Nouveau Lucio, nouvel article du rap en France ! La formule désormais banale est devenue un classique à la manière des recettes de châtaignes grillées comme principale info du JT de 13h. Bref, toujours est-il que le projet en question s’appelle Oderunt Poetas, qu’il a été réalisé en binôme par Bukowski et Oster Lapwass et qu’une nouvelle fois, le rappeur lyonnais « tape dans le tas façon sidaïque dans une partouze ! ». Les deux pieds dans le plat, et les oreilles aux portes de l’ouvrage, on a choisi d’innover un peu en jetant deux de nos rédacteurs dans l’arène pour qu’ils nous transmettent leurs impressions confrontées autour de cet album. Morceaux choisis…
Laurent :
Oderunt poetas ou « Ils haïssent les poètes » si vous préférez la traduction française ! L’itinéraire choisi est connu sur le bout des doigts par le guide parolier de l’Animalerie,accompagné dans ce nouveau voyage par le complice Oster Lapwass, « porte-son » de la fine équipe lyonnaise. Un départ en accord avec les habitudes, sauf que cette fois, Lucio Bukowski n’avait jamais entrepris d’aller aussi loin. Dans la forme surtout, ce dernier album livre quelque chose de nouveau, une folie en plus qui s’accroche à la plupart des titres, transcendant la plume toujours soignée du rappeur. Le sang froid apparant de L‘Art raffiné de l’ecchymose s’est bien réchauffé deux ans plus tard ! Là où la musicalité deNestor Kéa percutait tout en restant dans la mesure, les productions de Lapwass semblent avoir dépassé quelques limites pour offrir une explosion de créativité du côté de la narration.
Dégage dès maintenant, l’État c’est le collier de force
L’autonomie c’est la bombe sans les collègues corses
Acquérir des défenses sans dégommer de morses
Pendant que des enculés sans âmes se font décorer le torse !
Car c’est bien de narration qu’il s’agit, à l’écoute de ce voyage aux milieux des songes et des illusions perdues, pour accoucher de 13 titres sur lesquels l’identité du parolier se reconnaîtrait parmi milles et un échos ! Pas sûr que Lucio Bukowski soit parvenu à trouver le paradis à l’issue de ce parcours de création plus vraiment initiatique pour lui, car en dépit des apparences, le monde n’a pas changé et le Single Malt a toujours le même goût, s’appréciant même sur une dose de trap comme sur le titre Kejserens nye Klaeder. « Les habits neufs de l’Empereur » d’Andersen ne passent pas inaperçus lorsqu’ils sont enfilés par un Bukowski s’amusant une nouvelle fois à dégommer les têtes dirigeantes et les têtes dirigées vers le mauvais comptoir.
Mauvaise ou bonne folie, la frontière se rétrécie sur le fil du temps où passent les morceaux d’un album qui cogne et rassure sur les capacités de renouvellement d’un artiste qui multiplie les projets ces derniers trimestres. Une folie passagère que les présences d’Ethor Skull et de Nikkfurie ne viennent évidemment pas atténuer, sur les titres respectifs Sur la carte et Orties et orchidées. Hors tirs et or qui dessinent les traits de l’Homme moderne prêt à vendre son âme pour être au dessus des autres, la prose deBukowski et la mélodie de Lapwass offrent une nouvelle occasion de montrer que le rap est un art non reconnu qui ne devrait jamais souhaiter l’être.
Alors peu importe ce qui sera écrit sur les « blogs spés », le duo lyonnais compte bien poursuivre leur chemin, préférant les lieux sombres et intimes à la lumière artificielle des néons médiatiques. La liberté de création comme première et unique ambition, une mission visiblement bien remplie par les deux compères, illustrée sur le titre Eau en poudre, dont le clip à l’atmosphère « orwelienne » est à l’image du projet, peuplade de références multiples, consacrant le « novlangue » de Bukowski comme l’antithèse parfaite de celui de 1984.
Comme pour la plupart des albums de rap français creusant un tantinet vers les subtilités que peut offrir la langue de Molière, il faudra certainement plus d’une écoute pour apprécier l’ensemble des richesses de ce nouvel album. En résumé, cet Oderunt Poetasimpressionne par sa force créative, faisant briller les éclats de vers d’un homme pas encore brisé qui se présente peut-être à l’heure actuelle comme l’une des plumes les plus talentueuses parmi ces trentenaires rappant « comme des adultes »…
Ana :
Il y a ceux qu’on entend et il y a ceux qu’on écoute. Ceux qui nous font écouter presque malgré nous, qui nous font capter leurs paroles. Ceux qui nous détournent de nos pensées et qui capture involontairement notre attention. Parce qu’ils articulent particulièrement, parce que leur prosodie est indissociée du sens des mots, parce qu’ils vivent le texte, et parce qu’ils pensent aux auditeurs. Avec Lucio, on décroche assez vite des paroles. La monotonie du flow, caractéristique constante du MC lyonnais continue de me priver d’une écoute fluide.
Devoir faire un effort de concentration pour s’imprégner des paroles et de leurs sens est davantage gage d’ennui que de réussite musicale. S’il est souvent difficile de faire des critiques à propos de Lucio Bukowski, c’est que le MC est incontestablement un producteur de textes de qualité. En ces temps de vocabulaires minimalistes dans le rap, il est appréciable de constater que de véritables plumes existent dans le paysage du rap français. Merci à lui.
Cependant les textes mériteraient une meilleure interprétation verbale. Malgré des tentatives de variations dans la vitesse du flow, on ne peut s’empêcher d’anticiper le moment où la dernière syllabe retombe, toujours de la même façon. Lucio nous installe dans une diction qui nous fait assez vite décrocher des paroles pour privilégier l’écoute des très bonnes instru de Lapwass. Les morceaux uniquement instrumentaux que s’offre le beatmaker permettent d’apprécier de retrouver Lucio et son verbe.
Les rares effets sur la voix du MC sont les bienvenus, apportant de la variation au ton monocorde, ils ponctuent le rythme du phrasé. Si je suis rapidement frustré à l’écoute deBukowski c’est que j’aime la musique, et donc la musicalité, et pas seulement celle qui accompagne le MC. Sans backeur, et avec assez peu de feat, Lucio rappant seul sur une instru, ça me fait l’effet d’un plat sans sel cuisiné par Robuchon.
Mais soyons honnête, avec Oderunt Poetas, le duo lyonnais s’est renouvelé. Il semblerait que leurs habituelles névroses les limitant dans la prise de risque, se soient pour un temps atténuées, laissant au vieux couple les possibilités d’ouvrir leur création vers des couleurs musicales plutôt innovantes. Les fidèles amateurs de Bukowski apprécieront le renouvellement et les frileux de la matière grise trouveront dans les instru de quoi les réchauffer un peu.
[…] album. On commençait à s’inquiéter, ça faisait déjà plus de cinq mois que le très bon Oderunt Poetas était sorti et toujours pas de nouveau projet dans les bacs. Lorsque l’on connait la légendaire […]