Chroniques

[Chronique] Lino – Requiem.

En 2005 sortait Paradis Assassiné, le premier album solo de Lino. L’attente d’un nouvel album était titanesque afin de savoir si Lino pouvait encore faire de bons morceaux sans être aux côtés de son frère Calbo. Le public s’était vu écourter son attente interminable car en 2012, Radio Bitume sortait à titre non-officiel, en effet, l’artiste a affirmé que ce projet était sorti sans son consentement. Requiem est donc officiellement son deuxième album solo. A-t-il réussi à consolider son image de pilier du rap français ?

« Si les hommes naissent pour mourir, mes requiems sont des berceuses. »

En toute logique chronologique, après un assassinat des cieux, Lino est venu rapper des chants funèbres en leur honneur. Chouette programme pour un retour très espéré. Les extraits sortis avant le projet garantissaient un album riche en qualité, que l’on pouvait déjà inscrire dans un futur top 10, en fin d’année. 12eme Lettre était une véritable pépite, égotrip certes mais le concept était audacieux. L’idée de réaliser des assonances sur cinq minutes de morceau, simplement avec la lettre L, nous avait séduits et le défi était relevé. De même avec ce fameux Wolfgang, ce n’est pas pour rien s’il était notre morceau préféré en 2014. Véritable claque auditive, l’ange déchu du rap annonçait une arrivée fracassante dans le Panthéon de ce genre musical. Et malheureusement, à l’écoute de ce Requiem, nombreuses sont les déceptions.

« C’est pas du Polanski, ma ‘zique touche pas les p’tites. »

Comment rester objectif vis-à-vis de cet album ? Cette scission entre le message anti-commercial, scandé à multiples reprises par Lino, et cette volonté de proposer des morceaux formatés à la radio, ouvre un paradoxe délicat. Un titre, Suicide Commercial, explique ce souhait de ne pas se formater pour vendre, souvent avec des paroles fortes, crues « Ambiance « rap métrosexuel », comment tu planques un flingue dans un legging ? ». On y retrouve ces arguments sur beaucoup de titres et on s’y laisse croire, pourquoi pas après tout ? Lino, à raison d’un album tous les 10 ans, est loin d’avoir une démarche commerciale. Il est difficile d’imaginer ce dernier annoncer un double album tous les ans pour le prix de seulement 12,99€.  Et pourtant, sur dix-huit morceaux, le quart est un regroupement de sons au refrain r’n’b chanté, naïvement, par un ou une artiste sans charme. Alors, évidemment, les couplets de Lino rehaussent le niveau mais, parfois quel gâchis ! De même avec la musicalité, l’écart entre ses instrus et celles de la Team BS n’est plus si vaste. Excusez-nous cette comparaison, presque hyperbolique, mais un morceau comme De Rêves et De Cendres aurait pu être une véritable merveille si la finition n’était pas aussi orientée vers des sonorités pour adolescentes. Est-ce le résultat d’une mauvaise orientation artistique ? Tefa, le réalisateur/producteur de cet album, aurait-il voulu rendre plus accessible la musique de Lino ? Certains diront qu’il n’y a pas de mal à vouloir élargir son public, cependant il y a des manières de faire plus pertinentes. De plus, on ne peut pas, sur le même projet, afficher ostensiblement une image anti-commerciale aux cotés de morceaux en featuring avec Zaho.

« Souvent, les nerfs parlent plus fort que la raison / J’chante ce millénaire et j’pars en rafale de métaphores sur les ondes / J’suis des coins où les anges disparaissent sous des linceuls / Rien n’change, mes raps sont toujours des caresses, des poings dans la gueule. »

Mais ne nous arrêtons pas à ça, il y a de très bon morceaux. Certes, l’ensemble de l’album n’est pas innovant, ni détonnant, mais la recette du piano/violon prédominée par la verve unique en son genre de Lino fonctionne toujours aussi bien. Les beats sont plus lents, sombres pour certains, ce qui permet parfois de mettre en valeur les textes de l’artiste. Name-dropping dénonciateur très présent, toujours dans cette idée de « Qui prétend faire du rap sans prendre position ? », développée avec son groupe Ärsenik dans le morceau Boxe Avec les Mots de 1998. Des lyrics d’une qualité indéniable peuplés de métaphores et de rimes riches, c’est ce qu’on aime retenir de cet album. Car Lino n’a pas perdu sa plume, cette patte si personnelle mêlant argot et tout son glossaire de belles expressions issues de notre langue si riche. Note particulière au magnifique Flingue à Renaud, qui est pour nous un des meilleurs morceaux, si ce n’est le meilleur, de Requiem, avec ses tournures de phrases et son fond très poétiques.

« Ça rappe et la peur revient charbonner / Quand j’vois le Printemps arabe et les fleurs que ça a donné. »

Bilan mitigé chez nous. Bon, sans plus. Disons que Requiem est à Lino ce que Django Unchained est à Tarantino, un bon album au sens général mais un album moyen pour l’artiste concerné. C’est donc une déception pour nous, et nous imaginons qu’une partie du public n’en pense pas moins car Lino était attendu comme une sorte de défenseur du rap, prêt à en redorer le blason. L’immense contraste entre les très bons morceaux aux couleurs sombres et ceux où la qualité est moins au rendez-vous laisse un goût amer très prononcé. Ce long projet de dix-huit titres aurait mérité d’être produit d’une toute autre façon. Un douze titres nous aurait amplement comblés.

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