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Le rap français et les musiciens

En 2015, le rap US aura vu l’implication dans le hip-hop d’une génération de musiciens de formation « classique ». Thundercat, Robert Glasper, Kamasi Washington ou même Ambrose Ankinaguire ont littéralement explosé à la face du monde avec Pimp A Butterfly. Le point commun de ces artistes est d’avoir contribué à ce déjà classique et de former une sorte de mini scène aux mouvements épiés par une base de fans de plus en plus importante. Ce phénomène est loin d’être une nouveauté même s’il tend à s’accélérer aujourd’hui. En témoigne, la soudaine popularité d’un artiste comme G-Koop dont le nom est désormais connu du grand public (article à lire ici).

En France, ces artistes sont loin d’être mis en pleine lumière comme c’est le cas aux Etats-Unis. Par choix ou peut-être par manque d’intérêt du public, ils évoluent souvent dans l’ombre et l’auditeur décèle à peine leur présence. Pourtant, à l’heure où le clearing pose les limites du sampling, on peut imaginer que la place prise par ces musiciens-là est aussi amenée à devenir de plus en plus prépondérante. Bon nombre d’albums d’époque ou plus récents seraient bien différents sans la présence de ces artistes. En jouant la carte de la provocation, on pourrait même affirmer qu’ils ont une influence directe sur l’histoire du rap français.

Nous vous proposons une petite sélection d’artistes que vous avez du découvrir au détour d’une production et que vous n’avez probablement pas remarqués (à moins d’être obsédé par les crédits) mais dont l’influence sur le rap français est évidente.

 

Guillaume Poncelet (trompettiste et pianiste)

Archétype du musicien défini plus haut, Guillaume Poncelet est un trompettiste reconnu et respecté dans le monde du jazz comme en témoignent ses collaborations prestigieuses (Michel Jonasz, Claude Nougaro ou Electro Deluxe). Avant cela, il a fait ses armes au sein du collectif No Jazz. Né de la rencontre de musiciens aux backgrounds divers, No Jazz cherche très vite à déstructurer toutes notions de jazz et à revenir aux racines du jazz, à savoir la danse.

C’est tout naturellement après cette expérience que Guillaume Poncelet décide de laisser libre cours à sa passion pour la musique urbaine. Vont donc s’enchainer des collaborations avec des artistes prestigieux comme Kondho, Gaël Faye ou 20syl pour ne citer qu’eux. Guillaume Poncelet a ainsi grandement participé à la conception de Place 54 de Hocus Pocus. Interrogé sur le fait de savoir si Place 54 constituait un renouveau dans le son Hocus Pocus, voilà ce que répondait 20syl :

« C’est clair. C’est sur cet album que les cuivres de Thomas Faure (saxophone) et de Guillaume Poncelet (trompette) prennent toute leur place. Les cuivres live apportent vraiment un côté adulte aux morceaux. Si tu écoutes la première version de Voyage immobile qui n’a ni sax ni trompette, la différence est flagrante. Les arrangements de piano de Matthieu nous ont aussi beaucoup apportés. »

Avec cet album, Hocus Pocus réussit à attirer l’oreille d’un public différent du public rap habituel et offre ainsi au rap un aspect plus conceptuel de cette musique qui correspond davantage à ses codes. En d’autres termes, une étiquette de rap « intello » que Hocus Pocus s’épuisera à réfuter… Si le groupe nantais a fait de cette place laissée aux instruments une marque de fabrique, d’autres rappeurs ont également décidé d’utiliser les talents de Guillaume Poncelet. C’est ainsi le cas de Gaël Faye, membre de Milk Coffee & Sugar, qui profite des talents du trompettiste sur scène mais aussi sur disque depuis plus de dix ans. En effet, Guillaume Poncelet était déjà de la partie pour l’album éponyme de Milk Coffee & Sugar. Une décennie plus tard, il est toujours présent au côté de Gaël Faye puisqu’il produit l’intégralité de son dernier EP Rythmes et Botaniques dont on vous faisait récemment la chronique (à lire ici).

