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[Interview] l’ABCDR du Son (1/3) – « Le but, c’est documenter le rap. »

Quelles sont les personnes à l’origine de la création du site ?
Nico : C’est moi et un de mes potes d’enfance qui s’appelle Arnaud. Puis Elias, un autre ami d’enfance, nous a rejoint après. En été 2000, il nous est venu l’idée de monter quelques pages web pour parler de rap, parce qu’on en parlait constamment entre nous. On a décidé de monter quelque chose autour de ça. On a commencé à écrire sur les disques et les artistes qui nous plaisaient, très modestement dans nos chambres respectives. Et on a commencé à se prendre au jeu.

A quoi ressemblait le site au départ ?
Nico : C’était une première étape, une première pierre à l’édifice. Après, il y a eu plusieurs versions du site.
JB : En fait il y a eu trois incarnations du site. Il y a eu la première période de 2000 à 2003, le site préhistorique. Ensuite, 2004-2007 qui était une version un peu améliorée, dynamique, avec une interface pour publier les contenus.. Et depuis 2007 la version actuelle, qui est surtout une évolution graphique, plus lisible.
Nico : On a grandi avec le site et puis on s’est amélioré. À la fois dans la partie très technique de la chose et puis aussi dans les écrits, dans la façon de mener les interviews. Quand on regarde les premiers papiers qu’on a pu faire en 2001…

Quels étaient les premiers articles justement ?
Nico : La première interview c’est Hocus-Pocus en 2001. D’ailleurs c’est l’interview la moins professionnelle qu’on ait pu faire de nos vies ! C’était à l’image du site, très simple. Pour ce qui est des chroniques, je sais qu’il y avait du Lunatic et du Rat Luciano.
JB : Ma première chronique c’était The Blueprint de Jay-Z, et c’était une catastrophe. J’étais plein de bonne volonté, plein d’envie et de passion mais le problème c’est que j’avais une méconnaissance à la fois de l’écriture et du genre rap dans son ensemble. Ça été une sorte de tutoriel géant l’ABCDR ; un tutoriel de web et de journalisme.

A l’époque, vous étiez les premiers sur ce créneau-là ?
Nico : Non, il y avait déjà des magazines de hip-hop. Lehiphop.com était déjà là, et il y avait Hip-Hop Section qui était intégré dans le magazine Pop News. Il y avait une petite poignée de webzines qui étaient articulés autour de forum. Il y avait d’ailleurs une communauté très soudée, notamment autour du forum de lehiphop.com. A l’époque, ce forum était pour moi le site le plus généraliste sur le hip-hop que tu puisses trouver. Toutes tendances confondues, c’était le lieu où tu pouvais te retrouver si t’aimais le rap et que tu voulais lire à ce sujet.

Ça a fermé quand ?
JB : Il y a trois ans mais déjà vers 2006 ce n’était presque plus mis à jour. Je m’en souviens, j’étais à la fac en ce temps-là et tous les jours j’allais sur le hiphop.com pour voir si y’avait des nouvelles chroniques. Je me rappelle quand ils ont sorti la chronique de Mauvais Oeil ou d’Asphalte Hurlante, je m’en délectais. Ils avaient un système de notation, ils avaient mis 10/10 à Mauvais Oeil ! C’était cool parce qu’il y avait un nouveau mode d’information sur le rap que tu ne trouvais pas ailleurs.
Nico : J’aurais peut-être dû commencer par ça mais c’est vrai qu’au début, tu arrives avec plein de certitudes. Tu te dis les autres c’est tous des merdes et moi je vais faire mieux. Et puis, tu te rends compte que tu n’es pas si bon que ça et que c’est loin d’être aussi facile qu’on l’imagine. Tu apprends beaucoup de choses et il y a plein de choses dont tu n’as jamais entendu parler. Avec le recul, il y a des sujets qu’on a bien traités et d’autres pour lesquels on n’a pas été très bons. Quand je relis la chronique que j’ai écrite sur le Rat Luciano, je me dis que j’avais le sens de l’humour à l’époque !
JB : Surtout quand tu commences, tu as cette espèce de passion mal dégrossie pour le rap. C’est souvent à ce moment-là que tu as plein d’idées toutes faites sur ce que doit être le rap et ce que doit être le journalisme. Tu arrives un peu poing levé, tête baissée dans tes sujets. Moi aujourd’hui, ça fait vingt ans que j’écoute du rap. Et plus j’en écoute, moins j’en sais. En tout cas, moins j’aurais envie de porter des jugements hâtifs sur des artistes.

