j’ai décidé de quitter le label et de le sortir moi-même, de mon côté. Pourtant ça m’emmerdait, en ayant créé mon label, de revenir tout de suite avec un projet qui parle de beuh, genre « Bonjour, je vous ai pas vus depuis deux ans. Tiens, on parle de bédo » ? Ça me faisait chier de revenir de cette manière, je trouvais ça un peu trop clivant, et je voulais sortir avant un autre projet, un EP. C’est pour ça que Parlons Beuh a été doublement décalé : par la sortie de chez BomaYé, et par la sortie de P.A.N., à la base c’est vrai qu’il aurait dû sortir bien avant. Et re-décalé encore par la suite, parce que comme je te l’ai dit c’était la première version, et je tenais à ce qu’il y ait quand même du frais dessus, parce qu’un morceau comme Cendrier il a deux ans, et ça fait chier de servir des trucs aux gens qui datent un peu, quoi. Après si le truc il est bon… Mozart, ça peut avoir 3000 ans, ça sera bon, tu vois ! Mais je ne suis pas Mozart, donc après deux ans, on réécoute (rires). Donc j’ai fait une deuxième version avec des nouveaux morceaux, beaucoup plus frais, et puis voilà, on y est. Ça explique le temps entre l’annonce et la date de sortie.
Avec BomaYé, t’es parti en bons termes ?
Ouais, de ouf ! En fait, c’est une petite équipe, ils font tout au cœur, à la passion, à l’huile de coude et tout, donc déjà quand il y a une sortie de Youss’, tout ce petit est monde, cette énergie est capitalisé là-dessus, normal, c’est ce qui a fait le label, après, ils ont fait d’autres choix stratégiques, sortir et développer des Keblack, Naza, et c’est des gens avec qui artistiquement, je ne m’y retrouvais pas. Humainement, c’est des gens que j’adore, je leur souhaite que le meilleur, c’est des purs bons gars, mais quand j’écoute leur musique je ne m’y retrouve pas, c’est pas ce que j’écoute. Mais leurs choix étaient payants, ils ont pris un virage, ils ont senti le vent tourner, ils ont pris l’appel d’air et ça a marché ! Keblack, ça a pris de ouf, donc le choix stratégique était très bon, mais tout ça, développer des artistes, ça demande des efforts humains. Je me sentais pas mis sur le côté, parce que le studio était là quand j’avais besoin, pour les clips et tout, mais je sentais que tout ce qui était fait, je pouvais le faire de moi-même, donc je me suis dit que ce serait peut-être plus intéressant comme aventure de prendre le truc sur mes épaules ! C’est plus intéressant, tu touches à tout…
T’es plus fier du taf accompli quand t’as tout fait par toi-même ?
Ouais, c’est ça ! Et si ça part en couilles, c’est ta faute, t’as personne à qui le reprocher.
Ça t’a pas fait flipper au début de créer un label ? La dose de taf, et tout ?
Ouais, forcément ça met un peu de pression parce que c’est un challenge, t’auras pas d’équipe, donc pour l’oseille, tout ça… C’est marrant parce que justement le morceau PPR il parle de ça, le gars qui arrive à Paris se faire son oseille, monter sa structure, et c’est ce qu’on fait avec Karim en créant E2, et en l’écoutant CHI il m’appelle et il me dit « gros, t’as l’air stressé, c’est comment? Tu veux que je te paye un billet, tu rentres en Lorraine ? « (rires) Donc ouais je pense qu’il y avait une pression qui se ressentait un peu, parce que ça demande dix fois plus de réflexions, et… et tous ces gens qui téléchargent illégalement ne savent pas ! (rires) Non mais je les aime quand même, ils font le job aussi, ils font que ça marche… et puis tu repars à zéro en terme de réseau ! Parce que quand t’es chez BomaYé, tu sors un clip, déjà tu touches trois cent mille personnes, sur Youtube, le mailing et tout, et il faut reconstituer le réseau ! C’est ça le plus compliqué… surtout pour un autiste comme moi qui aime rester à la maison, bédave, fourrer des meufs et faire du son ! (rires)
Ton public est quand même assez fidèle, il a suivi le tournant à priori ?
