Le rap français et ...

Le rap français et la Palestine

Medine_Sevran

Médine, ou la petite histoire dans la grande.

Avoir une vision globale du conflit israélo-palestinien est nécessaire pour comprendre les enjeux du conflit et en mesurer les tenants et aboutissants. Cependant, noyer la question dans une vision trop globaliste et présenter cette guerre comme celle comme deux camps antinomiques et inconciliables nous fait trop souvent oublier qu’il y a des êtres humains pris au cœur de ce conflit, emportés dans le sillage d’une Histoire qu’ils n’ont pas choisie.

C’est cette petite histoire, l’histoire à échelle humaine, qu’a choisi de raconter Médine, passé maître dans la discipline du story-telling ( voir Le story-telling dans l’oeuvre de Médine). Pour nous rappeler qu’au–delà des accords de paix ratés et des négociations stériles, au-delà des batailles de chiffres sur le nombre de civils et de combattants tués dans les deux camps lors de chaque guerre, il y a des individus, humains, qui subissent de plein fouet l’incapacité des grands de ce monde à régler un conflit vieux de plus de soixante ans et le payent de leur vie. Pour cela, il utilise une fiction, une histoire de destins croisés, celui de David, jeune Israélien, qui croise celui de Daoud, jeune Palestinien d’Hébron (Cisjordanie occupée), qui commet un attentat suicide dans lequel David périt. Cette fiction, Médine la rédige en deux temps, puisqu’il a espacé de presque dix ans le morceau David du morceau Daoud.

« Au crépuscule, les champs encore ensoleillés/ c’est le chant de la rivière et l’odeur des oliviers / l’harmonieux tableau de la saison/ David est un Juif et ses parents sont colons. » Le premier morceau David, se penche donc sur le parcours d’un jeune Israélien de 17 ans, David, qui prend conscience peu à peu que la situation qu’il vit en tant que colon n’est pas normale et que ses parents, militaires, participent à un système oppressif brutal et injuste pour disent-ils, le protéger, lui et les autres jeunes Israéliens. Mais David n’est pas dupe, et comprend peu à peu que ce système dont il fait partie est un système colonial oppressif, qui spolie tout un peuple en prétendant protéger la nation israélienne du terrorisme et de l’anéantissement.

Toute sa vie est centrée autour de la défense d’Israël et d’un nationalisme exacerbé et agressif. De fait, cette prise de conscience est forcément douloureuse puisqu’elle implique une rupture potentielle avec sa famille : « David est réservé, solitaire/ il se comporte à l’école de manière exemplaire / à la maison en retrait pour ce qu’il pense/ la terre promise est l’objet de divergences/ à 17 ans, fils unique mais conscient/ que son père et sa mère ont les mains pleines de sang/ qu’ils détruisent des familles pour l’empire/ qu’ils sont prêts à faire tout un peuple de martyrs/ pourquoi détruire les maisons des Palestiniens ? / après tout cette terre leur appartient/  même pas en rêve le statut de locataires/ des squatteurs indésirables qui retracent les frontières/ c’est c’que nous sommes, et c’est c’que nous resterons/ croyez-vous pouvoir étouffer la rébellion/ de millions d’enfants qui jettent la pierre/ contre des chars et des rangées d’hélicoptères ? »

La narration est tantôt externe, tantôt interne, laissant la parole au personnage de David lui-même : « Endoctrinés par les politiciens/ qui spolient tout un peuple en rassurant l’Israélien, nan, j’peux pas comprendre qu’ils mordent à l’hameçon.» David décide donc de parler à ses parents, et c’est en rentrant chez lui qu’il croise la route d’un kamikaze. Son destin est tragique car il se fait tuer au moment même où il prend conscience que ce conflit dans lequel il est pris est une spirale infernale et que la réponse militariste du gouvernement israélien n’endigue pas le terrorisme mais le crée. C’est aussi une manière de condamner le terrorisme qui cible aveuglément civils et combattants d’une armée d’occupation, et qui prend le risque d’éliminer ainsi les rares éléments de la société israélienne qui seraient susceptibles de faire changer les choses.