L'ABCDR du Son, tel qu'il était en Janvier 2006.

Je ressens aussi cette évolution. Il y a quelques années, j’aurais refusé de parler de certains artistes. Aujourd’hui, c’est différent.
Nico : Il y a une donnée importante, c’est que tu commences avec des convictions qui n’ont pas grand-chose à voir avec la musique. Genre « ce mec-là c’est un faux, celui-là c’est un vrai donc il faut penser ça » et ensuite tu écoutes la musique. Et quand tu sors de ce schéma de pensée, tu te mets à écouter la musique et tu perçois les choses très différemment.
JB : Tu es très idéaliste au début. Tu as une vision plutôt héroïque du rappeur. Au final, quand tu décortiques un peu la réalité des choses et que tu t’ouvres à l’ensemble du genre et à la production, ça te remet un peu les idées en place.
Nico : Ça te rappelle aussi la réalité de l’industrie du disque, la réalité du journalisme. A l’époque, tu te serais peut-être dit ouais lui c’est un vendu alors que le mec a 35 balais, il doit bouffer et payer un loyer. C’est ça aussi la réalité.
JB : Réussir à faire une carrière, à sortir un disque, ça demande des efforts, de la rigueur, de la discipline. Toi au final, et même si la critique est importante, t’es quand même dans une position de simple donneur d’avis. Plus j’écris et plus j’ai envie de respecter les artistes. Je pourrais dire ouais Soprano c’est de la merde alors que le mec a réussi à accomplir ce que la majorité des rappeurs n’ont pas réussi à faire.

Au tout départ, vous n’aviez pas de ligne directrice ?
Nico : Au tout départ, on voulait juste parler des groupes qui nous intéressaient. On voulait donner notre avis parce qu’on trouvait que ce n’était pas forcément fait ailleurs et selon notre regard. D’ailleurs, on n’a pas forcément changé là-dessus depuis toutes ces années. On parle toujours de ce qui nous intéresse, avec les mots que l’on veut même si on fait une petite revue interne avant publication. On se dit simplement que quand tu n’as pas grand chose à dire sur un sujet, c’est bien de fermer sa gueule.
JB : En fait, ce qui n’était pas une ligne directrice au départ en est devenue une. C’est-à-dire qu’au début, chacun faisait un peu ce qu’il voulait quand il voulait. Aujourd’hui, l’ABCDR c’est plutôt une somme d’avis différents sur le rap et de goûts différents au sein d’une même rédaction, qui essaye de donner une image un peu complète du genre.

Combien vous êtes à écrire à l’heure actuelle ?
Nico : On est une douzaine, avec une base de quatre-cinq personnes très actives, et on a des contributeurs réguliers. Sachant qu’on écrit sur ce que l’on a envie, et avec le rythme qu’on peut donner. L’idée c’est que depuis le début c’est une activité complètement bénévole. Ça veut dire que quand t’as un travail et des contraintes familiales, tu fais ce que tu peux.

L'un des anciens logos de l'ABCDR Du Son.

Est-ce qu’à l’heure actuelle, le site pourrait être viable économiquement ? Est-ce que l’idée de mettre de la publicité par exemple vous a déjà traversé l’esprit ?
JB : En l’état non, le site ne pourrait pas être viable, même si on a déjà mis de la publicité. Au départ, il y a eu une espèce de première idéologie à l’ABCDR que l’on pourrait qualifier d’incorruptibles bénévoles. C’était le côté nous sommes des cœurs purs, nous ne serons pas corrompus par le système qui est une posture complètement idiote puisque le bénévolat n’est pas synonyme de qualité. Après avec les années, on ne s’est juste pas intéressés à cet aspect-là. On a fait notre truc, publié nos articles et on a kiffé sans se poser la question. Aujourd’hui, je pense qu’on aimerait développer un modèle économique autour de l’ABCDR, mais disons que, quelque part le fait de n’y avoir jamais pensé nous a permis d’éviter un certains nombres de déceptions. Ce qui explique aussi notre longévité.
Nico : On a beaucoup d’exemples de sites qui ont été créés dans une logique de levée de fonds, d’investissements et qui se sont écroulés car la finalité qui était donnée n’est pas accessible aujourd’hui.
JB : Si on voulait gagner du pognon, il ne fallait pas qu’on fasse un webzine rap. C’est un domaine qui reste encore pestiféré en termes de marketing et on ne peut pas vraiment dire que les médias du web ont trouvé la formule ultime pour tenir le coup économiquement. Mais il y a des solutions, des opportunités et c’est vraiment un travail de longue haleine. Gérer le site demande déjà beaucoup d’énergie.