Ouais ouais, mais à un moment donné pour choper un truc plus large, il faut du réseau tu vois, il faut des médias qui nous suivent, qui font le job pour nous, et vous êtes peu à le faire ! Si t’as pas les réseaux qui te suivent, les gens qui relaient, t’es mort ! Sans ça, je vais au Casino, j’ai plus de chance de péta un jackpot ! (rires)
Là, on y est, Parlons Beuh est sorti, tu peux recommencer à faire du fric en dormant (comme les bébés roms), c’est un huit titres, tu le vois comme un album ? T’attaches une importance au format toi ?
Alors Parlons Beuh c’est un EP le projet, un EP 8 titres au final après les nouveaux morceaux, mais après les noms… l’autre jour je regardais un reportage sur Arte, sur l’histoire de la musique, à la base le format album c’était une contrainte technique, quoi ! Les mecs ils s’en foutaient, mais je crois qu’à l’avenir je vais plus m’orienter vers le format court. C’est plus flexible, plus réactif… un album, c’est beaucoup de taf, les gens ils le consomment vite et ils passent à autre chose. Si sur une année t’as sorti l’équivalent de deux ou trois albums, c’est mieux que si tu te mets la pression, tu veux sortir un album, tu veux que ce soit ton chef d’œuvre, tu le prends, tu recommences, tu modifies, t’es jamais content, tu le sors jamais… si ça se trouve c’était bien au tout début, hein ! (rires) Je te jure, parfois c’est la malédiction des artistes, tu te mets trop de pression, le truc c’est le Graal, tu veux trop faire parfait, t’as l’impression que c’est ton gosse, wesh calme-toi ! (rires) Sors un morceau, va chier, c’est bon ! Donc je pense je vais plus m’orienter vers le format court ouais, c’est plus flexible, et puis tu peux changer d’humeur, alors que sur un seul album ça collerait pas forcément deux humeurs ensemble, c’est plus cool.
Aujourd’hui à l’ère du streaming, on privilégie souvent les formats longs pour générer plus de stream, je pense à Drake ou Lil Yachty qui sortent des projets d’une vingtaine de titres, t’es pas dans cette optique toi ?
En fait quand t’es un Drake, tu penses mathématiques, t’es archi connu, t’as je sais pas combien de gens qui te suivent, et quoi qu’ils ils seront là, tu te dis je fais douze titres j’ai douze millions, j’en fais treize j’ai treize millions… bah combien t’en fais ? (rires) Nous, la logique elle est différente, tu sais que t’es en indé, t’as pas la puissance de frappe d’un Drake en terme de média, de clips, de… de tout, on va même pas faire une liste, de tout (rires). Donc en fait la stratégie elle est différente, je me dis plutôt je vais essayer de quadriller toute l’année pour être la tout le long, les gens ils ont vu ma gueule tout le long, comme ça tu crées une habitude.
Du coup tu vas être plus présent maintenant ? Parce qu’avant PAN, ton dernier album c’était 2012 ?
Ah ouais… parle pas de dates, ça fait flipper ! (rires) Mais il faut savoir qu’entre Court-Circuit et P.A.N., j’ai fait que du son ! J’ai jamais autant de musique de ma vie depuis que je sors rien.
Ah ouais ? Tu fais de la musique pour d’autres, ou… ?
Nan nan, que pour ma gueule ! J’ai travaillé, je voulais arriver déjà avec des prods qui giflent, je fais beaucoup plus de prods. En général tous mes sons ils sont composés, à part très peu genre y’en a un sur Fénéné, mais c’est surtout beaucoup de compos,par exemple sur Cendrier tout est composé. Moi j’étais un fou de Timbaland, et de ses morceaux sur-arrangés, et moi je voulais être dans ce créneau-là. Tu vas voir des beatmakeurs, sans manque de respect, la grande majorité t’as l’impression d’avoir entendu le son quinze fois, les mecs archi chauds t’as vite fait le tour, et tu sais derrière qui tu passes, t’écoutes un son qui a déjà été écouté par untel, untel et untel, donc s’ils les ont pas pris, y’a des raisons. Les mecs archi forts, je les connais, je suis pote avec eux, les Richie, Chilea’s, Astronote, tout ça… mais je préfère mettre tout mon cœur de ouf à faire une prod, dont je suis archi fier, plutôt que d’aller gratter une septième, huitième prod à un gars. C’est pour ça que ça m’a beaucoup tenu à cœur de tout faire sur le projet, dans une branlette à la Kanye, je fais tout ! (rires) Survole, la partie free jazz, tout est joué, les lignes de contrebasses, machin, y’a pas de sample ! Et ça prend du temps, ces conneries-là.
