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Discussion avec Lonepsi autour de Danger de mot

Artiste singulier et très prometteur, Lonepsi est « un rappeur âgé de 20 ans qui vogue entre Paris et sa banlieue ». Ne s’octroyant aucun « style particulier », il affirme que la « construction des morceaux est directement liée à son humeur, à la journée passée, aux personnes rencontrées et à ce qu’il vient de lire ou d’écouter. » Ainsi écouter Lonepsi, c’est aborder une multitude d’états et tout un tas de couleurs sonores. L’auditeur passe vite d’ « un morceau très musical avec un refrain chanté » à « un second morceau qui cogne ; très street » pour enfin se laisser aller à « un dernier morceau très planant, avec un flow aérien et une instrumentale qui suit. » La seule chose qui ne change pas, « c’est l’écriture ». Et c’est bien ce qui fait de Lonepsi un rappeur attachant, original et particulièrement marquant.

« Je suis un amoureux des mots et je leur attache énormément d’importance. Dans chacun de mes textes, chaque mot a son sens, son pesant d’or. »

Nous vous avions parlé de lui il y a de cela quelques temps à l’occasion d’un article de découverte pour le très bon Fais pas chier. Vous pouvez d’ailleurs retrouver ce titre sur les Premiers sons du reste de ma vie où l’auteur a compilé ses meilleurs morceaux de « jeunesse ». Enfin si l’on peut parler de jeunesse comme d’une époque lointaine quand son histoire d’amour avec le rap est aussi récente : « à 17 ans, en terminale, avec mes deux meilleurs amis de l’époque (Pheno et Cooper) on se donnait rendez-vous tous les jours après les cours, avec une enceinte qui grésille et un microphone enregistreur, dans le sous-sol de chez Pheno. On écrivait sur des petits post-it les meilleurs vannes qu’on trouvait, avec un temps imparti et des instrumentales bien à l’ancienne (celles de Dj Logilo, si mes souvenirs sont bons). Aujourd’hui, je suis le seul des trois à avoir continué le rap. J’ai ensuite rappé avec mon frère (qui a commencé le rap avant moi) avec qui j’ai monté le groupe Les Deux Demis. On a commencé à mettre des freestyles vidéos sur YouTube et avec tous les bons retours qu’on recevait, on a décidé d’investir dans un petit micro à un peu plus de 100€. Et aujourd’hui j’en suis là, toujours avec le même micro. »

Cette jeunesse, Lonepsi la célèbre dans plusieurs morceaux comme On s’était juré en hommage à ses potes d’enfances ou encore Le Banc qui propose une verve nostalgique au gré de quelques cordes finement pincées. Parler du quotidien et du vécu constitue une tâche coutumière pour le rappeur qui voit dans le rap une façon d’extérioriser ses tourments internes tout comme de s’exprimer simplement d’une manière très légère comme le montre la piste Café-Cigarettes et son flow posé avec aisance et dextérité.

Quant à la cosmologie du projet, le rappeur s’explique : « Ce projet devait s’intituler « Je ne suis pas seul » à la base. J’ai écrit cela après avoir vu dans une exposition une représentation qui m’a littéralement frappé. Cette image représentait un homme seul au milieu de tout ; et auquel je me suis beaucoup identifié. »

Dans le morceau Je m’éloigne – au flow ciselé rythmé par quelques percussions ténues la solitude est en effet le premier protagoniste, le grand héros de l’aventure. De plus, le titre le plus représentatif de cette obsession pour la solitude reste le très univoque Je ne suis pas seul, véritable parole de réjouissance poétique. Dans un style qui emprunte au folk et à une tonalité populaire étonnante, le rappeur y affirme : « je ne suis pas seul, je suis bien avec ma solitude. » Enfin, Nos maux propose une introspection aux syllabes méthodiquement décomposées sur un beat assez classicisant. Enfin c’est surtout dans les morceaux Mélancostalgie, L’homme au tablier ou encore La rupture que nous touchons de plein pied le fond thématique de l’œuvre : l’expression de soi, la thérapie des mots, le rap cathartique.

Enfin dans la même veine poétique, l’œuvre est sertie de deux potentiels chefs d’œuvre. En effet, le troisième morceau nous ouvre la porte sur une pléiade de notes pianotées dont la mélodie enlace la scansion si particulière de Lonepsi. C’est l’histoire d’un pianiste : ce génie muet qui attrape le ciel du bout des doigts. Seul et mélancolique, le pianiste semble représenter une sorte d’idéal artistique pour le rappeur dans sa manière muette et mystérieuse de communiquer avec le monde. Ensuite c’est aussi et surtout le morceau éponyme qui nous a plu : véritable ode à l’écriture, il résume bien l’esprit du projet par l’humilité du débit parolier et l’épatante volupté sentimentale de l’écriture. De l’intro-diction à la conclusion, du début à la fin, de la tête au pied de cet album foncièrement humain, Lonepsi nous tend donc la main à l’entrée de son univers singulier.

 « Chacun trouve son inspiration comme il peut, moi je la trouve en cherchant la solitude. J’ai commencé à écrire en groupe et aujourd’hui j’écris seul. J’ai besoin de me retrouver seul pour écrire. Ce que vais dire va surement paraître insensé, mais une fois qu’il n’y a plus rien autour de moi, tout devient beaucoup plus peuplé. J’ai beaucoup plus de faciliter à pratiquer l’introspection et donc à trouver l’inspiration, quand je ne sens aucune présence autour de moi. Et comme dit Anaïs Nin : « Pourquoi ne pas jouir aussi de sa maladie ? Il arrive qu’on tombe malade, simplement pour pouvoir rester un peu seul. C’est un des moyens qu’emploie le corps pour conquérir l’esprit. On a besoin d’être seul. On a besoin de se vautrer dans la maladie. ».