Est-ce que vous envisagez d’en faire un magazine papier ?
Nico : C’est un vieux serpent de mer chez nous. La réalité c’est que si tu veux faire ça très bien, ce qui est un peu notre objectif quand même, ça te demande un temps infini. Que ce soit pour démarcher et choisir ta publicité et faire un magazine vraiment réussi. Si tu veux faire un truc vite fait, déjà sponsorisé, avec des pubs pour la RATP, tout ça pour gagner cinq euros par mois, ce n’est pas très intéressant.
JB : Moi personnellement, j’adorerais parce que je suis un gros lecteur de magazines. Mais la vraie question, c’est de savoir ce que ça nous apporterait aujourd’hui. Je ne suis pas sûr, qu’à l’heure actuelle, avec un magazine papier on réussirait à toucher plus de monde.

Pourtant vous êtes une référence en matière de rap français. Et si un magazine sortait titré ABCDR Du Son, je pense que ça attirerait pas mal.
JB : C’est la séduction du papier. Mais le but est de fournir une information. C’est documenter le rap. Et aujourd’hui, est-ce qu’on serait bon sur un magazine de 120 pages disponible en kiosque tous les mois par rapport à ce qu’on fait déjà ? Et puis avec les technologies actuelles, est-ce qu’un magazine papier ce n’est pas choisir un cheval au lieu de prendre tout simplement une voiture?
Nico : Déjà, un webzine qui perdure avec un niveau d’exigences relativement haut, ça te prend beaucoup de temps. Alors si en plus tu veux rajouter un support papier… C’est de l’organisation, c’est un changement fondamental dans ta vie et c’est un challenge qu’on a décidé de ne pas relever. Pourtant, on en a déjà parlé plein de fois mais je préfère faire un webzine qui défonce et pour lequel je maitrise mieux le support.
JB : Si on devait un faire une sortie papier, moi je préfèrerais sortir une sorte d’anthologie de nos meilleures interviews. Ça serait à la fois pour les gens qui aiment l’objet papier et aussi un peu pour immortaliser.

Vous envisagez donc à  l’heure actuelle de faire une série de recueils des interviews ?
JB : Ça fait partie du projet, disons que c’est une piste intéressante. Aujourd’hui, on a quand même un volume d’articles dans nos archives qui pourrait connaître une deuxième vie ou être regroupé  sous des volets thématiques.
Nico : Pour être très honnête avec toi c’est une vraie piste.

À proposStéphane Fortems

Dictateur en chef de toute cette folie. Amateur de bon et de mauvais rap. Élu meilleur rédacteur en chef de l'année 2014 selon un panel représentatif de deux personnes.

7 commentaires

  1. Un grand bravo, une bonne interview.

    J’espere que l’abcdr restera le webzine de qualité qu’il est à l’heure actuelle, et qu’il continuera à nous pondre de bons articles.

    One L.O.V.E.

  2. On ne peut qu’appplaudir des gens qui concrétisent leurs passions.

    Sinon, je trouve marrant qu’ils soient dans la logique opposée : beaucoup passent du papier au web, eux voudraient pourquoi pas passer du papier au web…. Comme dirait Fabe « jamais dans la tendance, toujours dans la bonne direction ».

  3. Niceee ! L’ABCDR est pour moi une référence, de par sa qualité et sa longévité. Bravo à LeRapEnFrance également pour cette entrevue. J’ai déjà hâte de voir la suite ! (les suites !)

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