Ouais donc tout ça, plus le label, et plus les Rap Contenders que t’as continué, d’ailleurs tu vas continuer les RC ?
Au feeling, faut voir qui tu me proposes ! Mais ouais, c’est marrant de se foutre sur la gueule comme ça… je serais chaud même d’aller essayer ça au Québec, faire un Word Up. J’aime bien, ils ont une décontraction, une décomplexion, j’sais pas, ils sont américains tu vois ! Ils sont fascinants ces cons, je trouve que scéniquement ils ont beaucoup plus de niveau qu’en France. Je trouve qu’on a des meilleurs rimes globalement, je sais pas si c’est culturel, ou objectif, mais je trouve que scéniquement ils pèsent dur, ils ont ce charisme en eux quoi.
Ils sont plus près des États-Unis, y’a pas de secret…
C’est ça.
On va parler un peu du projet quand même, Parlons Beuh, le concept c’est un peu conçu comme un spliff, tu técla sur Fénéné et t’éteins sur Cendrier ?
Ouais, hé t’as capté, t’es vif ! (rires) Même comme une journée un peu, à la fin t’as La voix des Anges, t’es toujours pas couché, ensuite y’a Mon Lit, et Cendrier c’est le lendemain quoi, quand tu te lèves et… pff, tu bades.
Est-ce que tu penses que tu peux parler à une communauté plus large que la communauté des stoners, avec un projet qui parle autant de beuh ?
Non, et puis c’était pas le but quoi, pour moi c’était vraiment ciblé. Après si ça parle à tout le monde je serai content, mais je ne me fais pas d’illusions, j’sais pas moi un mec sortirait un album sur les choux de bruxelles, gros je mange pas de choux de bruxelles, même si le truc est bien ça me parlera pas gros, j’aime pas les choux de bruxelles ! (rires)
Je vois l’idée, ouais.
Donc je peux concevoir qu’il y ait des gens qui se disent : ouais bah non, c’est pas pour moi. J’ai intégré ça dans les paramètres, ouais. Mais en tout cas ceux qui bédavent ils sont servis… et ça fait quand même un paquet de monde ! (rires)
C’est clair, et non seulement ça fait un grand public, mais surtout un public hyper fidèle, et au sein de ce public, est-ce que tu t’attends à ce qu’à terme, Parlons Beuh devienne une espèce de classique ? Enfin classique c’est un grand mot, mais au moins une espèce de référence ?
Franchement je suis archi mauvais pour calculer ces trucs-là. Genre Crame un gramme, j’ai juste fait un morceau de plus quoi, tu vois.
Ouais mais aujourd’hui, avec le recul, t’es conscient de l’engouement qu’il y a eu autour de ce morceau, de la position qu’il a ce morceau, pour les stoners français.
Ouais, mais c’est pour ça que je peux pas trop te répondre, parce qu’à l’époque je savais pas, comme pour Plus rien à foutre où je me fais sucer, je pensais pas que ça allait prendre comme ça. J’arrive pas à calculer quel morceau va prendre ou pas. Je commence à capter que les gens préfèrent quand je fais le con plutôt que quand je fais des morceaux sérieux, mais j’aime faire les deux, je ferais toujours les deux. C’est du feeling, il y a des morceaux qui sont totalement passés à la trappe, inaperçus, et que j’aime autant, voire plus que d’autres qui ont pris.
Le projet commence par Fénéné, tu le disais c’est un des seuls samples du projet, et c’en est un gros, Hits From The Bong de Cypress Hill, l’idée c’était de commencer le projet avec un hommage, quel qu’il soit, ou est-ce que c’était vraiment ce sample là, ce son là pas un autre ?
Ouais nan c’était quand même celui-là, c’était l’élu quand même. Ça faisait des années que j’écoutais ce morceau-là, et puis même le morceau de base, t’es dans Cypress, t’es dans Tarantino, Pulp fiction, il a une petite saveur particulière celui-là. Je prends très peu de samples, mais par contre quand j’en prends c’est vraiment le truc que j’ai voulu taffer toute ma vie. Je sais qu’un jour, je préviens déjà, je vais faire un son avec le sample de Grandma’s hands, qui a été repris à l’époque par BlackStreet pour No Diggity.
Tu vas reprendre ça toi ?