Moi, comme un de mes morceaux l’indique, le rap est ma maladie. Mais en réalité je ne suis pas triste ou malheureux. Je fais, dans la vie, des blagues à presque chaque intervention et j’ai tendance à surexploiter le second degré. Cependant, et c’est vrai, j’ai tendance à extraire la peine et le mauvais côté qui se trouve en chaque chose. C’est une façon pour moi de le neutraliser, et c’est pour ça que j’en parle beaucoup. La peine, la souffrance sont devenues des concepts qui sont tout sauf « tabous », pour moi. Je peux en parler comme d’une chose banale. Alors oui, c’est cette « peine » qui m’a le plus inspiré pour ce projet »

La solitude et la mélancolie sont les terreaux les plus favorables à la poésie, les terrains les plus fertiles à l’art. C’est là que Lonepsi a puisé son inspiration et ce depuis son plus jeune âge. Obsédé par l’écriture et les différentes modalités de créations poétiques, il nous confie qu’il a « commencé à écrire très jeune, bien avant de commencer le rap. Mais mes textes de rap de l’époque, ressemblaient plus à des clashs qu’autre chose. Et plus le temps est passé, plus mes textes de rap se sont apparentés à mes écrits. J’ai fini par délaisser (presque totalement) cet aspect « égotrip » de l’écriture pour faire du rap conscient. Pas engagé, surtout pas. Juste conscient. » et « Concernant la technique d’écriture, je suis passé par la multi-syllabique que j’ai vite oublié parce qu’elle m’empêchait d’exprimer clairement les idées que je voulais véhiculer. Je préfère dire deux phrases qui ne riment pas vraiment mais qui veulent dire quelque chose de concret, plutôt que de faire 8 rimes parfaites qui ont un sens un peu abstrait. Cependant plus le temps passe, et plus j’arrive à concilier rime et sens.

Plus le temps passe, et plus j’arrive à apporter quelque chose de nouveau (du moins quelque chose de personnel), au niveau des structures de phrases, du rythmes, des assonances et des thèmes abordés dans le rap. » Ce rapport très travaillé à l’écriture démontre bien la gravité avec laquelle le rappeur s’attèle à faire du rap, non pas comme un jeu, non pas comme un moyen mais presque comme une fin en soi : un aboutissement idéal de l’esprit dans les mots, une mise en musique et en lettres révélatrice de l’âme humaine et de sa complexité. « L’amour que j’ai pour les mots est né à la fin du livre « Siddhârta » de Hermann Hesse. Depuis ce jour, je suis complètement fasciné par les bouquins et par la manière dont ils arrivent à nous raconter leurs idées, leurs histoires. »

Quant au rap, Lonepsi livre le morceau Une belle connerie aux samples bien calés et aux percussions entraînantes. Quand on lui demande à quoi sert le rap, il affirme qu’il lui « sert à aller mieux quand ça ne va pas et c’est aussi un exercice intellectuel dans la mesure où j’essaie toujours de faire mieux que le précédent morceau. » Mais l’artiste différencie le « côté musical » comme « ce qui fait sa beauté. » Puis « le reste, ou ce qu’on appelle plus communément « le rap jeu », une connerie sans limite» avant de s’expliquer alors : « En somme, j’ai fait le morceau Une Belle Connerie d’une part pour déclarer l’amour que je porte pour le rap; et d’un autre côté, pour dire que vous ne me retrouverez jamais dans les histoires type télé-réalité auxquelles on est souvent confronté dans ce milieu. »

Amoureux du rap donc, c’est la dimension poétique de ce dernier qui intéresse le rappeur. C’est elle qui décore chaque note de cet EP plutôt bien réussi et dont les nombreuses références culturelles, en filigranes, semblent subtilement influencer les propos du rappeur parisien. Dès lors si on lui demande de nous citer les artistes qui l’inspirent, Lonepsi cite en vrac « Jazzy Bazz, Debussy, Joey Badass, Jean d’Ormesson, Nekfeu, Chopin, Eminem, Hermann Hess, Espiiem, Chilly Gonzales, Bon Gamin, Keith Jarrett, Maupassant, Booba et Victor Hugo. »

Ces grands-écarts culturels montrent l’ouverture d’esprit d’un jeune homme plein d’orgueil et de talent qui découvre la vie au rythme de ses lectures, de ses écoutes et de ses rencontres. Album authentique et tourmenté, Danger de mot est au rap ce qu’un roman d’apprentissage est à la littérature : la rencontre du « moi » et du monde. Les treize sons qui constituent le projet parsèment alors de notes les déambulations psychologiques d’un gars de vingt ans jeté dans notre époque instable. En ce sens, la jeunesse du projet offre les qualités et les défauts de cet album intense, parfois maladroit mais en tous les cas toujours sincère. C’est surtout un hymne au rap et en particulier à l’écriture qui paraît établir, au fil des pistes, une sorte de médiation entre l’homme et la vie. Comme le chemin le plus rapide d’un être à un autre, le sentier des mots est sans doute le plus beau et sans doute le plus vrai. Mais peut-être aussi le plus dangereux…

Si le projet vous intéresse, ça se passe ici.

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