Est-ce qu’Oxmo Puccino peut encore être classé dans le rayon rap, ou aurait-il plutôt sa place dans la chanson française ? C’est la question que beaucoup vont se poser une fois de plus après la sortie de cet album. Qu’importe, même si les avis sont partagés à ce sujet, tous ses albums majeurs sont devenus des classiques, et cette personnalité plaît, comme MC Solaar auparavant. C’est un poète moderne qui a connu une ascension fulgurante par l’intermédiaire du rap. Il retranscrit les émotions de manière très convaincante et excelle aussi bien dans le story-telling que dans la rime. Quel est donc le résultat du fruit de toute cette expérience ?
Tout d’abord, le titre circule depuis bientôt une année, Roi Sans Carrosse. C’est donc un roi qui a perdu son moyen de locomotion, et se retrouve à errer, ou bien un régent en toute modestie qui se déplace selon sa volonté. Ce titre peut être interprété différemment. Pour la pochette, on retrouve la même esthétique que sur Le Cactus de Sibérie, à savoir un cliché en noir et blanc avec Oxmo au centre d’un paysage abandonné, où il a troqué son smoking et sa chaise contre des sandales et une guitare. Un style décontracté fidèle à ses tenues lors des derniers concerts.
La première écoute de cet album est le résultat de ce que l’on pouvait attendre, si l’on a suivi Oxmo depuis 2 ans, et les quelques dates de sa tournée acoustique. Mais il nous laisse un peu sur notre fin, soit parce que l’écoute du LP est trop courte, soit parce qu’il ne contient pas plus d’un morceau charnière. C’est un album sobre, assez homogène, très épuré aussi bien d’un point de vue musical que par sa durée. Alors que reste-t-il après plusieurs écoutes ?
Les textes, c’est certain. Ils sont remplis de figures rhétoriques telles que des métaphores et des litotes. Différents thèmes sont abordés, à savoir notamment: la paternité une fois de plus (Cf. Triptik, Hocus Pocus), la lascivité dans le couple, la condition d’artiste, la perte d’un être cher et l’acte sexuel. Ce dernier est partagé sur un titre avec une invitée surprise, Mai-Lan, qu’Oxmo avait déjà croisée sur la BO de Sheitan, film réalisé justement par le frère de cette dernière. On se souvient du sulfureux Gentiment, je t’immole de Mai-Lan, et du La Mèche de M. Puccino. Le morceau La Danse Couchée colle parfaitement à nos deux artistes. D’abord par l’harmonie de leur voix, ensuite par la poésie de la chanson. Le morceau est surprenant, mais cet érotisme (pubis contre coccyx) est stimulant. Bref, le mélange est subtil dans cette valse horizontale et c’est ce qui se reflète dans ce titre basé sur un oxymore, un de plus.
Justement, on en retrouve un dans une autre chanson. Et si le Sucre Pimenté » est le titre qui a lancé l’album, il ne représente au final que peu ce dernier d’un point de vue musical et lyrical. Ce morceau fait primer la rime sur la cohérence. Néanmoins, le message qu’il souhaite passer est tout à fait compréhensible. On regrette toutefois que le remix, également bien promu sur Internet, ne soit pas intégré sur cet album, sa place aurait été justifiée.
La chanson Artiste, second single du Black Desperado, explique la difficulté à porter ce statut. Ce morceau sera assurément LE single en rotation de l’album. Il en a le format par sa structure (3 couplets avec refrain), sa durée, sa musicalité, son rythme et avec un sujet qui plaît toujours au public. Le clip est d’ailleurs superbement réalisé par Colin Solal Cardo. Ce titre est une nouvelle fois formidablement écrit. La cohérence et la singularité des propos mettent en valeur la plume de son compositeur.
Cette dernière va exceller sur le titre Pam Pa Panam. On retrouve la description d’un connaisseur avec un regard extérieur observant Paris de dessus. Il décrit froidement la métropole, sur une musique à base de guitare et violon, que l’on pourrait justement entendre aux coins des rues parisiennes. Cependant on ressent son intimité avec cette ville, son point de vue est objectif. Il nous peint une ville à deux visages. L’un est écrasant comme le suggère l’allitération en [r]: « il grossit au risque /de serrer sa ceinture jusqu’à déchirer le périphérique / à part sur l’avenue tu feras pas dix mètres sans toucher le mur ». L’autre plus accueillant avec ses assonances en [ei] tout au long du troisième couplet. C’est un poème digne des plus grands écrivains de notre siècle précédent, et sans conteste le meilleur titre de cet album.
Tout le mal que je n’ai pas fait ouvre l’album avec 2 riffs de guitare. Il prône dans cette chanson la raison sur la violence dans trois couplets remarquables. Il apporte sa vision de vie sur la position à adopter dans notre société, mais c’est également un message qu’il souhaite certainement faire passer à ses détracteurs. Les Gens de 72 permet justement à Oxmo d’essuyer les critiques qu’il a reçues et reçoit encore : « les règles du jeu, je leur fais des entorses », en se définissant « hors tendance ». Ou encore certaines autres sur l’abandon de son passé musical « le rap c’était mieux avant quand ça chantait armé », référence au Black Mafioso, personnage qu’il s’était créé à l’époque Time Bomb et dans le premier album « Opéra Puccino ». Mais il poursuit dans sa ligne directrice quitte à se diriger vers un nouveau public.
Oxmo appelle à l’unité sur un nouveau riff de guitare électrique dans le titre Parfois : « je chante que nous sommes tous uniques /au lieu de crier nos différences /on se plaint de ces jeunes qui n’ont pas de modèles /sans leur dire que l’espoir c’est un battement d’aile », pour atteindre une liberté qui reste utopique : « être libre c’est sortir d’une prison pour une autre ». Le message n’est pas forcément très clair, et quelques rimes sont douteuses mais l’ensemble reste convaincant et entraînant.
Le Vide en Soi est une chanson touchante sur le deuil, où l’émotion s’exprime par sa voix et l’absence de refrain, présent dans tous les titres précédents celui-ci. Pas Ce Soir aborde avec humour la lassitude dans les couples plus que trentenaires, notamment chez les hommes. Un An Moins Le Quart évoque la paternité sur un ton responsable. On remarquera le clin d’œil à son plus grand succès d’estime, L’Enfant Seul. Roi Sans Carrosse clôt l’album et l’énigme de ce titre sibyllin subsiste.
Cet album n’est donc pas que visuellement semblable au Cactus de Sibérie, il est à mi-chemin entre ce dernier et L’Amour Est Mort. Cet opus est néanmoins beaucoup plus tourné vers la poésie pure et son point fort réside évidemment dans les paroles. C’est pourquoi l’atmosphère musicale est minimaliste. Ainsi, les auditeurs n’ayant pas apprécié les deux albums précédemment cités seront déçus du résultat et pourront se rabattre sur la mixtape 3.08 de DJ Cream « Doux or Die » en libre téléchargement. Les autres, pour qui L’Amour Est Mort reste son meilleur album, et qui apprécient la poésie avec tout ce qu’elle implique de jeux de langue, adoreront.
Guy Laguitt