Wesh, trop ! Gros, le sample original c’est un de mes morceaux préférés de la musique ! Y’a des samples comme ça, tu sais qu’un jour… (profonde inspiration) tu les regarde de travers, tu sais qu’un jour tu vas le choper. (rires)
Le morceau d’après dans la tracklist, c’est Ma Femme Fume avec Tairo, après le gros sample de rap Us, c’était obligé de ramener une figure du reggae français pour le projet parlons Beuh ?
C’est clair que la connexion elle est totalement logique. À la base, j’ai eu une grosse période reggae français, à l’époque de Pierpoljak et tout, et Taïro ça fait tellement longtemps qu’il m’impressionne, le gars il est trop fort, en studio j’ai pris une claque monumentale ! Moi à un moment j’étais là je me disais : « bon gros, vas-y, je vais effacer mes couplets, je vais y aller, je te laisse les clefs, tu fermes ! » (rires) Il est trop fort, et ouais la connexion était archi-logique. A la base, quand je l’ai contacté, c’était même pas forcément pour faire un morceau pour Parlons Beuh, on cherchait un angle original, un truc cool, Taïro avait son morceau Bonne Weed qui avait beaucoup pris, et c’est un gars qui aime bien les madames, donc ça nous faisait déjà deux points communs, deux points communs bien crapuleux (rires). On s’est dit : tiens, il y a peut-être un alignement des étoiles, c’est vrai qu’on a jamais parlé du fait d’avoir une meuf qui bédave à la maison, est-ce que c’est bien, est-ce que c’est pas bien… le débat est lancé. Donc la connexion elle s’est faite, et j’en suis bien content, c’est vraiment une de mes plus belles connexions dans la musique, humainement il est archi-fort, il est humble, c’est tellement lumineux quand tu vois des gens tellement forts et qui ne se la racontent tellement pas ! Et investit surtout, le gars est resté toute la journée au studio, il est venu au mix, c’est un amoureux de la musique. Une de mes plus belles rencontres dans la musique. C’était beau, je suis ému. (rires)
Ouais, et le morceau défonce. L’autre collaboration dans le projet, c’est Sowlie, sur La Voix des Anges, là encore comment la connexion s’est faite ? C’est une meuf de Palace ?
Ouais, à l’époque elle n’y était pas encore, d’ailleurs. Je l’ai connue par Aelpéacha, et puis… comme j’aime bien les madames je te disais… ! (rires) Non je déconne, je l’avais entendue chanter, et elle chante magnifiquement bien. Et comme j’aime bien les madames… (plus de rires) [NDLR : cette histoire semble un peu floue]. Non, blague à part, elle chante super bien, elle de la vraie soul.
C’est un projet de rap, avec des airs de reggae, mais y’a énormément d’influences soul, folk même ; quelle musique tu aimes, ou peut peut-être t’influencer ?
Il y a un truc qu’on me dit souvent c’est : « j’aime pas le rap, mais j’aime bien ce que tu fais » ! Moi franchement j’aime beaucoup de choses, d’un mec qui tape sur une boite de concert dans le métro, à un concerto de Mozart, absolument tout… tu vois, tout le monde joue avec les mêmes notes de musique, il n’y a pas vraiment de genre, il y a plutôt des humeurs en fait. Ah toi t’es plutôt vénère souvent, t’utilises quoi ? Tout le temps des guitares électriques pour être vénère ? Ok, tu seras ça, mais c’est juste des humeurs au final, qui s’expriment différemment… après c’est relou les gens qui disent ça, t’as l’impression t’esquives la question, t’as aucune culture musicale (rires). Je crois que ma première grosse claque musicale, c’était du jazz. J’avais 6 ans, y’avait la bande originale du film Ascenseur pour l’échafaud faite par Miles Davis, et je dis à ma mère : c’est quoi ça ? Elle me dit du jazz, j’ai dit : ah bah j’aime bien le jazz. Après j’ai eu une période rock, et puis le rap après quoi. Et c’est le rap qui m’a ouvert à tout, par le sample, forcément.
Ouais, parce que ça peut puiser partout ?
En fait on est des connards, les autres ils sont plus forts que nous (rires). Beaucoup de jazz du coup, depuis que j’ai passé la trentaine je commence à ressentir les émotions du classique, l’harmonie, tu comprends le génie, au-delà de la forme… le classique, quand c’est joyeux ça me parle pas, tu sais les petits trucs pour les salons, les ducs et les archiducs qui s’enjaillent et tout. Mais quand ils sont tristes, les mecs ils sont tristes pour de vrai ! Putain ça devait être dur la vie, c’est des samples pour mille ans de rap new yorkais ! Les mecs ils sont trop tristes, c’est trop beau là les gars vous avez trop sublimé votre malheur ! Toute façon quand tu pars du principe que c’est que des humeurs, n’importe quel genre peut te plaire quand t’es dans cette humeur-là. Quand je suis vénère, je peux écouter du Pantera, du Rage Against The Machine, du Sepultura, des trucs de bourrin, parfois des trucs tout doux… faut pas se priver, tout est bon.
