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[Chronique] Kery James – Mouhammad Alix

Cette année a été marquée par beaucoup d’évènements, on le sait, et entre autre par la mort de Mohamed Ali, champion de boxe et icône culturelle. Avant même que cette figure anthologique ne décède, Kery James avait choisi d’appeler son album Mouhammad Alix : un jeu de mot en référence à Elijah Muhammad qui était le chef de l’organisation religieuse « Nation of Islam » et qui avait donné à Cassius Clay le nom de Mohamed Ali. Et Alix renvoie directement à lui-même puisque le vrai nom de Kery James n’est autre qu’Alix Mathurin.

C’est un rappeur bien déterminé que l’on retrouve dans ce nouveau projet. Pour nous mettre l’eau à la bouche, il a sorti, quelques mois avant son album, un morceau intitulé également Mouhammad Alix durant lequel on le voit combattre sur un ring de boxe et défendre ses valeurs qui rejoignent de près celles du boxeur :

« Fierté courage honneur noblesse
Voilà c’que souhaite tout mec de tess
Parole donnée égal promesse
Les vrais bonhommes s’y reconnaissent »

Kery James souhaite se rapprocher de ses origines et des origines du rap. C’est un mec de cité, il fait du rap de rue et c’est de là qu’il tire ses principes et sa pugnacité. Sa réponse à la dureté dans la société c’est la dureté dans sa musique. Il est ferme tout au long de la chanson mais aussi sûr de sa morale et de sa détermination.

« Je viens de la rue, pour rentrer en guerre j’attends pas que le gong sonne »

Une part d’égo trip est également au rendez-vous puisqu’il se compare quand même au grand Mohamed Ali et il n’oublie de pas de préciser « J’ai brisé les portes à la force de mon talent » ou encore « Est-ce que t’es trop petit ou est-ce que j’te r’garde du sommet ? ». Son succès, il est allé le chercher. Sa carrière, il ne la doit qu’à lui même et à la force de ses efforts. On sait qui sont ses modèles, il cite Malcom X comme à son habitude.


S’ensuit le morceau qui nous a tous mis une énorme claque : Musique nègre bien sur. Il y a quelques temps, Henry de Lesquen, candidat aux présidentielles 2017 et président de Radio Courtoisie déclarait « une fois élu, je supprimerai le financement public de la musique nègre ».

Face à ces propos insupportables, quoi de mieux que de répondre par le biais de la musique ? Kery James l’a bien compris. Sur ce titre, il rappe aux côtés de Lino et Youssoupha et n’oublie pas de bien s’entourer puisqu’il invite beaucoup de pointures du rap français tels que OrelSan, Scylla, les Sages Poètes de la Rue, la Mafia k’1 fry (qu’on n’a pas vu depuis un bon bout de temps d’ailleurs), Sam’s, Médine, Sinik et j’en passe. En réunissant tout ce beau monde, le rappeur en profite aussi pour assoir son statut et sa place de leader dans le rap français.

Dès le premier instant du clip, Kery James nous plonge dans l’ambiance : on le voit derrière un pupitre, s’adressant à une foule comme Martin Luther King le fut lors de son légendaire discours en 1963. Pendant tout le morceau, les références historiques s’accumulent, les rappeurs retracent les événements qui ont marqué notre temps et qui ont fait évoluer nos sociétés. Il ne faudrait pas les oublier, il ne faudrait pas régresser non plus.

Ensuite, on voit Lino siéger sur le trône du fondateur du mouvement Black Panthers Party : Huey P. Newton. Puis, un peu plus tard, attendre derrière la fenêtre, fusil à la main comme le faisait Malcom X pour protéger sa famille lorsqu’il reçut des menaces de mort. Youssoupha apparaît, lui, dans le costume du leader Thomas Sankara qu’il portait lors de son discours historique à l’ONU en 1984 puis, un peu plus loin, il endosse l’uniforme des « immortels » de l’Académie Française.

À la fin, on voit même les rappeurs dans la peau de Tommie Smith et John Carlos qui avaient levé le poing lors des jeux olympiques en soutien au mouvement des Black Panthers. Je ne peux pas citer toutes les références utilisées dans ce titre car elles sont nombreuses, mais le message est clair. Kery james sait affirmer ses positions sociétales et politiques, il n’a pas de langue de bois, il n’est pas corrompu, il est entier et le restera et c’est ça que l’on aime chez lui.

« Demande à Capitol si c’est pas la rue qui décide
Demande à Def Jam à quel point je peux être hostile
Demande à Skyrock si Kery est un rappeur docile »


Puis l’album dans son intégralité est révélé au public le 30 septembre. On y découvre beaucoup de featurings, avec Madame Monsieur, Nov, Faada Freddy, Cléo et Toma. Mis à part Pense à moi qui est une vraie pépite, les morceaux réalisés en collaboration avec d’autres artistes sont de qualité lorsqu’il s’agit des couplets de Kery James, mais les refrains peuvent laisser plus dubitatifs au premier abord, notamment avec la chanson Jamais qui selon moi est la moins réussie du projet.

Le « poète noir » reste fidèle à son style et à ses convictions. Il manie les mots avec agilité et poésie. Il affirme encore une fois son intégrité, sa sincérité, son indignation, sa colère et sa force dans un album très convaincant et ancré dans son temps. Mais il ne s’arrête pas là, il est aussi question de préoccupations plus « personnelles » comme l’amour, le temps qui passe, la séparation, la désillusion, le divorce, la famille comme dans le titre Des morceaux de nous qui est une fois encore juste et touchant.

Même les sujets plus introspectifs prennent un tournant universel. C’est là que se place sa force. Kery James est un rappeur qui fédère, qui rassemble et qui nous rappelle que nous sommes des humains avant tout. Les valeurs qu’il prône sont belles et honorables, tout comme le combat qu’il mène paradoxalement pour retrouver la paix, pour vivre ensemble…

On se quitte avec le très beau morceau J’suis pas un héros dans lequel il se confie en prenant l’auditeur à témoin mais également en le rendant acteur. L’aventure et le combat sont à mener ensemble, soudés ; cet opus est un bel appel à l’humanisme et à la révolution. Et on ne peut mieux terminer qu’avec cette citation qui illustre parfaitement le propos :

« Sensibles et sincères, mes écrits sont universels
Quant à leur humanisme, il est seulement circonstanciel »


Le plus de ce projet est que pour chaque disque acheté, 50 centimes seront reversés à son association, l’ACES (apprendre, comprendre, entreprendre et servir) dont les actions sont tournées vers le soutien scolaire et le financement d’études supérieures pour les jeunes défavorisés.

Eleonore Santoro

À proposEleonore Santoro

"Si vous ne vous levez pas pour quelque chose, vous tomberez pour n'importe quoi." Malcom X

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