Il aime les films d’horreur italiens. Le rap et le métal. Le foot à l’anglaise et les mafias du Japon. À l’occasion de la sortie prochaine de son album « Éloge de l’ombre », je me suis entretenu avec le rappeur bayonnais VII. Artiste discret et externe au circuit rap habituel, le Mc aux textes sombres et souvent très personnels a accepté de répondre à mes questions et d’en dire davantage sur lui.
Salut VII. Pour ceux qui ne te connaitraient pas, tu as commencé le rap en 1995. Tu pourrais nous résumer brièvement ton parcours ?
En 1995 j’écoutais déjà du rap depuis quelques années et avec Âme (le graphiste actuel du label) on avait monté un groupe sur Bayonne, ça s’appelait Les Fils du Vice. Suite à un concert, un DJ du coin nous a demandé de bosser avec lui et à ce moment là on a monté le collectif Poison Rouge. On a même sorti un mini-album sous ce nom-là, un projet appelé « L’élément perturbateur ». En 2002, on a décidé de monter sur Bordeaux pour s’investir à fond dans la musique, on a fait la rencontre de diverses personnes et on a monté le label Sonatine en 2005 pour auto-produire les projets de plusieurs artistes. Il y a eu une sorte de scission par la suite puis on a crée mon label actuel Rap And Revenge. Aujourd’hui, j’en suis à mon huitième album solo et j’ai aussi travaillé sur une dizaine d’albums qui n’étaient pas les miens. En gros, j’ai consacré ma vie à tout ça très jeune et je continue encore aujourd’hui à avancer de la même manière.
On dit parfois que tu es le représentant de l’horrorcore français, certains vont même jusqu’à te comparer à Necro. J’ai cru comprendre que tu n’aimais pas ce qualificatif ni forcément la comparaison avec le rappeur américain. Peux-tu m’en dire plus à ce sujet ?
Effectivement, je n’ai jamais prétendu faire partie de la « scène horrorcore ». C’est un terme vague qui met dans le même sac des rappeurs dont la musique n’a pas vraiment de rapport. Jusqu’ici j’ai seulement eu l’impression de faire du rap très sombre. Après, la comparaison avec Necro est compréhensible en ce qui concerne certains titres et références. Il est l’un des meilleurs producteurs du monde, il a beaucoup de talent mais le personnage n’a au final aucun rapport avec moi.
On sent dans tes textes, tes ambiances et souvent le choix de tes instrumentales que ton influence vient en partie du rap et en partie du métal. Quelles sont tes influences dans les deux domaines ? Est-ce que tu as fait du métal avant de faire du rap ?
Ouais, le métal a été la principale influence de pas mal de mes premiers albums. En gros, je retranscrivais à ma manière ce qui me faisait vibrer le plus chez les groupes que j’écoutais. Death, Obituary, Slayer, Metallica, Megadeth et bien d’autres ont été des modèles pour moi, je continue à les écouter encore aujourd’hui d’ailleurs. Mais j’ai directement commencé par le rap, alors que d’où je viens la scène rap était quasi-inexistante et que, par contre, la scène punk et rock alternatif était très présente et m’a aussi beaucoup influencé, surtout dans son esprit « Do it Yourself ». J’ai fait du métal un moment, mais avec le temps que me prenait le rap, je ne pouvais pas concilier les deux et j’ai dû faire un choix.
Lorsque ton rap ne se situe pas dans le gore ou la fiction (on voit dans ces moments-là que tu apprécies les vieux films d’horreur), est-ce que tes textes sont influencés directement par ton vécu ?
Ouais, bien sûr. Je pense qu’il est facile de faire la distinction entre le premier et le second degré dans mes morceaux. Après on choisit toujours un angle artistique pour retranscrire sa réalité. Les miens sont assez noirs et pessimistes car j’ai toujours pris ça comme une forme d’art subversive.
Il m’a semblé que récemment tes sons étaient justement beaucoup plus introspectifs et moins gores. Tu as toujours un peu mélangé les deux, mais j’ai l’impression que la ligne qui se dessine actuellement penche davantage du côté intimiste. Est-ce que ce n’est qu’une impression ?
Oui, mon écriture a pris un tournant à la fois plus poétique et plus politique, c’est très clair. Pas seulement parce que j’ai déjà sorti beaucoup d’albums « gores » mais parce que j’en ressentais le besoin profond. J’ai fait le point sur tout ça, j’y ai longuement réfléchi. Je voulais garder le côté underground, le côté sulfureux mais je voulais aussi écrire simplement de belles choses, des choses plus profondes et plus sérieuses.
Je sais que le rappeur Fayçal, qui a sorti l’excellent album « L’or du commun » il y a deux ans faisait partie de ton entourage direct (c’est toi qui l’a révélé). Depuis quelques albums, vous ne collaborez plus. Est-ce dû à des choix artistiques différents ? Peut-on espérer revoir des titres communs de VII et Fayçal ?
