On a tendance à souvent dater la naissance du hip-hop français au début des années 1990 puisque c’est le début des succès commerciaux pour certains rappeurs. Mais avant ça, il y a toute une décennie de fermentation de cette culture venue tout droit des États-Unis. C’est cette montée en puissance que Vincent Piolet raconte dans son excellent ouvrage Regarde ta jeunesse dans les yeux. Naissance du hip hop français 1980-1990. Nous l’avons rencontré pour en discuter.
Comment es-tu venu au hip-hop ?
Je suis parisien et – information importante – je n’ai pas connu la période 1980-1990 du hip hop français, le sujet du livre, car j’étais beaucoup trop jeune. J’ai connu la culture hip-hop à l’école, très jeune, à partir de 1990, période qui correspond à la fin de mon livre, avec le disque Rapattitude. A l’époque soit tu écoutais du rap ou du grunge voire du hard rock.
Quel est le cursus qui t’amène à écrire sur ce sujet ?
Je ne suis pas journaliste, je ne vis pas de l’écriture. J’ai écrit le livre sur mon temps libre à côté de mon travail. Je n’avais donc pas d’impératif ou d’intérêt, j’ai pris le temps.
Qu’est ce qui t’a donné l’idée d’écrire ce livre ?
Plusieurs éléments : d’abord, personne ne s’était plongé dans cette décennie 80, la naissance du hip hop français, et j’ai compris par la suite la raison. Il n’y a aucun support, aucun matériau, c’était donc un livre qui a demandé beaucoup de travail car il fallait aller recueillir les récits auprès des acteurs, les « pionniers ». Bref, un sujet inédit. Ensuite, je voulais écrire un livre sur le mythe du terrain vague de la Chapelle, ce qui explique d’ailleurs que celui-ci occupe à juste titre une place importante dans le livre. Mais je me suis rendu compte que le récit du terrain vague n’avait pas de sens sans élargir le cadre, soit raconter l’histoire d’une génération de gamins et d’ados qui ont construit pendant une décennie le hip-hop français qui allait exploser dans les années 90 jusqu’à être présent partout aujourd’hui. Enfin, des rencontres ont été des déclencheurs, comme celle de DJ Chabin avec ses récits incroyables sur les années Bataclan.
As-tu une fascination pour les années 80 ?
Je n’ai pas de fascination pour les années 80 en général. Je suis plutôt fasciné par l’émulation et la force artistique qu’avaient les pionniers pour donner naissance à la culture hip-hop française. Il n’y avait rien à gagner, aucune reconnaissance des médias ou des institutions. Et pourtant ils vivaient hip-hop jour et nuit. Danse, graff, tag, rap, c’était non-stop.
Comment as-tu décidé qui tu allais interviewer ?
J’ai décidé de rencontrer les acteurs majeurs de cette époque. Cela pouvait concerner autant certains qui ont réussi commercialement par la suite, très peu nombreux, que les autres. Ces derniers étaient très importants, car les récits étaient inédits et c’est là que tu apprends vraiment des choses, des mythes tombent ou d’autres apparaissent.
As-tu galéré à rencontrer tes interlocuteurs ? As-tu essuyé des refus ?
Rencontrer les gens, c’était le cœur du livre, l’objectif. Je ne suis pas sociologue, donc je n’ai pas écrit une étude ou une thèse. Le livre se base sur les récits recueillis. Après, « rencontrer les gens », plus d’une centaine, c’est du cas par cas. Il y a eu plusieurs profils : la grande majorité des personnes ont partagé spontanément leur histoire. Le réseau joue beaucoup, un tel connaît un tel qui connaît un tel, etc. Ensuite il y a les « stars », ceux qui ont réussi plus ou moins commercialement. Le réseau ne joue plus car ils sont très sollicités, ils ont des managers, etc. Ils ne seraient pas forcément contre raconter leur histoire mais il faut pouvoir les approcher. Parfois il faut ruser, surtout quand tu n’as pas de carte de presse. Exemple, pour Kool Shen, je suis passé via une société de poker avec qui il bossait, je me suis fait passer pour un journaliste voulant l’interviewer pour le poker. La société te file son numéro de téléphone, tu dois avertir par SMS, et là tu joues le tout pour le tout. Kool Shen décroche, je lui dis direct que le poker, c’est du pipeau, je ne suis pas journaliste, je lui explique le but du livre. Tu attends quelques secondes, va-t-il raccrocher direct ? Et là, très ouvert, ça ne le dérange pas, on s’est appelés plusieurs fois, il m’a raconté les débuts de NTM, etc. Enfin, il y a ceux qui ne souhaitent pas raconter leur histoire, ce que je respecte totalement, bien sûr.
Comment as-tu réussi à mettre ce magma d’informations en forme ?
Cela a nécessité beaucoup de travail. Pour chaque interview, je retranscrivais les propos par écrit que j’envoyais ensuite pour validation. Les journalistes ne renvoient pas en règle générale ce qu’ils publient pour relecture, je n’étais pas dans cette démarche. Déjà je voulais éviter les erreurs d’interprétation et puis je respectais la volonté des gens. Exemple, quelqu’un qui mentionne des détails liés à la drogue ou à la prison. Quand la personne relit, elle ne souhaite pas que ces détails soient mentionnés. J’effaçais. Mais j’ai gardé un certain recul. Certains ont relu un chapitre les concernant, ils voulaient par exemple que j’efface des propos mentionnés par d’autres car ils ne leurs étaient pas favorables, je refusais généralement après discussion.
Quelles ont été tes plus grosses difficultés ?
Retrouver certaines personnes ! Obtenir l’histoire de Bando qui vit à l’autre bout de la planète, ça n’a pas été facile. Parfois c’était une vraie enquête. Le travail de synthèse a été difficile, il fallait beaucoup trier. Revoir les gens pour confirmer. J’ai quelques exemples autour du terrain vague, certains disaient y avoir été présents pendant les free jam de Dee Nasty pour rapper en 1986, moment mythique, mais quand tu comparais avec leur âge, ça leur faisait 10 ans. Là tu tries très vite.
Quelles sont tes attentes autour de ce livre ?
Une meilleure reconnaissance pour tous ces pionniers dont la juste valeur, soit l’apport à la culture française, est quasiment ignorée par les institutions ou les médias.