Chroniques

[La chronique de Chaïm Helka] El Djazair & co (4/6)

Plume, stylet, stylo, calame, griffe ! Son Rap a pris les bons raïMédine, scribe du contemporain en relation incessante avec le passé, allers et retours entre les faisceaux de l’Histoire Officielle, là où la guerre demeure événement. Colonisation, décolonisation, néo colonisation abreuvent et irriguent ses textes, à croire que ceux que l’on nommait non-alignés, ceux-là même que les deux gros blocs regardaient avec dédain, l’ouvrent. Riches vs Pauvres, Nord vs Sud, Colons Israéliens vs Palestinien, Français vs Algériens… Algérie/Algerpleure. Le flow du havrais, qui ambitionne d’éradiquer ces versus, traverse les eaux, ricoche contre les deux rives, boule de flipper dotée de réflexion, échos d’une guerre et d’une décolonisation qui n’en finissent pas, qui n’en finissent plus et qui touchent tous ceux qui ne sont plus vraiment de là-bas et pas d’ici, ceux malaxés par les remous, les tourbillons.

« Si l’Algérie s’enrhume, c’est que la France a éternuée ». Ceux qui ne sont jamais revenus sur leur terre de naissance, ceux qui y retournent une fois par an, la voiture chargée de biens afin de ne pas décevoir, de dire que de l’autre côté, c’est mieux, comme s’ils s’excusaient du sort subi en ramenant un peu d’un Eden qui n’existe pas, du moins qui ne veut pas d’eux, sans parler de la jeunesse algérienne désemparée et à l’avenir plus qu’incertain.

« N’oublie pas ton histoire ou le monde t’oubliera » D’Abd el-Kader… « écrit au carbone 14 », « Et que nos yeux voyaient l’Histoire par l’œil d’Aussaresses », « AlbatorJean-Marie », des paras aux appelés du contingent, des porteurs de valises à Maurice Audin, du FLN à l’OAS, des Harkis aux indépendantistes en passant par les Pieds Noirs, de Papon aux matons, les acteurs de premier plan, les seconds couteaux aiguisés, dates charnières et acronymes, tous s’entrechoquent. Médine racontent la gégène, les corvées de bois, les porteurs de valises, ces bateaux qui partent, qui reviennent… « Pensiez-vous qu’on oublierait la torture ? (…) (cf Henri Alleg – La Question) Les corvées de bois, creuser sa tombe avant d’y prendre place. » et plus, « Que la vraie nature de l’invasion était l’hydrocarbure ? Pensaient-ils vraiment que le pétrole était dans nos abdomens ? » Beauty-fuel.

Quel imbroglio, quelle tristesse ! Personne ne peut se blairer, personne ne se supporte. C’est la tentation de l’assimilation, la négation de l’arborescence de l’identité. Pyromane, l’arborescence devient arbor-essence, arbre d’essence que l’on élague au chalumeau et l’intégration se fait à coup de CV anonyme, et dans les discothèques : « ça va pas être possible, c’est une soirée privée ! »  De même le 76 joue le rôle de réceptacle. Seine Maritime, « Seino-marin », Médine le haut-normand, « à l’embouchure de la Seine pleine de cadavres », pour lui, ce fleuve révèle une symphonie de bastonnades et de noyés, ces « étranges nénuphars » du 17 octobre 1961- « Ici on noie les algériens ». La Seine connecte et rallie la capitale au Havre. Mémoire de l’eau ? Le fond de la scène/Seine où les fantômes en ombres chinoises des émeutes et règlements de compte continuent de danser et de le tancer. « Médine est métissé Algérien-Français / Double identité, je suis un schizophrène de l’humanité. (…) Made in terre damnée. Algérie/Alger pleure ».

Mais c’est aussi Alger la blanche qui apparait depuis le bateau, ce sont ceux vers qui il nous faut retourner, les semeurs dont les graines ont été piétinées et les terres labourées et recouvertes de sel : Camus, Sénac, Fanon, Matoub, Mammeri, Kateb, Sansal, Dib, Mimouni, Boudjedra… Il nous faut trouver leurs descendants, là-bas et ici, le relais, la relève. Moi, j’ai ma petite idée : il me castagne les oreilles depuis quelques années et ses textes tournent comme un derviche en moi…  Léonard Peltier et Mumia Abu-Jamal bien sûr, les prisonniers de Guantanamo et du camp Delta aussi, « mais indemnisez nos aïeux qui croupissent dans les foyers ! » Vies sacrifiées aux labeurs, exténuées, humiliées, voyons-les dans les foyers CADA, chibanis aux regards perdus. « Nos pères accomplissent les douze travaux d’Hercule ». Hommes entrés en vieillesse silencieusement, ils végètent dans les salles communes de télévision où les chaînes algériennes leur parlent d’un pays qu’ils ne connaissent plus. Autre alternative ? TF1 / Trip Franchouillard numéro Uno ? Les paraboles ici, pointent vers là-bas, et là-bas, vers ici.

