On les connaît pour leurs sketchs intemporels, pour leur film Les 3 Frères, véritable bijou de comédie française (bien que le deuxième volet, sorti il y a peu temps, laisse à désirer), pour leur humour pliant. Mais notre mémoire nous joue souvent de mauvais tours, et nous avons trop tendance à abandonner aux errements de l’oubli leurs tubes musicaux. Autant le dire tout de suite: les Inconnus sont au rap ce que Balerion est aux dragons de Game of Thrones. Les plus puissants. Nous nous sommes tous éclatés la nuque sur l’instru punk de leurs sons, nous avons tous scandés leurs paroles à s’en égosiller le gosier (je dis ce que je veux, c’est mon article). Leur influence est sans limite. Quand la Scred scande « on est le groupe le plus connu des Inconnus », c’est bien sûr pour faire écho à ce triptyque. Swift Guad a même procédé à l’écriture de la vie d’un des membres de ce trio comique dans « Biographie d’un Inconnu ». Pour un site dédié au rap français, leur offrir ce papier résonne comme une évidence.
Retour sur trois de leurs pièces maîtresses. Trois comme le nombre de membres qui composent ce groupe de rap hardcore devenu myhtique.
C’est toi que je t’aime
L’amour, tout d’abord, a constitué le thème central d’un de leurs plus gros tubes. Dans C’est toi que je t’aime, les trois génies nous offre une des plus belles déclarations de la chanson française. Que les Michel Sardou, Marc Lavoine, Jacques Brel, Francis Cabrel, Charles Martel et compagnie aillent se rhabiller, ils appartiennent au passé. Le futur se situe dans ces quelques lignes pleines d’énergie et de tendresse, qui feront fondre toute demoiselle:
» Pour toi je repasserai mon bac
Je serai poli avec ta mère
Je voterai pour Jacques Chirac
J’arrêterai de boire d’la bière
J’mettrai un costard cravate
J’irai à Roland Garros
J’te jure que j’aurai plus de morbacs
J’écouterai Démis Roussos
Je donnerai pour la Croix Rouge
J’ferai plus « 36 15 ULLA »
J’achèterai le Figaro
J’pisserai plus dans le lavabo «
Rarement un artiste n’avait autant écouté ses pulsions, laissé parler ses émotions, et ouvert son cœur. Une réelle prouesse de romantisme. Je les imagine, les cheveux au vent, dans un champ des Charentes, un épi de blé dans la bouche, entrain d’écrire les paroles, transpirant d’une inspiration transcendante. Aujourd’hui encore, je rêve de conquérir ma future dulcinée en lui disant, lors d’un dîner aux chandelles des plus romantiques qu’il soit: « C’est toi que je t’aime. »
Rape tout
Cependant, les Inconnus se diversifient, refusant d’être enfermés dans une case artistique par un public irréfléchi. À cet effet, ils ouvrent leur registre à des thèmes bien plus profonds. Nombreux sont les rappeurs français (ou non rappeurs, d’ailleurs) qui dénoncent le système d’imposition français. Entre Saint Booba qui s’exile en terres outre-Atlantique, Johnny qui va se gaver de Petit Suisse, ou encore La Cliqua qui nous le cite comme seul alternative à l’échafaud (Métro, boulot, dodo, trop d’idiots suivent le troupeau / L’impôt ou l’échafaud, faut donner ta peau pour du repos, pour un tombeau), le FISC est souvent au centre des tirs. Alors, pour le critiquer, quoi de mieux que le personnifier en vampire, prendre le nom de trois caisses d’imposition (URSSAF, CAMCRAS et CARBALAS), se parer de flows lancinants et en faire une chanson mystique aux paroles puissantes ? Dans un clip noir où l’on voit défiler les politiciens de l’époque (Chirac, Edith Cresson et tout le toutime) affublés de dents de vampire, autour de cercueils, leurs paroles résonnent comme un appel aux armes. Un rap conscient, réfléchi, où le poids des mots et le choc des images s’entrecroisent pour donner vie à une chanson cruelle et sanguinolente. Des héros, en somme. Des héros qui ont su prendre leur courage à deux mains, et s’élever contre ce système d’imposition dictatorial, qui n’est là que pour te « sucer ton flouze, ton oseille, ton pognon, ton pèze, ton fric, ton blé, tes économies, tes sous, ton salaire, tes bénefs »
Auteuil-Neuilly-Passy
Il a terminé en première place des singles les plus vendus en 1991. Titre phare de la dernière décennie du XXème siècle, Auteuil-Neuilly-Passy traduit la voix des ghettos. Là-bas, dans ces endroits où les patrouilles de police se font rares, et où seuls les gangs font la loi, le trio a décidé d’être le porte-parole d’une jeunesse oubliée. Comme un hommage aux block parties américaines, les mots deviennent la seule alternative à la violence. Avec un clip tourné au plein centre de Neuilly Zoo, caméra au poing, on voit nos trois héros dans leur environnement quotidien: entre la dégradation de biens privés à la bombe de peinture aérosol, les disputes avec les représentants de l’ordre civil, et leurs pérégrinations urbaines, on a vite fait le tour de cet univers dégradé.
Leur timbre de voix, profondément mélancolique, semble porter les stigmates d’un lourd passé. Pourtant, ils ne se laissent pas abattre et, grâce à une verve riche et un vocabulaire varié, nous offrent une courte escapade dans leur quotidien:
« C’est la croix et la bannière pour me sustenter »
« As-tu saisi mon pote,
Notre envie de révolte ?
J’ai envie de crier !«
Nous n’en avons pas besoin de plus pour comprendre leur malaise.
En conclusion, trois génies intemporels. Leurs sketchs, et leurs chansons, n’ont pas pris une ride même 20 ans après, et force est de constater qu’ils ne sont pas prêts de nous décevoir.
Leo le prince du rap
Haha oui, j’aurais voulu les mettre, mais je voulais me limiter a 3. Et ces 3 là s’imposaient, il me semble !!
Haha excellent article bien joué !
Mais « Y en a marre du rap » et « C’est ton destin » manquent à la liste !