C’est dans la continuité de nos promenades entre le rap et les autres champs artistiques que nous donnons aujourd’hui la parole à Edgar Sekloka pour ce « Mes cinq… » inédit. En effet, nous avons demandé au membre des Milk Coffee & Sugar de nous citer cinq livres qui l’ont marqué ou qu’il considère comme ses « classiques » en terme de littérature. Nous sommes donc très heureux d’inaugurer cette nouvelle rubrique littéraire en compagnie de ce rappeur, poète et romancier raffiné et atypique dont on vous conseille chaleureusement l’écoute (Milk Coffee & sugar) et la lecture (Coffee, Adulte à Présent et ‘Tite chose.).
M’appel Mohamed Ali de Dieudonné Niangouna (théâtre), Murambi, le livre des ossements de B. Boris Diop (roman), Kamerun ! Une guerre cachée aux origines de la Françafrique (1948-1971) de T.Deltombe, M. Domergue et J. Tatsitsa (recherche), Georgia de Julien Delmaire (roman), Des ruines de Jean-Luc Raharimanana (théâtre-poésie). Ce sont les cinq œuvres qui émergent là, sans trop réfléchir. Hormis les 732 pages du pavé sur le Cameroun, tous les autres s’avèrent des textes relativement courts. J’ajoute qu’il s’agit également d’une sélection d’auteurs virtuoses écrivant avec goût et précision, pour une lecture agréable malgré un contenu parfois dérangeant, mais qui s’en plaindrait ? Au fond c’est le dérangement, la corruption des certitudes qui nous équilibre et nourrit la grammaire de l’art en général et Des Ruines en particulier.
Publié chez Carnet-Livres, ce livre m’a mis à terre lorsque je l’ai refermé. Après la dernière page, je me suis dit que ce long poème de rage à la première personne, ce poème relatant la cruauté de l’Homme sur l’Homme est un uppercut, un coup de massue donné à la bonne conscience de ceux qui se confortent à oublier les ténèbres de l’Histoire et dont on fait tous, plus ou moins, partie. Il est question d’Afrique, de grands leaders assassinés, d’innocence tuée par balle avec l’image d’un enfant de 13 ans devenu dommage collatéral d’un militaire en service, de soufres de vivre, de ruines qu’on accouche mais qu’on n’ose reconnaître. C’est vrai, c’est sans concession, c’est enlevé, c’est révoltant, c’est douloureux, c’est rythmé, c’est oral, c’est littéraire, il suffirait de l’alimenter d’un beat et ce serait un rap. Un classique, pas de ceux qui le sont par leur médiocrité, mais de ceux qui élèvent les âmes en les forçant à regarder de quelles épreintes elles sont issues.
Pour vous encourager à découvrir les décombres de nous-mêmes, je vous laisse cette citation tirée de l’ouvrage : J’en ai assez de parler, j’en ai assez d’évoquer ce que tous savent, assez de faire de ma bouche l’entrepôt des mots sales charriés des lâchetés. Je voudrais me poser un peu, me tenir loin de la nausée, mais je suis trop près de moi encore, trop près de l’humain… »
Une des plus belles plumes du rap français. On en parle peu, mais Milk, Coffee and Sugar c’est du très haut niveau, l’un comme l’autre.
Gaël Faye, Edgar Sekloka font parti de ces rappeurs, qui sont au delà du rap. De la poésie mise en musique.