C’est pour les «les irakiens des blocs aux cocards de Rocky (…) les gueules de clés à molette (…) les automates des blocs (…) les radiés des assdec (…) pour ceux qui usent les bancs de la garde à vue »… Péplum ! Dans ce titre Médine rappe la plèbe, ceux pour qui les échelons de l’ascension furent sciés « comme dans Saw ». Un morceau de Rap peut-il solutionner quoique ce soit ? Non bien sûr mais tel n’est pas sa fonction. Alerter, rien d’autre. Son Rap contestataire rassemble différentes voix pour les amener à l’unité et nous ne sommes pas seuls, voici une armada de non-dupes, de conscients, de lucides, d’authentiques et d’indignés, et une armada peut devenir invincible… « Libérez Mumia et Léonard Peltier ! Indemnisez nos aïeux qui croupissent dans les foyers ! »

  La plèbe, la masse, le tiers-monde, le tiers-états et c’est Mumia qui écrit dans En direct du couloir de la mort : « le policier m’a vu parterre, en train d’être tabassé. Il s’est précipité vers moi… et m’a décoché un coup de pied dans la figure. Je voue une éternelle reconnaissance à ce flic, car son coup de pied m’a expédié tout droit chez les Black Panthers ». Rosa Park dans le bus à Montgomery en 1955, Huey Percy Newton, Bobby Seale et Angela Davis, The Black Panther Party for Self Defense, Che Lumumba Club et béret noir, Alabama 63’, émeutes du quartier de Watts 65’, Malcolm X / « El-Shabazz Maleek » flingué à Harlem 65’, Marche pour les droits civiques 68’, (Re-lisons Chien Blanc de Romain Gary), Tommie Smith et John Carlos  Mexico 68’, Rodney King 91’ et les émeutes de L.A 92’… « Black is beautiful » Les maisons-mères sont l’Afrique, le Moyen-Orient et les USA, de Petit Cheval (série Enfants du destin) à « on espère tous une baraque blanche pour Obama »… Le rappeur défend l’offensé, l’opprimé, admire les leaders charismatiques – grains de sables dans les engrenages des dominants, le Tiers-Monde. À nous de ne pas toujours considérer ces modèles comme de simples sujets de posters pour chambres d’ado, panoplies des révoltés à peine pubères comme tamponnés du sceau de l’idéalisme forcément passager.

Mais c’est aussi M.Ali refusant l’incorporation (re-allez faire un tour dans l’ouvrage de Frédéric Roux Alias Ali. Ed : Fayard, où la réalité se montre bien plus intéressante que la légende et, via la voix des acteurs de l’époque, s’amplifie l’humanité du boxeur, ses défauts, ses qualités), Tupac Amaru Shakur et Christopher Wallace, East Coast & West Coast. Sans oublier la NRA des villes et des champs, la chaise électrique, sur laquelle Médine voudrait être « un coussin péteur »Amerikkka. Fascination et critique pour ce pays avec comme révélateur le 9/11 et, en parallèle, l’incommensurable deuil du 9/9 « rdv le jour de l’assassinat de Massoud ». Tout est lié quelque part et Médine modèle un corpus textuel sur le fil du rasoir, des phrases qui tranchent la gorg…, trop facile, qui frappent l’esprit ! Rap corde au cou !

Médine s’abreuve et retranscrit. Si vous m’attaquez, je me défendrai, mais de moi, aucune attaque ne viendra. Légitime défense – Arabian Panther. Difficile de suivre les pas d’autant de modèles, d’exemples : « les idéalistes n’ont pas d’vie ».  Ne nous faudrait-il pas, pris sous l’angle de la provocation, presque bénir les pouvoirs, les oppressions ? D’eux découlent, se créent les résistances et les contre-cultures, cultures à part entière en vérité, d’eux émergent aux forceps les volontés insoumises. L’oppression engendre un enfant quelle maudit et renie : le savoir… « Le savoir est une arme (…) J’ai de l’encre au bout d’une griffe (…) Une cartouchière d’encre noire mise en bandoulière (…) Et je chante le cafard des fauves/ Marginalisée, ma musique est le caviar du pauvre ».

Cours d’Histoire pour autoapprenant… L’école ne s’érigeait pas en temple particulièrement attractif pour Médine : « Quand je détestais l’école… C’était flûte-à-bec / Poème à haute voix pour qui fut un bègue / Toujours derrière la chorale scolaire / Un gosse gospeleur qui couve une grosse colère ». L’inextinguible soif de savoir inoculée en lui démontre par la même que point de voie royale pour remplir son bagage. « Arabian Panther autodidacte / Dérangeant comme Ahemd Deedat ». A prendre ou à laisser. Son esprit critique, comme beaucoup de ceux qui ont le questionnement comme ligne de conduite, surplombe telle la panthère, et cette force le préserve de bêler avec le troupeau où pire, de hurler avec les loups, d’aboyer avec les gardiens du temple et autres rongeurs d’os commun. Il est une éponge, qui « recrache sa pilule » et pointe du doigt les thuriféraires et autres courtisans. « Bienvenue au bal des débatteurs/ J’lâche une balle aux déblateurs »…

 

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.