Vraiment selon l’humeur, quoi.
C’est ça.
Ce projet il a une cohérence thématique, mais musicalement il y a trop de choses pour le qualifier d’une façon ou d’une autre, à part le fait que ce soit ton ADN sur chaque morceau tu lui trouves une cohérence musicale ? Le fil rouge il est plus thématique que musical.
Ouais, c’est une question d’humeur encore une fois, et t’as tout résumé, c’est la cohérence du thème global qui légitime les changements d’humeur dans le projet. Quand tu parles du bon côté fédérateur, jovial du bédo, Fénéné et tout, il te faut du très joyeux, après quand y’a des trucs plus sombres tu vas à l’inverse… mais par exemple dans les albums d’un Jacques Brel, il ne se privait d’aucune humeur, sur un album tu pouvais avoir Ces gens-là, archi triste, juste après le mec il glousse, tu enchaînes sur la musette et le désespoir, mais tu nous fais ta musique quoi. Donc c’est vrai que le projet il part un peu dans tous les sens musicalement, et il pêche peut être un peu de ce côté-là, mais c’est des choix… c’est dur d’équilibrer un projet, une couleur en plus et t’es pas cohérent, une en moins et tu fais un truc redondant, donc c’est pas facile le dosage sur ces trucs-là.
C’est déjà ce que je m’étais dit en écoutant PAN, qui part un peu dans tous les sens, mais au final PAN et Parlons Beuh sont un peu dans une sorte de continuité, la cohérence est peut-être dans l’ensemble… ?
Il faut prendre de la hauteur pour voir le big picture ! Vous avez rien compris, vous comprendrez dans mille ans ! (rires)
Au-delà du côté musical, le projet est très riche lyricalement aussi…
On fait des albums de riches, t’entends ! (rires)
Des albums de riches en indé ! (rires) Lyricalement je retrouve deux facettes, d’un côté un amas de punchline sur punchline, et un côté story telling important aussi, sur le morceau avec Taïro, ou Bédo, Bonne Femme et Sirop Pour la toux, ce côté story telling il t’intéresse ?
Ouais, j’en ai toujours fait, et c’est un exercice qui m’a toujours impressionné.
Chez les autres ?
Ouais, Disiz il savait faire ça direct, Jacques Brel on en parlait, même chez les cainris des Slick Rick et tout… c’est ce que je disais à Youss, je l’ai toujours saoûlé pour qu’il fasse un morceau comme ça parce que Youss en vrai, c’est le meilleur storyteller que je connais dans la vraie vie, quand il te raconte une histoire gros c’est genre tu te mets en tailleur et « vas-y tonton Youss raconte-nous une histoire ! »
C’est Père Castor genre ?
De ouf ! Il a l’art du conteur. Il peut te raconter n’importe quoi, il est captivant. Et je trouve qu’en musique, le meilleur moyen de faire passer un message, c’est par l’exemple, et en racontant une histoire tu peux parler autant que si tu faisais un morceau général en parlant de grandes choses. Une histoire peut contenir autant de phases qu’un morceau ou tu parles de tout et son contraire, mais t’as un fil directeur, tu prends le gars par la main, tu racontes un truc, et j’ai l’impression que ça sert plus un message. T’avances dans une histoire, t’as un début, une fin, une chronologie… c’était le rôle des fables, avec la morale à la fin ! Donc ouais, la preuve par l’exemple vaut plus que toutes les théories, les grands discours…
C’est un truc que t’avais dit dans La Sauce : quand t’incarnes la saloperie, t’as plus d’impact que quand tu la dénonces.
Ouais voilà, c’est ça ! C’est pour ça que les gens ils se sont butés sur Booba, le gars il a incarné the infamous quoi ! S’il avait dénoncé ce qu’il raconte, il aurait jamais eu autant d’impact sur les gens qui sont censés être révoltés contre ces trucs-là. Une Keny Arkana, je pense qu’elle révolte moins les anti-capitalistes que Booba ! Booba c’est : ouais gros, on va vous brûler ! Ça marche mieux, le cerveau reptilien, tout ça (rires). On fonce.
