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[Interview] Thia One – Ces talents cachés qui ne demandent que la lumière

Son blase c’est Thia One, graffeuse spécialisée dans le old school, le B. boy et le lettrage assez block. Ses  inspirations c’est Dondi, T-Kid à l’ancienne et bien d’autres… Après avoir participé à un gros projet à La place, le nouveau centre hip hop parisien, elle a accepté de passer un peu de temps avec nous pour parler de sa passion et de sa présence au New Morning ce soir. Avec nous il y a Maydin du New Morning et bien sur Koma.

Ça t’est venu comment l’envie de taguer, en voyant les graffs sur les trains?

J’ai découvert ça en 87. À l’époque je dessinais énormément et il y avait des tags dans le métro, partout,  il y avait vraiment beaucoup de choses. Moi j’étais une petite encore, à cette époque et on va dire que j’ai eu la chance de pouvoir aller à certaines sorties. La chance et à la fois la malchance de pouvoir être dans la street. C’est comme ça que j’ai découvert le milieu du graffiti. C’est en étant toute seule mais aussi en suivant des copines qui étaient plus âgées, et là j’ai commencé à connaître des bandes. A l’époque je voulais danser, taguer, j’avais pas beaucoup de sous parce que j’étais une ado donc je faisais avec ce qui me passait sous la main. J’étais dans le quartier du 15 ème, je bougeais beaucoup à Odéon, Saint-Michel.

Étonnant du graff à Odéon!

À l’époque il y avait énormément de soirées à Saint-Michel, c’était les soirées vraiment hip hop de base. C’est là que tout le monde se rencontrait et surtout les bandes. Mes premiers rides c’était à 14 ans. J’étais pas du tout dans le quartier Stalingrad, j’étais pas du tout là-dedans.C’était un autre quartier, une autre image. Souvent les gars avec qui je bougeais n’étaient pas des graffeurs, c’était des mecs de bandes. Ça traîne, ça va en soirée, ça danse… Dès que j’allais dans un endroit je mettais ma marque, à l’époque je taguais Slowly, et je dessinais souvent une nana. Je m’inspirais du bouquin « Spray can art » que ma mère m’avait offert et j’ai découvert le milieu du zulu nation par un numéro spécial hip hop du magazine « Actuel » . J’étais une petite ado toute seule dans mon délire et comme j’aimais dessiner, j’ai recopié, je me suis inspirée, parce que j’en avais besoin. Je me suis fait ma petite personnalité.

 

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Ton blase « Thia One «  tu ne l’as pas depuis le début?

Ça m’est venu après parce que à un moment donné j’ai voulu m’affirmer. J’ai grandi en Guinée et je suis l’homonyme de ma grand mère donc quelque part c’était une manière d’avoir un souvenir pour elle que d’utiliser ce blase. Pour moi signer Thia One c’est important.

Tu insistes beaucoup sur le fait que le graff et le street art sont deux disciplines différentes, tu peux nous dire pourquoi?

Il s’agit de ma vision personnelle. Le graffiti à la base c’est vraiment du lettrage, ça vient du tag. Il faut que ton blase soit mis partout pour qu’on le voit, il faut qu’il bouge. Après, effectivement il y a eu du personnage rajouté mais vraiment la base c’est les lettres et le perso pour habiller ton graff si t’as du temps sur un terrain.
Le street art ça vient du graffiti, c’est une espèce de suite. C’est plutôt des artistes, c’est pas pareil. Quand tu es vraiment graffeur tu n’est pas un artiste à la base.

C’est plus un acte de rébellion?

Je ne vois pas ça commun acte de rébellion, c’est plus une revendication soit de soi-même, soit politique, ça peut être plein de raisons pour chaque personne. Chaque mec qui va taguer ou graffer va mettre sa personnalité sur le mur, sur le métro ou sur le train. Il y a plein de revendications différentes mais ce ne sont pas des artistes. Ils n’ont pas été en école d’art ni rien. Ils ne veulent pas montrer leur art, ils veulent montrer leur blase.  Plus tu signes partout, plus tu voyages, mieux c’est pour toi. Tu montres que tu es en place,  que tu es là et les autres le voient.
Le street art c’est des artistes qui montrent leur arts mais dans la rue. L’idée c’est de sortir un peu de son petit atelier, de sa petite galerie. De l’art dans la rue. C’est pas du tout le même milieu. Il y en a pour qui ça va être de la sculpture, du collage, une peinture sur un mur. C’est vrai qu’il y en a de plus en plus qui  utilisent l’outil de la bombe parce que c’est intéressant. Avec la bombe tu n’as pas besoin de sortir tes pinceaux, ça va vite, ça sèche vite c’est génial. Ce n’est pas la revendication du lettrage et de ton blase. Le street artiste fait peut-être aussi pour acquérir d’avantage de visibilité parce que maintenant dans le monde de l’art il y a beaucoup de gens, c’est une manière de se sortir un peu de chez-soi, du milieu un peu internet, etc… les gens se baladent dans la rue et c’est une galerie d’art. Tout se mélange et se côtoie.

Tu es plus graffeuse ou street artiste?

