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Mike Tyson retourne le Rap français

Son patronyme aurait été un pseudo de rappeur percutant ; il est finalement devenu le boxeur le plus spectaculaire de notre temps. Une carrière sportive qui ne l’a pas empêché d’être propulsé au rang des symboles absolus de la culture rap (et de la rue) au même titre que ses figures tutélaires.

Il ne fallut sans doute que quelques hivers rugueux à Brownsville, Brooklyn, pour que Mike Tyson saisisse l’enjeu de l’époque : le monde n’était encore que la réplique d’une vieille ritournelle de western. Toujours ce flingue chargé, cette putain de pelle. Ceux qui possèdent ceux qui te baisent. Nègre, les poches pleines de tristesse, il sut qu’il fallait être un sacré fauve pour s’extirper de cette logique implacable édictée en axiome par les puissants. Talent et travail firent éclater son génie sur tous les rings de la planète Namek et il devint ce boxeur bestial superbe, adulé par les vrais, décrié par les fragiles.

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Bling-Bling et influence

Mike Tyson est né à la fin des années 1960, comme toutes les personnalités que les prudes nostalgiques nomment l’âge d’or du Hip-Hop. Pas de chance à la loterie : sa jeunesse côtoie le sale New-York des années 80 et se construit en réaction à la désertion sociale de l’administration Reagan. Une autre donne, devenu le hobby de tous les occidentaux d’après-guerre, achèvera son éducation: la quête de l’oseille, comme unique vertu du bonheur.

Bon élève de la consommation – comme tous les pauvres des pays riches -, Tyson ne se contente pas d’être l’un des rares traine-savates du ghetto noir à connaître la vie de rêve. Précurseur des cachets faramineux dans le domaine du sport, il inspire la rue et le monde du Hip-Hop par un style outrancier alors novateur : le bling-bling.

« En toute modestie, c’est moi qui ai lancé la mode du bling-bling avec mes immenses limos customisées et ma collection de Rolls et de Lamborghini. P.Diddy et ses petits copains se démenaient pour suivre le rythme, mais c’était des petits joueurs à côté de nous. J’ai lancé les tendances aujourd’hui encensées par les rois du Hip-Hop. J’ai été le premier à acheter des Rolls et des Ferrari. En 1985, quel autre Noir possédait ce genre de voiture – en toute légalité ? Les stars montantes du Hip-Hop organisaient des afters après nos combats. Ils ne savaient même pas ce qu’était une Bentley. Ces imbéciles les prenaient pour des bagnoles de vieux. Dans les années 1980, je leur vidais les entrailles et redécorais tout l’intérieur en Gucci, puis les équipais de réfrigérateurs ».

Loin de constituer les bravades d’un mégalomane sous cocaïne, ces propos attestent d’une réalité certifiée par les images et vidéos du boxeur le montrant, lui et son clan, parader en fourrures de zibeline dans les palaces les plus prestigieux de ce bas monde.

Un parallèle avec le Hip-Hop qui ne se limite évidemment pas à cette influence ostentatoire. Tyson, devenu presque contre son gré le représentant du ghetto, met en image le son rugueux de New-York à chaque apparition sur le ring (à une époque où les clips se faisaient plutôt rares) – il apparait alors gonflé à bloc sur du Public Enemy. En parallèle, il fréquente de nombreux rappeurs, dont Tupac, qu’il rencontre lorsque ce dernier est encore un anonyme dans la foule. Monstre de charisme retournant fréquemment squatter les pigeonniers de son quartier d’origine, il devient naturellement l’égérie du mouvement. Si le son en est l’esprit, sa boxe en constitue le corps. Une assimilation logique tant sa trajectoire personnelle croise constamment l’histoire du Hip-Hop et des « African-Americans », de son enfance pauvre à sa réussite insolente aux quatre coins du globe – une relation qui prend une dimension mythique lorsque Tupac est assassiné… à la fin d’un match de Tyson à Las Vegas. « Toute la symbolique du gangsta rap s’est formée autour de moi. J’ai représenté cette ère » résume-t-il.

Tyson dans tes tympans

En France, dix ans de retard ou pas, l’Amérique, c’est l’Amérique. Iron Mike touche les zoulettes rappeurs d’ici et d’ailleurs, galériens, vrais de vrai d’ici et d’ailleurs. Une fois de plus, il représente, comme Malcom, Ali ou Martin Luther. Avec une aura plus grande encore, peut-être, en raison de ses écarts alliés à sa mauvaise réputation, association reconnaissable par toutes les minorités, originaux et exclus ayant connu les affres du mépris et de l’incompréhension.

Le rap français prend donc rapidement parti pour le cas Tyson, d’autant plus qu’une condamnation (injuste) pour viol le classe définitivement du côté des parias. Ghetto Superstar, un documentaire sur son parcours, témoigne du grand respect de la rue à son égard. On y voit toutes les petites vedettes de l’époque (Disiz, Booba, 113, Rohff, Joey Starr) clamées leur amour pour le boxeur avec plus ou moins de réussite. Parmi eux, Rachid Djaïdani résume à merveille ce que Tyson a pu représenter pour toute une jeunesse ayant grandi avec la rue et le Hip-Hop.

« Tyson il m’a fait rêver, de tout petit jusqu’à maintenant, quand on allait au centre commercial pour arracher les cassettes. Tyson, c’est aussi quelque chose de très urbain, très Hip-Hop, on ne peut pas rivaliser avec cette attitude, Tyson c’est un félin, il a vécu dans la misère comme un peu nous autre et en même temps il a le coup d’œil, Tyson nous a tous fait rêver, il nous a tous fait kiffer »…

Côté lyrics, les rappeurs français ne sont pas non plus avares de citation. Le name-dropping sur Tyson, quoique consternant de banalité, reste toujours évocateur. La référence dynamise les égo-trips, assoit la crédibilité des rappeurs dans le « Game » et…comble une rime en « one » quand l’inspiration s’est fait la malle. Lino, Booba, Passi, Rohff, Alpha 5.20, Oxmo Puccino, Alkpote, Zoxea, Infinit, Deen Burbigo, Kaaris, Médine…vieux ou jeunes Mcs se pavanent dans leur texte aux côtés de Mike, jusqu’à Ol’Kainry, qui consacre en 2010 un projet entier à l’imagerie véhiculée par le boxeur.

Le rap français l’évoque comme on invoquerait un grand frère charismatique. L’œil brillant. Sa présence animale est donc toujours là, palpable, dans le coin de la tête de celui qui a été élevé par le rap français. Une aura que, finalement, peu de rappeurs auront su préserver dans le temps. La raison est peut-être plus simple qu’on l’imagine. Contrairement à eux, Mike Tyson est toujours resté fidèle à la rue. Et à tous ceux qui tiennent encore en main cette putain de pelle.

À proposYugo Veronese

Yugo Veronese pour les réseaux sociaux. Aime le rap, rarement les rappeurs.

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