Entre ce côté de story telling et l’amas de punchline, t’as souvent cette position de chroniqueur, je repense aux AFPAN aussi, tu pourrais faire de la musique juste pour déconner, sans qu’à un moment donné il y ait un message derrière ?
Ouais, bah les deux franchement. Tu vois, je me réveille pas le matin en disant « Ah, la Palestine, machin », je me réveille, je bande, c’est tout! (rires). Quand je faisais AFPAN, j’avais l’impression de tricher un peu, en le faisant autant : oui, je m’occupe de l’info, je surveille tout ça, mais je surveille un peu ça comme un gars qui surveille son concert. Ah ouais, on en est où ? Ah ouais, ça se propage… je m’en fous de la géopolitique, en vrai dans la vie, mais faut surveiller un peu, tu vois. Donc j’ai arrêté parce que j’aime pas parler de ce que j’ai pas vu ou vécu concrètement dans la vie. Je sais déjà pas ce qu’il se passe dans mon dos, alors en Palestine ou dans les sphères maçonniques gros… (rires) Faites votre truc, moi le mien, quoi. Si tu veux faire de la géopolitique, il y a des gens qui font ça et qui feront toujours ça mieux que toi, tu dépendras toujours d’eux, t’es juste un relayeur, t’es au pis de la vache mais la vache c’est qui ? Ça fait des morceaux froids, tu racontes des trucs mais il n’y a pas les tripes.
T’as souvent un regard assez critique sur la société, mais il y a toujours un truc un peu désabusé qui en ressort. Pas comme si t’en avais rien à foutre, mais tu parles du destin qui passera le balais, ou que tu te mets à la place du mort parce que tu laisses le destin conduire, comme si de toute façon quoi qu’il arrive, il y aura une sorte de rédemption qui arrivera par le destin ?
C’est le bouddhiste, laisse aller ce qui vient, laisse partir ce qui part ! Parfois je me demande même si on fait vraiment des choix dans la vie ? Est-ce qu’il y a des raisons de se prendre la tête, je sais pas, t’arrives dans un magasin, il y a un pull rouge, un pull bleu. Tu te demandes lequel tu vas prendre, t’en choisis un, on s’en branle duquel. T’as l’impression d’avoir fait un choix, mais en définitive c’est une généalogie événements qui t’y a amené, un jour t’es tombé dans un truc bleu donc t’as pas aimé et t’as pris le rouge, je sais pas si on fait vraiment des choix ! J’avais une meuf un moment qui était en études de psychologie, elle m’avait parlé d’une étude qui avait été faite je ne sais plus quand, par un certain Benjamin Libet. Ils ont placé des électrodes sur une femme, ils l’ont foutue dans une pièce, devant un bouton, et il lui ont dit t’appuies quand tu veux sur le bouton. Il n’y a aucun facteur extérieur, nous on se barre, t’appuies quand tu veux. Et ils ont capté qu’avant les manifestations électriques dans la zone consciente du cerveau, il y en avait déjà dans la zone totalement inconsciente qui n’a rien à voir avec les choix ! C’est jamais un choix bordel, je crois qu’on ne fait aucun choix… et pourquoi je parle de ces conneries-là ? ah oui, si c’est ma philosophie parce que je crois que c’était ça ta question ? (rires) Ouais, je crois que ma philosophie c’est qu’on est spectateur de nous-mêmes, même quand tu fais tous les efforts du monde, ta propre volonté t’as pas eu le choix de l’avoir, c’est si t’as eu la chance d’avoir des gens qui t’ont donné de l’espoir, de la force, du courage, mais tout est déjà là , et tu composes avec. Même quand j’écris parfois, je cherche une bonne rime, ça ne vient pas, et puis un jour je suis en voiture je pense à une connerie et ça marche, et j’ai rien fait pour, j’ai rien branlé pour la trouver, et quand j’essaie je ne trouve pas. Mais à quel moment tu choisis dans tout ce merdier ? Jamais, je crois, et partant de ce principe, tu t’en bats les couilles, tu regardes ! Premier rang, pop corn.
Le but, c’est juste de profiter du spectacle ?
C’est ça, comme dans Chaise Longue ! Trouver une chaise longue et profiter du spectacle.
Ta musique, c’est un peu le reflet de ces idées ?