David est un personnage fictif mais nul doute que son histoire a déjà dû se produire. Ce morceau de Médine nous rappelle que même au sein de la société israélienne, des individus se soulèvent contre la politique de colonisation et se retrouvent victimes d’une situation dans laquelle ils n’ont pas choisi de naître.

La seconde chanson Daoud, parue près de dix ans plus tard, s’intéresse au second destin de cette fiction : celui de Daoud, Palestinien d’Hébron (Cisjordanie occupée) de 17 ans dont le frère a été tué un an plus tôt lors d’une altercation avec des soldats de Tsahal. Uniquement rédigé à la première personne, ce récit tente d’expliquer le parcours du jeune kamikaze, comment la peine et la frustration peuvent mener à un tel désespoir que la seule perspective possible devient la mort avec la farouche intention d’emporter le maximum d’ « ennemis » avec soi. « Alors aujourd’hui à la date anniversaire/ je m’apprête à rendre la pareille à l’adversaire/ qui m’a ôté la compagnie de mon aîné, de mon bien-aimé/ m’a pris une large part de mon âme peinée/ on me prêtera des intentions politiques/ les médias du monde diront que je suis un croyant fanatique[…] / mais ma vengeance n’est que personnelle ».

Médine veut montrer par-là que ce n’est pas forcément le fanatisme ou l’endoctrinement qui pousse les gens à commettre de tels actes, mais parfois le simple désespoir et l’impossibilité d’envisager une perspective d’avenir dans un pays où la vie est rythmée par les arrestations, les humiliations et l’injustice et où un pan entier de la population ne dispose pas du droit à l’autodétermination et à être souverain sur ses terres. La chanson « David » terminait sur ces mots : « l’homme s’est fait exploser/ David est mort et ses parents vont continuer. » Cette fois-ci, le texte se conclut sur les mots « Daoud s’est fait exploser/ David est mort et ses parents vont se venger. », montrant ainsi la spirale infernale de la vengeance à laquelle ce conflit semble voué.

Le prénom du premier fait écho à celui du second, puisque Daoud ne désigne autre que le personnage biblique de David dans la langue arabe. Tous deux ont 17 ans, et tous deux sont victimes d’une situation qui les dépasse. Leur prénom est le même à une traduction près, finalement, David aurait pu être Daoud et vice-versa. La dualité présente dans cette fiction démontre aussi combien ces deux personnages sont finalement identiques, et ne sont en fait que les victimes malheureuses causées par l’incompétence des politiciens et de la communauté internationale à régler un conflit vieux de plus d’un demi-siècle.

Médine nous présente donc deux destins tragiques. Si ces deux chansons prennent clairement parti et s’il impute la responsabilité de la situation à la politique israélienne, sa vision n’est pourtant pas manichéenne puisqu’il présente d’abord David comme une victime et montre que le camp israélien compte aussi des partisans de la paix. En redonnant leur identité à ces deux protagonistes anonymes, respectivement victime et auteur d’un attentat suicide comme des dizaines ont secoué la région lors de la seconde intifada, il nous rappelle que derrière ce conflit, au-delà de la vision schismatique et inconciliable qu’on en a, il existe des individus dont les vies sont brisées  et fauchées par la guerre. Des individus si peu différents au fond, qui auraient pu, dans une autre vie, construire ensemble.  « Et qu’on nous épargne à toi et moi si possible très longtemps, d’avoir à choisir un camp », disait Jean-Jacques Goldman.

À proposStéphane Fortems

Dictateur en chef de toute cette folie. Amateur de bon et de mauvais rap. Élu meilleur rédacteur en chef de l'année 2014 selon un panel représentatif de deux personnes.

5 commentaires

  1. A noter d’ailleurs que le titre de l’article est « Le rap français et la Palestine » et non « Le rap français et le conflit israelo-palestinien »

  2. Très bon article. Quatre titres incontournables.
    Je regrette également un peu la conclusion un tantinet vague.. ce qui n’enlève rien au reste. Et je partage aussi la demande des autres commentaires : quels sont les textes qui font de la récupération ?

