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La Rumeur de 1997 à 1999 : Les trois volets ou les prémices du rap de fils d’immigrés

Les meilleurs albums de rap sont ceux que l’on peut écouter et réécouter en y trouvant toujours des trésors cachés. La propriété de ceux qui n’ont pas encore passé l’épreuve du temps est de donner envie de replonger dans ses classiques. Alors que La Rumeur a sorti en 2012 son quatrième album, ceux qui ont eu envie de se replonger dans l’ambiance de leurs débuts ont sûrement été frappés par l’écho assourdissant que renvoient les trois premiers volets aux opus qui ont suivi.

En 1997, La Rumeur toque à la porte à sa manière. Là où l’usage est de lancer le groupe avant les individualités (rappelez vous du Wu Tang qui sort Enter The 36 Chamber en 1993 avant les albums solos de ses membres), La Rumeur décide de faire l’inverse. Le premier volet intitulé Le Poisson d’Avril (1997) est l’EP qui met en avant Ekoué, tandis que le deuxième, Le Franc-tireur (1998), et le troisième, Le Bavar & Le Paria (1999) font respectivement la part belle à Hamé et au duo Philippe et Mourad. Curieuse façon de se présenter. Quel est le degré de cohérence d’un groupe qui s’introduit de cette façon ? Réponse tout de suite.

Le premier élément est formel. Les trois EP sont construits selon la même structure avec une prépondérance des individualités auxquelles ils sont dédiés et une chanson où le reste du groupe est aussi présent. Cet équilibre témoigne de la concertation et de la réflexion collective qui encadrent ces projets. Le second élément de cohérence est encore plus grand et force davantage le respect à la lueur de la carrière qui va suivre. Il était en effet impossible de réaliser à quel point le rap de fils d’immigrés était déjà en germe dans ces maxis. Décryptage.

La première onde de choc, Blessé Dans Mon Ego, où Ekoué se livre sur son vécu de franco-togolais, laisse bien entendre que le rap de La Rumeur a quelque chose d’ailleurs. Cependant il reste intéressant d’en voir les retombées. La première est dans l’EP d’Hamé où, sur On m’a Demandé d’Oublier, il se révèle déjà sur un registre qui le caractérise, celui de la mémoire lyrique du peuple immigré qui a été bafoué. Philippe et Mourad ne font pas non plus l’impasse avec Des Champs De Canne à Paname dans le troisième volet. Cependant, la différence de traitement est flagrante, intimiste chez Ekoué, elle est collective chez les autres. Par la suite, cette réalité ne restera pas figée puisque sur le premier album, L’Ombre Sur La Mesure (2002), Philippe nous confiera également ses 365 Cicatrices sur le registre intime. Ekoué boucle ce qui doit l’être avec Là Où Poussent Mes Racines en 2007 dans Du Coeur à l’Outrage. Dans le registre collectif, suivront aussi Premier Matin De Novembre, Écoute Le Sang Parler et Nature Morte. Mention spéciale pour Le Cuir Usé d’Une Valise, bijou d’écriture du rap français.

Ensuite, vient De l’Eau Dans Mon Vitriol. Même si il est difficile de voir en quoi La Rumeur a mis de l’eau dans son vitriol au fil des années, la thématique pécuniaire demeure l’un de leurs pêchés mignons avec Marché Noir, Le Coffre-fort Ne Suivra Pas Le Corbillard et de façon plus diffuse dans les mixtapes Nord-Sud-Est-Ouest.
Dans Le Franc-tireur, le thème de la chanson inaugurale, Le Hors-Piste, n’est pas sans rappeler Hommage à La Marge sur le dernier album. Dans l’intervalle de ces deux chansons, la marginalité reste un thème central de La Rumeur. Allez savoir pourquoi.

Autre parenthèse longue durée ouverte par Hamé dans son maxi, Le Pire est une chanson qui parle de comment la société positionne les gens sur une échelle d’appréciation. En cela elle fait penser à La Meilleure Des Polices, qui est le versant comportemental du même thème, mais aussi à Soldat Lambda ou encore au morceau A les Ecouter Tous.
Sur leur maxi, Philippe et Mourad ouvrent également la voie à l’un des grands thèmes de La Rumeur, la banlieue, avec Pas De Vacances. Abordé sous l’angle du sentiment d’abandon social, on le retrouvera plus tard dans A 20000 Lieues De La Mer, mais aussi par extension sous l’angle parisien dans Paris Nous Nourrit, Paris Nous Affame, Quand La Lune Tombe ou encore La Périphérie Au Centre.

Finalement, sans y paraître, ces trois premiers maxis de La Rumeur ont ouvert au public un portail qui donne sur le sombre jardin de La Rumeur. Un jardin où cohabitent orchidées, chrysanthèmes et roses piquantes. Malgré tout, quel auditeur aurait pu savoir à cette époque, que les jardiniers arroseraient ces fleurs avec du feu ?

1 commentaire

  1. « Dans l’intervalle de ces deux chansons, la marginalité reste un thème central de La Rumeur. Allez savoir pourquoi ». En fait je crois que c’est le thème central de la Rumeur : la banlieue, la question raciale, la figure de l’immigré et le statut de « fils d’immigrés », etc. En fait toutes les thématiques décomposées dans l’article relèvent de la marginalité. C’est aussi les regards et discours depuis cette marge, dans toutes leurs singularités individuelles, qui font l’intérêt de La Rumeur(et du rap en général d’ailleurs). Quand on écoute du rap, on cherche des discours authentiques, au sens qui décrivent à la fois un contexte et surtout un ressenti singulier dans ce contexte. Forcément, le contexte le plus généralisé, et donc le moins décrit singulièrement, c’est la marge : d’où l’intérêt du rap pour moi en terme de discours (en dehors de l’intérêt purement musical bien sûr).

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