Memento Mori, album qui divise les amateurs (et la rédaction), sorti en janvier dernier se pare d’un atour visuel des plus efficace, esthétique et intelligent. On peut gloser sur le contenu de l’album et crier au génie ou à l’escroquerie, la pochette reste de celles qui interpellent et s’accordent parfaitement au reste de la production. S’inspirant d’un thème classique de la peinture, elle illustre les propos de Sidisid et accompagne l’univers visuel du groupe bisonto-parisien tout au long des titres nihilistes et sombres proposés.
La Vanité est ici prégnante et assumée jusqu’au bout. Thème classique apparu au 16éme siècle aux Pays-Bas et en Flandres, elle apparaît à toutes époques, au sein de tous les styles. Son postulat est simple : souviens toi que tu vas mourir (traduction de la locution latine memento mori), oublie les vanités de la vie que sont les plaisirs de la chair, les richesses, les possessions matérielles et concentre toi sur l’essentiel (à l’époque la religion), avant la mort, dénominateur commun inéluctable à toute vie.
Vanité de la richesse
« On veut être Richie comme Lionel«
Sidisid prône tout au long de l’album l’accumulation de richesses comme une finalité, un but, qu’il espère atteindre par la musique. Les marques de vêtements plus ou moins luxueuses sont citées sans complexe et à un rythme digne de Jay-Z.
North Face, Hugo Boss, Ralph Lauren, Lacoste et autres Versace témoignent de l’amour du MC pour son apparence, qu’il assume comme un signe extérieur de richesse. De nombreuses phases racontent d’ailleurs cet intérêt du rapper pour la monnaie, qui, sans être un thème original pour un texte de rap, est ici assumé et poussé à son paroxysme.
L’heure de l’argent, North Face, Hugo, Melle, des titres à la fois sombres et illustrant à merveille cette thématique. Un peu comme la célèbre sculpture de Damien Hirst, For the love of god, visible depuis 2008 à Londres. Une réplique de crâne humain incrustée de 8600 diamants, pour une valeur de 75 millions d’euros, qui luit d’un sombre reflet quand on le regarde. Comme Sidisid, Hirst vient placer la vanité dans un écrin, la rendant précieuse, genre d’oxymore artistique, alertant le public sur sa finitude avec l’ironie de le faire payer pour ça.
Vanité des plaisirs
« J’tire dans un coïba et dans tes attributs.«
Après avoir engranger son pécule, encore faut-il le dépenser. Et Sidisid sait très bien ce qu’il veut. Après les vêtements, son intérêt se tourne vers les plaisirs du corps, les achetant ou non, avec un esprit épicurien.
Les substances psychotropes tiennent une place importante chez le MC. La fumette (« même devant les portes de l’enfer, j’roule un p’tit bédo »), l’alcool (« c’est pour mes amateurs de 10 ans d’âge ») prennent une bonne place dans les rimes déclamées. Comme une condition au rap, elles semblent indispensables à la vie sur Terre du duo, évoquant le nihilisme auto-destructeur de celui qui sait trop bien qu’il va mourir.
Les plaisir de la chair sont aussi largement évoqués. Sidisid semble se complaire dans une luxure assumée. De Toute la Nuit à Melle, les références au sexe ne sont pas uniquement de l’egotrip (moi baiser toi), mais participent de cet esprit entre « Cueille le jour » et « Demain c’est loin ».
Comme le squelette de Van Gogh, Sidisid semble rire de la mort et profiter de la vie sous l’angle du plaisir immédiat. De toute façon il est condamné depuis sa naissance, comme les autres, alors autant fumer avant que la vie ne nous fume. La comparaison s’arrête là entre deux artistes très différents, Van Gogh étant connu pour sa vie recluse, voire asociale, consacrée à son art et sa folie, alors que le MC bisontin n’hésite pas à dire en interview qu’il serait prêt à arrêter en cas de flop.
Memento Mori
« J’appuie sur la détente 3.5.7. entre les dents, tranquillement j’me détendS, à part ça rien d’important »
Mais l’image dont la pochette de l’album se rapproche le plus, c’est sûrement la plus vieille et la plus connue des Vanités, celle de Philippe de Champaigne. Le crâne, la mort, exhibée et presque narguée par les fleurs qui poussent soit à coté, soit à travers le crâne. Les éléments sont réunis pour repousser la faucheuse et montrer le peu d’importance qu’elle peut avoir dans un esprit conquérant. « J’me sens libre comme Filip Nikolic », « Je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu », la mort ne semble pas un problème pour Sidisid, alors qu’il se sert de ses images pour illustrer visuellement son propos. Comme dans une vanité classique, l’image de la mort sert presque comme un amulette protectrice contre le faucheur, l’exhibant pour inspirer l’homme à la dompter au travers d’un vie simple et saine.
Ultime exemple avec 14 Avril, le dernier titre de l’album, instrumental, laissant entendre une mélodie au piano aussi apaisante que le silence après la tempête. Et pour cause, la date évoquée fait référence au naufrage du Titanic lors de son premier voyage, le 14 Avril 1912 donc. Le Titanic ou, à l’époque, l’image de la soif de l’ambition dévorante de l’homme de dompter les éléments et la nature, se terminant là aussi par la mort. Souviens toi que tu vas mourir, même avec les mensurations colossales d’un paquebot.
Sidisid serait-il pour autant un contre-exemple d’homme à ne pas suivre ? Peut être, mais si plus de rappeurs pouvaient s’en inspirer pour construire des univers textuels et visuels aussi complets, le rap pourrait peut être ne jamais mourir…