Je respecte beaucoup son travail, il est certainement l’un des meilleurs rappeurs du pays, en tout cas c’est l’une des plus belles plumes que j’ai croisées. Mais j’accorde de l’importance à la parole donnée, aux promesses, aux valeurs de sacrifice… Je crois qu’il en a fait les frais, lui comme beaucoup d’autres. Je suis intransigeant sur certains points et j’ai préféré poursuivre ma route sans lui à un moment donné et ne m’entourer que de ceux qui avaient une vision plus radicale de la musique. Je pense avoir bien fait car sinon tout n’aurait été qu’une succession interminable de conflits. En ce qui concerne d’éventuels titres en commun, j’avoue n’en avoir aucune idée pour le moment mais c’est une question qu’on me pose souvent.
En plus d’être rappeur, tu composes pas mal de tes beats. J’ai remarqué que tu étais adepte des samples. Où trouves-tu ton inspiration ?
Tu sais, être beatmaker ce n’est pas du tout comme écrire. D’accord il y a une notion d’inspiration mais elle est bien moins importante que dans l’écriture pour laquelle l’inspiration est une des données principales. Quand tu fais un beat, tu prends ce qui te plait, tu le bricoles, tu le tritures jusqu’à que ça puisse mettre le mieux en valeur ton texte, en tout cas, c’est dans cette optique que j’ai toujours travaillé mes instrus.
Habituellement, tu sors un album à peu près tous les ans. Lorsque tu n’en sors pas, tu révèles des artistes (comme 1984 il y a deux-trois ans). Deux ans se sont écoulés depuis la sortie de « Culte » et ton nouvel album devrait sortir en octobre 2015. Ce délai plus long est-il dû à une raison particulière ?
Oui, ce n’est pas parce que j’ai pris des vacances ou du repos, bien au contraire, c’est plutôt tout l’inverse. C’est parce que j’ai pris le temps de tout remettre à plat, d’écouter et de prendre en compte les critiques, de retravailler mes bases, d’étudier de nouvelles techniques d’écriture, de flow etc… C’est la première fois aussi que je ne place pas sur un album tous les titres que j’ai enregistrés. Pour celui-ci je n’ai sélectionné que ce que je considérais comme le meilleur, le plus abouti et au bout du compte ça change beaucoup le résultat. On obtient quelque chose de plus mûr, de plus épuré. Je me suis aussi appuyé sur énormément de lectures pour écrire mes textes et ça, ça prend beaucoup de temps. Un titre de l’album me tient particulièrement à cœur, un titre auquel je songe depuis que j’ai commencé le rap, c’est un morceau qui m’a demandé un travail considérable de préparation. J’ai ressenti une forte pression sur cet album, un stress important car je sais que cet opus est un tournant capital de mon travail.
Justement, parlons un petit peu de ce nouvel album, « L’éloge de l’ombre ». Un clip doit sortir très prochainement mais on ne sait que très peu de choses sur le disque. Peux-tu nous en dire un peu plus sur ce projet ?
Cet album est un retour aux sources, un nouveau départ. C’est un projet qui me ressemble, un projet à la fois très personnel et tourné vers le monde. C’est aussi mon album le plus politique, j’y parle de mes opinions clairement et sans détour, car jusqu’ici je n’ai peut-être pas été assez clair sur ces points-là. Cet opus a été long, dur et douloureux à concevoir mais c’est la première fois qu’un de mes disques me satisfait à 100%, c’est de loin l’album dont je suis le plus fier à ce jour.
Avant de refermer l’interview, est-ce que tu aurais un mot à dire sur le panorama français en termes de rap ? La ritournelle « le rap est mort », c’est des conneries ?
Comme je dis dans mon album : « le rap est mort pourtant moi je me sens renaître… ». Le vrai rap n’est pas mort tant qu’il reste une poignée de mecs pour le faire vivre. Après oui, le rap mainstream est, selon moi, une musique qui n’a plus aucun intérêt. On a atteint ce qui se fait de pire en matière musicale et ce n’est sûrement pas près de changer, mais bon… du rap j’en écoutais, j’en écoute et j’en écouterai, on trouvera toujours de la bonne musique en fouillant bien. Quand j’étais gamin t’avais facilement accès à du bon rap (dans les magasins, les journaux, à la télé…). Là, faut batailler, aller chercher dans l’underground… ça a aussi son charme au final.
Je te remercie de cette interview, on attend la suite avec impatience.
Fleur d’équinoxe, extrait du nouvel album de VII (disponible en octobre)
Ah, j’attends avec impatience de pouvoir l’écouter. VII est un excellent rappeur, j’ai beaucoup aimé ses albums. En revanche un reproche que je pouvais lui faire était d’avoir un flow parfois trop monotone au fil des morceaux. La il parle d’avoir travaillé le flow également, ce qui me rend d’autant plus impatient d’entendre le résultat. Continue VII!