Ouais, à la base j’aime bien faire marrer, j’aime bien les gens qui me font marrer, et j’ai grave du respect pour les gens qui me font voir les trucs sous un nouvel angle, je me disais que j’aimerais bien être ça pour d’autres gens, donc c’est ces ingrédients-là, on se marre et on apprend un peu. Les cainris ils ont un mot pour ça, c’est l’edutainment. Il parait que le cerveau apprend mieux quand il joue, donc on joue à raconter deux trois conneries et à rapper !
Parlons un peu beuh, maintenant. Dans Crame un Gramme, en 2012, tu dis que tu fêtes tes quinze ans de bédave. Là, dans Parlons Beuh, tu dis pas que tu fêtes les 20 ans, tu dis que t’as arrêté de compter… ça commence à être chaud les années ?
Ouais, à la base je voulais faire la référence, mais quand j’ai commencé à écrire 20 ans de bédave, je me suis dit ah ouais, c’est chaud là, vingt ans ça pique… je me suis dit nan, je préfère même pas compter. Après j’ai arrêté pendant deux ans, j’étais passé au vapo, je fumais que de la weed au vapo… c’était tellement bien ! Mais après pendant longtemps j’ai eu un formidable teuchi, que je pouvais pas fumer au vapo.
Tu peux faire de la musique sans fumer ? T’as déjà essayé, au moins ?
Ouais, je peux le faire… je crois même que c’est mieux, j’avais essayé une fois, un jour je voulais couper court à cette folie de se coucher à 10 heures, se lever à 17 heures, parce qu’à l’époque c’était chaud, maintenant je me suis régulé un peu quand même (rires). Dans Parlons Beuh il y a une phase où je dis que si je me couche de plus en plus tard peut-être qu’un jour je me lèverai tôt, j’ai fini par faire ce tour du cadran, et là je me suis dit que c’était chaud quand même. Donc si ouais, ça m’est arrivé une fois j’ai essayé, j’ai fait un son le matin, sans fumer, parce que j’aime pas trop fumer tout de suite dès le matin, je me laisse un peu de répit. Enfin le matin… au réveil on va dire, comme ça c’est clair (rires).
Ah, t’es pas dans cette shit de wake’n bake ?
Je le faisais, maintenant je me rattrape plus dans la journée on va dire, là j’aime bien me laisser d’abord cinq six heures pour garder la forme, faire du sport… à vingt ans tu peux faire ça, à trente ans tu peux plus, sinon t’es mort, gros. Sinon, le son, c’est quand même trop lié, je pourrais pas me dire de faire du son sans bédave. CHI il a arrêté de bédave y’a pas longtemps, je te lâche un scoop, et il me dit : maintenant quand je fais du son, j’ai l’impression d’être un allemand ! (rires) C’est carré, ça tue, mais y’a pas la fougue, quoi.
Comment t’as commencé à fumer ?
Avec le basket. Dans mon équipe de basket on était bons, on faisait les championnats de France, mais on était une équipe de stoners ! Je voulais faire du basket à une époque, donc je faisais sport études, mais on était une équipe de stoners. On faisait des meilleurs matchs quand on était déchirés de la veille… le paradoxe total, le non-sens, le mec a commencé la drogue dans le sport de haut niveau (rires). J’sais plus qui avait dit que le milieu de la drogue était pas aussi pourri avant que le sport y fasse son entrée ! (rires)
C’est par rapport à ça que tu dis que c’est le sport la base de toutes addictions dans Parlons Beuh ?
Ouais, voilà !
Tu te verrais pas arrêter de fumer aujourd’hui ?
Si, pour la santé… en fait le tabac, c’est mauvais, ça me bute à force, et quand t’as du bon shit tu es obligé d’en mettre un peu, et c’est vrai que c’est une vraie merde ça le tabac. Mais le bédo, gros, dans notre corps on a des récepteurs à cannabinoïdes, on est fait pour cette merde ! Donc je pense pas que j’arrêterai le cannabis, mais j’arrêterai peut-être de fumer, je me ferai des gâteaux, ou je sais pas.
C’est quoi ton avis sur la législation du cannabis en France ? La façon dont c’est traité juridiquement, et socialement ?
