Couplet : première partie
Dans ce mouvement, Hugo TSR décrit un quotidien peu reluisant, presque crasseux, plein d’alcool, de substances illicites et de nuits blanches. Il compte donc, à travers son propre exemple, montrer « l’endormissement » provoqué par cette distribution tacitement autorisée de stupéfiants.
Le couplet s’ouvre sur une première mesure qui met en avant un détail important sur cette consommation excessive :
Y a du shit quand y a plus d’zeb, face aux verres on tise cul sec
Peu importe la substance, sa qualité et son goût ; seul compte pour l’auteur l’effet anesthésiant. Et cette idée est encore appuyée à la mesure suivante :
Fumette et buvette, nous on s’en pète du Audi Q7
Cette anesthésie est donc plus importante pour Hugo et ses compères que n’importe quelle possession matérielle. Ces deux mesures montrent bien l’importance que revêt le coma artificiel pour ceux qui l’ont goûté : quel que soit le moyen, quel que soit le prix (c’est bien ce que sous-entend la mention d’une voiture haut de gamme), ils feront tout pour l’atteindre.
Parfois pressé, toujours précis, j’opère à la Nip Tuck
Collage deuspi, dans l’bâtiment c’est la Cannabis Cup
Cette référence à la Cannabis Cup constitue évidemment une hyperbole de la consommation de cannabis de Hugo, et la rime « à la Nip Tuck » à laquelle elle est associée montre que cette surconsommation n’a rien d’accidentel, mais est bien voulue et calculée, avec une précision chirurgicale. Par ailleurs, cette référence à une série de chirurgie sous-entend encore l’idée de l’anesthésie.
Le MC poursuit par sa propre description physique, permettant à l’auditeur de mesurer les dégâts de ces substances sur lui. Plus qu’un physique maigre et pâle, les mesures qui suivent présentent une connotation obscure et sombre qui associe peu à peu ce coma à la mort :
Défoncé comme ma plume, les ongles noirs, des joues d’squelettes
Une sale allure, j’suis comme la lune, j’me couche à l’heure où l’jour se lève
L’hyperbole « des joues d’squelettes » témoigne en effet de l’état physique du rappeur mais renvoie aussi directement à la mort, dont le MC semble se rapprocher à cause de cette surconsommation de substances.
La mesure suivante « Si t’as fini ton verre à l’aise, on r’met ça comme la Danette » prend toute son ampleur dans son association avec celle qui suit, qui constitue la première punchline du texte : « Une vie pas nette, là c’est l’Étrange Noël de Monsieur Jack Daniel’s ». En effet, la comparaison « on r’met ça comme la Danette » peut sembler futile et ayant pour seul intérêt sa musicalité ; elle montre pourtant que Hugo consomme de l’alcool comme un enfant peut consommer de la crème dessert : en masse et avec plaisir. Cette référence enfantine est doublée par la mention du film L’Étrange Noël de Monsieur Jack, un film pour enfant dont l’ambiance est pourtant sombre, étrange et presque inquiétante.
Cette punchline, associée au début du couplet, décrit définitivement la nature de l’acte de consommation chez Hugo : le rappeur en connaît les risques et dangers, mais les occulte en en faisant un plaisir enfantin, voire innocent. Cette phase prendra pourtant sa pleine mesure à la fin du couplet.
Couplet : deuxième partie
Ce deuxième mouvement comprend quatre mesures, qui relèvent plus de la démonstration technique que de la poursuite du thème du morceau. C’est en effet par leur musicalité que ces quatre mesures sont impressionnantes : elles présentent trois assonances filées, en [ai], en [an] et en [a].
Mais ce sont les rimes multi-syllabiques qu’elles comportent qui font vraiment de ces quatre mesures un bijou d’écriture ; en voici la première série : « le bitume tente », « les flics te sentent », « au fil du vent », « depuis qu’tu vends », « j’séti du Clan », « en tutu blanc », « en titubant ».
Mais aussi : « à faire de la merde », « mec tu vas te perdre », « tu te la pètes ».
Et encore : « plus de Polia », « on voit le peura », « pire que l’orage », « à l’aise à l’oral ».
Cet effort de musicalité est encore plus apparent à l’oral, où Hugo profite de ces quatre mesures pour accélérer la cadence et montrer toute l’étendue de son talent, aussi bien poétique que vocal.
Au niveau thématique, ces mesures se détachent aussi du reste du texte puisque Hugo y expose les risques que comportent cette vie de débauche et sa propre position dans le rap game français.
Plus important, c’est uniquement dans cette partie du texte qu’il s’adresse à la seconde personne fictive classique de l’egotrip : le « tu » virtuel, qu’il s’agit de clasher, de remettre en place. Il n’est pas anodin que la priorité donnée à la technique et à la musicalité engendre l’egotrip : c’est même très significatif, mais ce sera l’objet d’une prochaine chronique.
La phase « J’ai plus de Polia, j’séti du Clan » insiste encore sur l’idée précédemment émise par l’expression « Y a du shit quand y a plus d’zeb » : ce n’est pas le goût, mais l’effet anesthésiant qui est recherché par cette consommation excessive. Ceci dit, cette conception ne s’applique plus au cannabis, mais à l’alcool : Hugo précise ainsi que cette dernière substance n’a finalement pour lui aucune différence avec la première, les deux permettent l’atteinte du même état de sédation.
On peut aussi noter le court egotrip dont fait montre Hugo TSR :
J’suis pire que l’orage, j’suis à l’aise à l’oral […]
En définitive, ces quatre mesures constituent une démonstration technique qui permet à Hugo, de montrer – en même temps qu’il le dit – sa supériorité sur la grande majorité des rappeurs français, que ce soit dans l’écriture ou dans le flow.