Interviews Rappeurs

L’Erreür : « Les mots sont une matière brute. C’est de la sculpture. »

Et sur quoi tu les poses ces mots ? Tu composes ? Tu commandes des prods ?      
L’Erreür : Ça dépend. Des fois je travaille avec des beatmakers dont j’aime vraiment le boulot. Je pense par exemple à Enro d’Omerta Muzik, je pense à Slim-Guesh, un gars de Paris…
Sinon c’est en fonction des textes. A la base, je ne connaissais pas de beatmaker quand j’ai commencé et du coup on volait des sons sur internet. Voilà quoi. Je voyais plutôt la prod au service du texte. Donc surtout j’écrivais, et ensuite je cherchais la prod qui allait bien. Ma méthode de travail évolue, j’essaye de travailler plus étroitement avec une personne qui va composer pour le projet, en lien.

Et du coup, tu veux parler de ton dernier projet ?
L’Erreür : Ouais carrément. Alors j’ai sorti un projet le 8 février dernier, qui s’appelle A Ces Gens. C’est que de la reprise. Que des textes d’auteurs disparus, de poètes, donc du Brel, Ferré, Prévert, Renaud…

Et pourquoi que des disparus ? (Renaud sera content d’apprendre sur notre site qu’il est mort 😉 )
L’Erreür : Ah ça c’est pour les droits d’auteur. (rires)

Euh… Non, si les auteurs ne sont pas disparus depuis 99 ans, je crois que les droits restent dus.
L’Erreür : Ah merde, je croyais moins que ça, je croyais que c’était 60 ans …

Le pire c’est que les droits de propriété intellectuelle peuvent être prolongés par les héritiers, comme ça ils continuent à toucher le fric… J’ai lu ça sur la famille de Victor Hugo qui continue à toucher des droits sur des choses qu’ils n’ont pas écrites, alors qu’il est mort y a presque 150 ans et qu’il était clairement contre ce système. Ce mec, il s’est prononcé pour l’entrée de l’œuvre dans le domaine public dès la mort de son auteur. Il avait mis au point un système avant-gardiste, repris par un seul éditeur à son époque… Bref, l’hérédité de la propriété intellectuelle, ça me semble fou, mais tu devrais te rencarder…

L’Erreür : Ah merde, bin, tu m’apprends quelque chose.

[NDLR, parce que là j ai eu comme un besoin de checker mes sources, vu que les interviews se font en vase clos dans ma julymobile, sans internet et sous pastis. En fait il ne s’agit ni de 99 ni de 50 ans, je cite :  » La durée des droits patrimoniaux couvre la vie de l’auteur. À la mort de l’auteur, ces droits persistent au bénéfice de ses ayants droit pendant l’année civile en cours et les 50 ans suivants avant la loi du 27 mars 1997, et, depuis cette loi, les 70 années qui suivent. Ils peuvent être prolongés à la demande des héritiers.  » Si vraiment t’es passionné, le détail et la suite sont par ici : http://www.celog.fr/cpi/lv1_tt2.htm#123-1 ]

Bref, pourquoi que des disparus, alors ?
L’Erreür : En fait, je ne sais pas pourquoi, c’est une bonne question… Disons que je me suis fixé ça comme contrainte. C’était la toute première, que ce soient des auteurs qui ne sont plus d’actualité aujourd’hui. (petit silence) Même si finalement Renaud n’est pas mort, mais il n’est plus d’actualité. J’ai pris ça comme contrainte : utiliser ces textes écrits dans d’autres contextes.

Mais alors est-ce que c’est pour montrer qu’ils sont toujours d’actualité ? Ou qu’ils sont rappables ?
L’Erreür : Exactement. Et ça c’est toute l’importance du texte. Ces textes ne sont pas actuels, ils sont plus intemporels. Parce qu’un texte bien écrit se suffit à lui-même. Genre un texte de Brel, où tout est millimétré, tu prends n’importe quelle prod, ça se rappe. Très facilement. Ferré pareil. Renaud encore plus. Toutes les rimes tombent au bon endroit, c’est terrible. Et donc faire revivre ces textes c’était un peu le kiff.

Et du coup, qu’est-ce qui se rappe le plus facilement : un texte qui est très présent comme chanson dans l’inconscient collectif de chacun, genre du Brel, avec toutes ses intonations, ses accents, ou un poème peu connu, en tous cas qui n’a jamais été chanté ?
L’Erreür : Bonne question ! C’est plus facile pour moi de rapper des poèmes qui n’ont jamais été mis en musique, qui n’ont jamais été fixés, que du Brel, ou du Brassens, où chaque note colle à chaque mot ou syllabe et c’est impossible de s’en détacher. Moi j’ai trouvé pendant l’exercice que rapper les poèmes c’était plus facile, parce que t’as aucune influence à te départir, t’as juste le texte et sa structure.

Perso en tant qu’auditrice, moi au début ça m’a limite dérangée. Parce que tu retrouves bien les mots, chacun à sa place, le texte n’a pas bougé, ok, mais je ne retrouvais pas le squelette rythmique, ou je sais pas comment ça s’appelle, mais cette habitude que t’as d’entendre du Brel, chanté comme Brel. Au début, ça dérange.
L’Erreür : Ouais t’es pas la seule à me le dire. Moi je n’ai pas écouté les originaux. Y en a que je connaissais pas et les autres dont je voulais vraiment faire abstraction. En fait ce projet m’a permis de fouiller, de découvrir des auteurs, comme Ferré. Je ne connaissais pas du tout, j’avais jamais entendu. Le tout premier que j’ai enregistré c’est Poètes et la vie d’Artiste, de Ferré, mais je les avais jamais entendu chantés, je pense que ça m’a vraiment aidé. Justement Brassens, je voulais vraiment en faire une, et j’ai abdiqué au bout d’un moment, parce que je trouvais ça trop dur.

[Brassens est quand même présent sur cet album, c’est L’1Probable Mc qui s’y est collé, sur le très beau texte « Le Testament », et c’est beau !]

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Bon alors y a 20 gros titres, du Aragon, Mano Solo, Ferrat, Piaf… , et vraiment plein de monde sur cet album : des feats (Samal/Da Rama), des personnes à qui t’as laissé un morceau entier (Melan, Verbal, Mighz …), des beatmakers qui ont vraiment bossé dur (Dj Spazm, Clem Beatz, Diabi…). Ça a été facile de motiver tous ces guests ?
L’Erreür : Oui. Tu l’as dit, il y a du monde parce que c’est collectif, ça se sent. Parce que c’est de la reprise, je pense aussi que ça a été plus facile. Ce ne sont pas des textes qu’on a écrits, donc il n’y a pas cet effort là qui est très très intime de lâcher un texte dont le message vient vraiment de toi. Ca demande un effort énorme d’écrire un truc qui marche, un beau morceau. Là vu que c’était de la reprise, sans cette contrainte là, je voulais faire un truc familial.

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