Moi j’ai eu la chance de jamais me faire péter pour des trucs trop grave, mais je connais tellement d’histoires contradictoires à ce niveau-là. Déjà, quand tu interdis un truc, tu sais qu’il y aura deux vitesses, ça on la connaît la justice à deux vitesse, et puis pour mon avis, je vais quand même répondre comme un mec de trente piges : tu sais que dans l’usage que la majorité des gens en font, ce n’est pas très bon, t’as du teuchi dégueulasse, coupé, donc c’est peut-être un bon argument pour la légalisation, mais en l’état actuel, vous allez vous déchirer, vous allez encore agrandir le trou de la sécu, vous allez pas chercher du taf ? (rires) T’es l’État, t’es le papa de toute la France, tu dois être un peu autoritaire, ça se comprend que la loi elle soit comme ça. Après, la position elle est un peu ambiguë, les gars soit vous légalisez soit vraiment vous dites que c’est pas bien et vous faites des lourdes peines, mais là à la fois on fait de la répression, à la fois on sait que tout le monde bédave donc on fait pas trop de lourdes peines, ça alourdit le système judiciaire pour rien, en même temps à Amsterdam où ils ont légalisé les premiers en Europe, c’ était la débandade l’afflux de touristes, les hollandais ils pétaient un câble, le carnage quoi… c’est dur de trouver des lois justes, je pense quand même qu’à terme si les pays européens légalisaient ce serait une bonne chose parce que c’est du business, et puis ça permettrait de contrôler un peu mieux ce que les gens bédavent, malgré tout. Dans le colorado ils ont légalisé, ils ont fait tellement d’oseille qu’ils ont dû rendre de l’argent aux gens !
C’est vrai que la position est un peu bancale à ce niveau-là.
Ouais, ça peut pas être la débandade, open-bar et tout le monde se déchire, mais tu ne peux pas mettre des lourdes peines, parce que tout le monde bédave et que ce serait n’importe quoi, t’imagines le nombre de dossiers, de paperasses, d’énergie ? Finalement, c’est toujours l’usage qui fait la loi, si personne suit la loi elle sert à rien elle existe plus… je trouve qu’à Barcelone, il y a un bon système, tout le monde est répertorié, et même on pourrait aller plus loin, okay tu bédaves, tu sais que tu vas niquer ta santé d’une façon ou d’une autre quoi qu’il arrive, tu sais que tu vas tirer sur la sécu, on fait une caisse avec tous les bédaveurs : vous voulez mourir comme ça ? Et ben préparez votre mort, cotisez pour vos conneries ! Même franchement, j’ai jamais tapé là-dedans, mais même pour la coke je dirais vas-y, vous voulez taper là-dedans ? Bah allez-y, ça rentre dans les caisses de l’état, vous êtes contrôlés, pas le droit de prendre plus de tant par mois… parce que je connais des gens qui sont dans la coke, ils le vivent très bien, une ou deux fois par mois en soirée, ils mènent une vie normale, mais y’a des vrais problèmes d’addictions aussi. Ce serait plus raisonnable d’encadrer toutes les drogues, parce que t’arrêteras jamais le truc, de tout temps, l’homme s’est drogué, on aime cette merde ! C’est pour ça qu’on court autant après la drogue, gros t’as pas envie de bouffer des cailloux par terre, on en veut pas ! (rires) Si on prend autant, c’est qu’on en veut bordel, c’est que ça marche ! Si j’étais l’État, je les légaliserai toutes, je les encadrerai toutes, c’est du biff ! Vive la drogue ! (rires) En vrai, dans ma musique, il n’y a aucun morceau de glorification, mon discours c’est pas du tout déchirez-vous, c’est plutôt faut faire du sport, faut recracher son bédo sinon t’es mort, mais moi la beuh elle a sauvé ma vie, je serais totalement différent si j’avais pas commencé à fumer, ça m’as tout fait voir différemment !
Ouais, ça fait réfléchir différemment ?
Ouais, et ça fait foirer ses études différemment ! (rires) Et ça m’a calmé de ouf, les gens devraient plus fumer parfois, ça t’enlève une rage, mais c’est vrai aussi que si t’as un terreau de schizophrénie en toi, ça peut te le déclencher, c’est pas forcément bon pour tout le monde.
Ma dernière question, je l’emprunte à B-Real et sa smokebox, je pouvais pas finir autrement : c’est quoi ta beuh préférée ?
Ah putain, y’en a beaucoup, mais je vais dire la Taipan Kush. Je vais être obligé de te répondre ça, y’en a tellement des beuh que j’aime… mais j’ai une préférence pour les sativa, j’aime pas les trucs qui cassent, je préfère les trucs légers.