Dossiers Le rap français et ...

Le rap français et l’Asie

Défini le plus souvent comme un art de rue, local et fier de l’être, le rap français s’inspire néanmoins de différents horizons. Entre les influences du grand-frère américain, les origines africaines et maghrébines de nombreux emcees, ou sud-américaines de  Keny Arkana ou Rocca, l’art de la rime de l’hexagone a su aussi puiser plus loin, à l’extrémité Est de la mappemonde.

On retrouve en effet fréquemment dans le rap des références ou des inspirations claires puisées dans le folklore musical et historique du coté Pacifique de l’Asie. Évocation du Japon médiéval, des samouraïs, des arts martiaux ou de légendes, métaphores de la condition du MC face à ses rivaux, de l’individu face à son environnement ou histoires anecdotiques qui ne trouvent pas le chemin de nos médias ; le rappeur orientaliste se fait relais d’un monde lointain et inconnu, quitte à passer par des clichés et du sentimentalisme.

Histoires du levant.

Deux story-tellings sont présents parmi les morceaux choisis. Tous deux très différents dans la forme et le fond, ils se rejoignent néanmoins sur certains points. La petite marchande de porte-clefs d’Orelsan, son piano sautillant et son refrain mignon, raconte une histoire  dramatique d’un nouveau-né chinois qui s’avère être une fille. Son père, la considérant comme inutile, la vend et elle se retrouve à vendre des porte-clefs au MC sur les quais du métro parisien. Orelsan use un ton détaché alors qu’il raconte les mésaventures de la jeune chinoise, qui ferait passer Cosette pour une jeune fille sans histoire.

Le décalage créé devient ainsi dérangeant et nous fait nous questionner sur les vraies intentions de l’artiste. Le lointain est alors prétexte à l’anecdote dramatique, invérifiable mais plausible, puisque le conteur prétend en plus avoir rencontré le protagoniste de son histoire. Orelsan illustre dans son texte la dureté du régime chinois, la mondialisation et ses effets néfastes, la condition d’enfant-esclave et la méconnaissance du sujet, voire son ignorance volontaire de la part du citoyen occidental.

En face, Médine et son morceau Sou-Han. A l’opposé de son homologue normand, le barbu du Havre déchaine sa voix rocailleuse pour adopter le ton du drame raconté. Sou-han voit son père mourir à la guerre du Viêt-Nam, tué par l’armée américaine. Elle décide alors de commettre un attentat suicide dans un bar, acte aussi vide de sens que cette guerre. Sur une instru théâtrale et avec les qualités de Médine dans ce domaine, on est plongé directement au cœur de l’action et nous pousse à l’empathie envers cette histoire.

Si Médine utilise l’Histoire, c’est surtout pour illustrer l’opposition entre Orient et Occident à travers la guerre. Il démontre ainsi que malgré les différences culturelles qui peuvent conduire à la guerre, la nature humaine ne change pas. La haine appelle la haine, la vengeance veut combattre l’injustice. Le tout soutenu par des cuivres et des cordes, pas forcément grandiloquents mais accompagnant parfaitement la voix, l’intensité du morceau et l’implication du emcee conteur nous immergent complètement dans l’histoire.

Mais dans les deux cas, on se retrouve en présence d’un environnement difficile, cruel, violent. Un orient vu sous l’angle du média, qui n’en parle que pour évoquer des nouvelles dramatiques, pointant ainsi peut être la méconnaissance de cette région et surtout son traitement par l’Occident. Ce basculement du point de vue à travers le protagoniste n’est alors qu’un prétexte, utilisé pour provoquer l’empathie et la sympathie, de plus par des histoires invérifiables du fait qu’elles soient passées ou lointaines. Des histoires de l’Orient certes, mais montées par et pour des Occidentaux.

À proposJibé

Amateur de snares qui claquent et de kicks qui portent, j'aime les freestyles à base de kalash et de double-time.

6 commentaires

  1. […] « Iam reste le groupe le plus prolifique en la matière, avec des titres tels que « L’école du micro d’argent« , « Le style de l’homme libre » ou encore « Un bon son brut pour les truands ». Ces titres font la part belle aux arts martiaux, qui sont alors assimilés à l’art du emceing. Le crew devient un clan Shaolin, qui possède ses propres techniques, supérieures aux autres. Le vocabulaire emprunté aux arts martiaux ainsi qu’à la culture martiale sont légions, faisant autorité et renforçant ainsi la force de ces textes teintés d’egotrip. » – dans « Le Rap français et l’Asie » (2013) […]

  2. Je prend note de la Mafia Trece, j’avoue ce groupe manque à ma culture.
    Il y a d’autres artistes ou morceaux que j’ai oublié ou choisi de ne pas évoquer, tout simplement car l’exhaustivité n’était pas mon but et aussi pour éviter les lourdeurs d’un nombre de citations trop importantes. J’ai choisi les exemples qui servaient ma démonstration et qui correspondaient le plus à mes goûts 😉

    Jibé

  3. Gros gros oublie de la Mafia Trece, crew originaire du 13ème arrondissement soit le quartier chinois historique de Paris. Le titre « à la recherche du mic perdu » est la parfaite illustration de l’influence asiatique prédominante dans leur musique.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.