    Alex, à te lire on croirait presque que tout ce que ces 4 morceaux sont tombés de nulle part. Il n’y a de pro-palestinien nulle part. Ecoute attentivement les textes (et relis l’article) pour te rendre compte que ces textes ne sont pas manichéens et surtout, surtout, n’oublient jamais les réalités humaines (d’un côté comme de l’autre). Bien sur que la tendance globale est à la dénonciation de la politique sioniste. Evidemment. Si tu veux entendre l’inverse tu n’as qu’à allumer ta télé et ta journée en sera tout égaillée.

    Mais tu sembles oublier qu’il s’agit ici de mettre en lumière et de décortiquer les textes les mieux écrits du rap français sur le sujet de la Palestine (dont certains datent de + de 10 ans) et de souligner le fait qu’ils sont très bien construits. Pourquoi t’emballes-tu à invoquer des choses dont l’article ne se porte pas à traiter ?

    Par ailleurs il semble que l’auteur ait modifié la phrase que tu citais. A la lecture de l’article (aujourd’hui) je n’ai pas senti le côté unilatéral que tu évoques.

  3. Bonjour,

    je trouvais le titre de l’article extrêmement intéressant, mais ma déception a grandi au fur et à mesure des pages pour atteindre son apogée en fin d’article avec la phrase qui ressemblait à « nous avons choisi uniquement les rappeurs qui ont fait preuve d’honnêteté intellectuelle etc »

    Je ne me positionne pas d’un côté ou de l’autre de la barrière, mais force est de constater que c’est un nouveau torchon partisan qui plus est, pro-palestinien, même si l’auteur s’est efforcé de documenter son article, il n’en reste pas moins une vulgaire tentative de légitimation de cette prise de partie côté palestinien, qui peut se révéler extrêmement dangereux car il en vient à justifier le recours aux armes et en arrive même à honorer les kamikazes qui ont tués de nombreux innocents (qu’ils soient juifs ou pas)
    plutot que d’apaiser les tensions et d’appeler au débat..

    « les rares côté israeliens qui sont pour la paix » page 2 est un des nombreux indices de ce positionnement dogmatique de l’auteur.

    L’auteur voulait comparer les partisans sérieux à ceux qui ne le sont pas, au final l’article se révèle unilatéral, plutot que de poser des questions interessantes ou d’ouvrir sur de nouvelles perspectives comme se demander les raisons de la « spoliation » de certaines terres (peut être en réponse « punitive » à des attentats suicides notamment) il légitime la violence, et le renfermement sur soi même, tout comme les prises de position aveugles qui reposent la plupart du temps sur un conflit religieux plus que géopolitique (à noter un des premiers articles de la charte du Hesbollah ou du Hamas qui souhaite établir un état « judenrein » et la distinction ici entre juif et israelien est essentielle, ce n’est plus un combat géopolitique mais uniquement religieux!)
    c’est donc sur cet amalgame, sur cette transposition erronée -pour ne pas dire corrompue- du conflit ou sur d’autres questions qu’il aurait été judicieux de se pencher.
    Plutot que d’appuyer un positionnement aveugle, dangereux et dogmatique de certains.
    Avec en filigrane le même positionnement anti-israelien de l’auteur qui au lieu de faire du journalisme objectif, fait une nouvelle fois, du journalisme poubelle…

    c’est bien dommage!

  4. Article intéressant et point de vue bien développé, merci. Sniper et Médine me paraissent en effet incontournables sur ce sujet, citer Kery James aurait pu être pertinent aussi.
    Je suis d’accord avec le commentaire précédent, quelques exemples de mauvaise récupération commerciale pourraient être utile pour répondre réellement à votre question.

  5. Super article !

    Sa parfaite contrepartie serait maintenant, via quelques exemples, de montrer quelques textes qui font de la récupération, afin de bien saisir la différence entre les deux approche qui est souvent, subtile…
    Bon article en tout cas!

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.