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Rap français : l’éternel recommencement

Après l’apogée, le déclin. C’était inévitable. Ça aura été bien, on en aura bien profité, d’autant que personne ne l’attendait. Le « nouvel âge d’or » écrit actuellement ses dernières lignes ou les a sans doute déjà écrites. Seul l’effet du temps permettra de le préciser.

La naissance d’un mouvement est belle, l’énergie y est incroyable : tout est à définir, à mettre en place, le champ des possibles est infini. L’atmosphère est remplie d’air frais, de ce parfum de nouveauté. Puis les premiers artistes donnent les premières directions. Le manque d’expérience peut rendre le résultat brouillon, on tâtonne parfois mais les bases sont jetées. Le mouvement n’est déjà plus vierge, le terrain n’est plus vague, les fondations sont là, les codes établis.

Le mouvement pousse, grandit, s’élargit, se perfectionne, se professionnalise, les essais se transforment. Les plus belles créations sortent. Les artistes rencontrent leur public et le succès. L’argent tombe. Les grands médias, le grand public et les maisons de disques s’emparent du mouvement. C’est l’alerte. Mais c’est déjà trop tard. La tendance s’inverse. C’est d’ailleurs à ça qu’on le reconnait ; il y a toujours un décalage entre la perception qu’ont le grand public et les médias d’un mouvement et son véritable état. Ils le voient émergeant quand il est à son apogée. Ils le voient à son summum alors qu’il commence à régresser. Toujours une longueur de retard. C’est ce qu’il s’est passé pour le « premier âge d’or » et l’apparition des années 2000.

Cependant, les mouvements sont cycliques et d’un déclin peut resurgir une nouvelle phase. Ainsi, vers 2011-2012, le rap français connait un renouveau après avoir été épuisé, essoré, décharné. Ce mouvement est solide. Les jeunes pousses apparaissent un peu partout sur le terrain délaissé. Comme au début du premier cycle, c’est grâce à leur collectif et leur groupe que la plupart parviennent à exister. Le mouvement revient plus ouvert, plus décomplexé, plus libéré, il prend des formes plurielles ; c’est sa grande force. Mais dans les têtes, les USA ne sont jamais bien loin et son esthétique finit par prendre le dessus : la trap (autotunée ou non) règne sans partage. Aujourd’hui, nous sommes en 2019 et le rap français (re)tourne en rond depuis 2-3 ans, s’épuise et nous épuise. Il perd de sa substance, de sa consistance. Comme précédemment.

Le changement technologique de création et de consommation musicale n’y est pas innocent. La productivité des rappeurs a explosé, bien aidés par la facilité technologique avec laquelle les produits audiovisuels sont maintenant créés. Sauf que quantité et qualité sont difficilement associables. EP, mixtape, album ; tout finit par se confondre, au détriment de ce dernier. Le format album est en train de disparaître au profit de playlists et de sons éparpillés et délivrés au compte-goutte. L’idée d’une œuvre entière et cohérente s’évapore laissant place à des produits à usage unique. Comment alors s’inscrire réellement dans l’Histoire ? Et nous, auditeurs, ne sommes plus capables d’attendre trois ans que notre rappeur préféré sorte un nouveau projet, préférant commenter sous la diffusion d’un nouveau clip « C’est quand le prochain ? » sans même avoir pris le temps d’écouter le morceau en entier. Cette culture de l’immédiateté, développée et renforcée par l’utilisation des smartphones, n’incitent probablement pas non plus les artistes à inscrire une œuvre dans le long terme.

La créativité fait aussi cruellement défaut et l’esthétique rap n’arrive plus à évoluer. La faute en revient en premier lieu aux rappeurs – il serait temps de laisser la trap voire l’autotune dans le rétro, – aux auditeurs aussi, qui ne soutiennent pas assez les prises de risques, – mais surtout aux maisons de disque – l’argent corrompt l’art. Avec le développement des nouvelles technologies (facilité de création, facilité de diffusion) et le nombre assez important d’artistes en indépendant au début de cette nouvelle période faste, on pouvait penser que les majors rencontreraient des difficultés pour se maintenir. Mais le business à faire est trop important pour qu’elles laissent passer l’occasion de revenir au premier plan. Les contrats alléchants ne se refuseront pas et voilà qu’elles prospèrent comme dans le passé en appliquant les mêmes recettes assassines : suivre la tendance et limiter les innovations.

L’industrie rap tournant comme jamais, le rap est devenu le genre numéro 1 sur toutes les plateformes. Il est le plus populaire, quasiment la nouvelle pop, devenant le genre dominant. Le rap mérite sans doute le succès et la reconnaissance qu’il lui a souvent fait défaut, mais est-ce tenable pour un genre qui est fondamentalement une musique spé, une musique construite par opposition ? Le rap a forcément perdu de son essence pour arriver à toucher un public devenu si grand. Il est devenu moins technique, plus lisse, plus tubesque. Le rap est sans doute maintenant plus divertissant mais aussi plus vide et il a sûrement fait naître plus de rappeurs que de raison : « Ils veulent tous rapper comme s’ils avaient quelque chose à dire ».

Mais comme j’ai le sentiment que tout ça n’est qu’un éternel recommencement, vivement la prochaine vague.

 

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