L'exégèse rapologique

La Théorie rapologique #1 – Introdiction

C’est pour être libre qu’on garde jamais nos putains de bouches closes
J’crie, mon blaze explose, j’écris, impose mes phrases
Lino, « P***** de poésie »

Mode d’expression et genre musical extrêmement contemporain, le rap tel que nous le connaissons aujourd’hui s’est constitué vers le milieu des années 1970, dans les ghettos afro-américains de New York. Si sa date et son lieu de naissance sont connus, les circonstances de cette dernière demeurent pourtant incertaines voire nébuleuses, tant les germes en sont hétérogènes et les racines profondes.

Issu du mouvement culturel hip-hop dont il est l’un des plus éminents avatars, le rap s’est en effet construit sur la base d’un fertile héritage culturel et musical. Comme le mettent en évidence G. Lapassade et P. Rousselot dans leur ouvrage pionnier en matière d’études rapologiques françaises Le rap ou la fureur de dire, la musique rap montre des liens avec le reggae, la funk et la soul, et s’appuie sur une riche tradition orale afro-américaine, avec des pratiques telles que les dirty dozens et le preaching religieux, ou encore le toasting et le dubbing jamaïcains.

Cette hybridité originelle n’a jamais cessé de caractériser le rap, qu’il soit américain ou français : genre musical et pratique poétique à la fois, capable dans le même temps de sampler de la harpe et d’aligner une quantité phénoménale d’injures, il se présente comme une forme artistique dotée d’une liberté thématique infinie et d’une extrême plasticité formelle : d’un potentiel esthétique immense.

Le rap peut donc tout dire, ou plutôt tout rapper. Il convient en effet de préciser ici les implications de la distinction suggérée dans la phrase liminaire de cette étude : le rap constitue à la fois un genre musical et une modalité d’expression orale. La musique rap comprend par définition des sections rappées, mais tout ce qui est rappé ne relève pas de facto du domaine de la musique, comme en témoigne par exemple la pratique du clash, joute verbale qui peut très bien se passer de piste instrumentale et ainsi revêtir une valeur moins musicale qu’oratoire.

Ainsi, le vocable rap renvoie tour à tour à une forme musicale et à un mode d’expression oral et poétique, à un paradigme de scansion – une distinction qui devient manifeste à la lumière de ses dérivés verbaux : en effet, si faire du rap désigne l’acte de production d’une œuvre de musique dans un genre donné, le mot rapper caractérise une forme poétique d’expression orale, en dehors de toute considération musicale.

Trois principaux éléments sont aujourd’hui communément admis dans la définition de ce mode d’expression poétique : son rythme, sa nature orale et son usage de la rime. Si ces deux derniers traits ont été brillamment disséqués et expliqués par J. Barret dans son ouvrage Le rap ou l’artisanat de la rime, la relation de l’oralité rap avec la notion de rythme n’a fait l’objet que de peu d’études. En réalité, c’est le phénomène de scansion rap lui-même qui demeure largement méconnu ; on peut même affirmer avec Michel Gribenski que, de manière plus générale, c’est « la prosodie poético-musicale [qui] a été jusqu’ici insuffisamment étudiée ».

Car comme tout fait de scansion, l’acte de rapper s’accomplit depuis un support scriptural pour aboutir à une représentation orale : il s’agit d’une oralisation de l’écrit. Ce propos doit pourtant être nuancé, puisque le rap est historiquement marqué par l’improvisation orale, dimension qui trouve une survivance dans la pratique du freestyle. Celle-ci est cependant largement minoritaire aujourd’hui, et quasiment l’intégralité des œuvres de rap enregistrées ont été écrites avant d’être prononcées. Ce sont ainsi elles qui constitueront le corpus et l’objet de cette étude.

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Just rap.

1 commentaire

  1. Superbe idée, cette publication. Merci pour la démarche, dans la droite ligne de celle de l’ENS et de ses séminaires sur le rap. Je suivrai avec attention !

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