Je me revendique graffeuse parce que quand je peins pour moi-même, je ne peux pas faire un personnage tout seul, il faut que je fasse un lettrage. Je fais du block, je kiff les remplissages à la Dondi, vraiment années 80 et j’aime beaucoup faire des personnages à l’égyptienne. Par exemple en France celui que j’aimais beaucoup dans ses personnages c’était Moze. Il est super bon en B. Boy.
Quand je prends une bombe j’ai vraiment envie de faire ce que j’aime, ce que j’ai vu et aimé dans les années 80 en France et dans les magazines provenant des États-Unis, parce que je n’ai jamais mis les pieds aux États-Unis.

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Il y a une grosse influence américaine dans ton travail

Oui et je crois que c’est pareil pour toute ma génération. Au niveau du hip hop, du rap, on était inspirés. Je te le dis franchement avant que ça arrive en France j’écoutais du rock, de la musique de mes parents. J’ai connu le rap surtout par le rap américain. Il y avait Roxanne Shanté et des meufs comme ça qui avaient des grosses boucles d’oreilles, c’était des filles black qui se revendiquaient, qui rappaient. Moi j’étais une petit black et j’avais envie de ressembler à ces meufs là parce que en France il n’y avait rien pour nous représenter. Des grosses boucles d’oreilles en pyramides, des coupes de ouf … Moi je kiffais. C’est mes inspirations et c’est devenu ma personnalité. C’est ma représentation personnelle de ce que j’ai pu voir et de ce que j’ai pu aimer. Après il faut laisser de la place à tous les styles.

Tu as remarqué une évolution de la présence féminine dans ce milieu?

Oui c’est sur! Il ne faut pas oublier que les années 80-90 c’était l’époque des bandes, des dépouillages, des viols, des serrages de meufs etc… donc, nous les filles, on était plutôt garçons manqués. On était obligées d’être là en force et de montrer aux gars qu’on était pas des taspés. Et ne pas être une taspé c’est mettre un jean large avec un body, un sweat shirt, un gros blouson, une grosse doudoune et des grosses baskets. On voulait être aussi fortes que les mecs et on était pas beaucoup.
Maintenant c’est beaucoup plus cool, il n’y a pas ce truc ou tu peux te faire agresser ou embrouiller tout le temps. Par exemple, avant on était obligées de savoir se taper.  Maintenant tu n’as pas besoin de savoir c’est tranquille. C’est beaucoup plus ouvert, c’est un peu peace and love. Ça laisse de la place aux filles et elles ont su s’imposer de manière différente.

Maintenant c’est beaucoup plus facile de devenir graffeur ou graffeuse?

Mais c’est carrément plus facile.  Avant à part les bombes pour peindre les voitures que tu pouvais pecho au supermarché, ou ceux qui avaient la chance d’aller aux état-unis, il n’y avait rien. Quand t’as pas d’argent, tu te débrouilles avec ce que tu peux. Il n’y avait pas tous les magasins et tous les choix de caps que tu as maintenant. Tu peux même les commander sur internet, t’as plein de couleurs, plein de bombes différentes, pas de pressions, grosses pressions… Et puis aujourd’hui c’est toléré dans Paris, tu peux peindre tranquille, ça n’a plus rien à voir.

Tu penses quoi du coup de participer à la soirée au New Morning avec uniquement des filles à tous les postes?
Je trouve ça cool. Le fait de se regrouper et qu’il n’y ai que des femmes, mais en même temps c’est vrai que je préfère peut être les festivals où on est avec les mecs aussi. Parce que je me vois en tant qu’artiste, je ne me vois pas en tant que femme. C’est bien qu’il y ait des soirées comme ça parce que ça apporte une visibilité à toutes les nanas qui font plein de trucs au niveau de la danse, du rap, du Dj-ing, de la peinture, et plein d’autres choses …  Mais il ne faut pas oublier que ces meufs là vont aussi dans d’autres festivals où il y a aussi des mecs et elles sont présentes en tant qu’artistes et pas en tant que femmes.

Maydin:  Je voudrais rajouter que justement quand on a commencé à réfléchir à cette soirée avec Koma, on a choisi une identité visuelle qui n’était pas axée sur le 100% meufs. On a pas mis le logo avec que des meufs ou l’affiche standard mais en rose. On voulait représenter la femme, et je pense que toute à chacune se représente comme étant artiste avant tout. Le fait est que ce ne sont que des femmes donc forcément ça enclenche une discussion mais on ne joue pas sur l’aspect exclusif.

Koma: Le rap game est peut être matcho mais le rap conscient ne l’est pas du tout, et c’est même peut-être de là que les meilleures artistes rap femmes sont sorties.  Avec cette soirée on fait un état des lieux de 1990 à nos jours. Honneur à ceux qui ont disparu et qui ont compté dans le hip hop. Il faut faire perdurer les choses.

Maydin: Il y a un devoir de mémoire dans ce qu’on cherche à faire de toute façon.
Et pour rebondir sur ce que tu disais tout à l’heure on a changé d’époque aussi, c’est à dire qu’à un moment donné les gens qui vont s’intéresser à notre soirée sont sur une tranche d’âge mature. Ils ont une vision de la parité qui a un sens, on ne vise pas un public très très jeune. Et ce qui est fort c’est que tous les arts du hip hop sont représentés.

Le mot de la fin?

Viens découvrir tous ces talents qui sont souvent cachés et pourtant qui ne demandent que la lumière.  Peace, love & unity

 

Retrouvez l’évenement au New Morning par ici: https://www.facebook.com/events/1600348700292987/

Eleonore Santoro

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"Si vous ne vous levez pas pour quelque chose, vous tomberez pour n'importe quoi." Malcom X

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