 

Serge Teyssot Gay (guitariste)

Serge Teyssot Gay est certainement le musicien le plus médiatique de la liste mais aussi celui qui a la « posture » la plus tranchée. Ancien guitariste de Noir Désir, il multiplie depuis les expériences musicales au sein du groupe Zone Libre qu’il a fondé avec Cyril Bilbeaud. On ne peut que recommander par exemple la formation Interzone formée par Serge Teyssot Gay et Khaled Aljaramani, joueur d’oud (à écouter ici). Basé sur une conception toute personnelle de la musique, les créations de Serge Teyssot Gay repose principalement sur l’improvisation ou autrement dit la composition instantanée. Par choix, puisque c’est le processus de création naturelle qui lui est le plus aisé, mais aussi et surtout pour prendre le contre-pied de l’industrie musicale actuelle.

« L’industrie du spectacle attend, de la part des artistes, ce qu’elle appelle des « shows », où il convient de montrer, faire étalage. Elle veut une sorte de perfection. Pour moi, c’est de l’arnaque. Elle nous submerge de choses formatées. Ce qui me donne une sensation de noyade imminente. Ma façon de rester en vie, c’est de faire autrement et, donc, de choisir des complices capables de réagir instantanément… »

Et des complices, Serge Teyssot en a croisés un paquet… On vous parlait récemment de la puissance de sa rencontre avec Mike Ladd et Marc Nammour de La Canaille à (re)découvrir ici. D’autres rappeurs bien connus ont collaboré avec Serge Teyssot Gay comme Hamé, Casey ou B.James. Avec ces derniers, la filiation se veut davantage politique. Se rejoignant sur des positions « radicales », les compositions improvisées de Zone Libre offrant un cadre parfait pour que la rage des textes d’une Casey puisse s’exprimer spontanément et permettre à tout un pan du rap français de se donner une structure sonore cohérente.

 

Vincent Taurelle (pianiste) et Vincent Taeger (batteur, percussionniste)

Lorsque l’un des plus éminents paroliers du rap français décide de se tourner vers le jazz, il est évident qu’un tel événement aura un impact sur le rap français. Si on écoute attentivement la discographie d’Oxmo Puccino – puisque c’est de lui dont on parle -, il ne fait peu de doute que Lipopette Bar est un tournant majeur. Ce projet si particulier est né de la rencontre entre Oxmo Pucinno et les musiciens Vincent Taeger et Vincent Taurelle. Rencontre décisive puisqu’elle va pousser le rappeur à dépasser ses limites et s’adapter à cette musique si particulière et parfois intimidante qu’est le jazz, dixit le rappeur :

« Je n’avais jamais avancé aussi vite et aussi haut en musique qu’en travaillant six mois avec eux. Au début, je ne comprenais rien du tout. Ils parlaient en harmonies, en do majeur… Je n’ai jamais fait de solfège, ni de musique. Il y avait donc un complexe à dépasser. Ils m’ont beaucoup appris en suite d’accords, en mathématique musicale, en chimie de la musique, en histoire de la musique. »

Premier changement audible : le flow du rappeur évolue. Comme nombre d’artistes qui passe à un son organique, la technique de chant doit s’adapter.

« Dans mon rap et dans mon flow, ça m’a appris à laisser la technique du rappeur de côté. J’ai du simplifier les choses pour rendre le texte plus accessible. J’ai donc travaillé sur la simplicité et l’interprétation. »

Plus qu’un simple travail sur le flow, c’est un changement philosophique qui s’opère chez le rappeur. En témoigne, un changement d’approche dans la méthode d’écriture :

« Rythmiquement le jazz est beaucoup plus complexe que le rap, moins fixe. C’est du double temps, du ternaire. J’ai préféré écrire sur les musiques, en même temps qu’elles se dessinaient plutôt que d’arriver avec des textes finis sur ce type d’instrumentaux. Heureusement que ça s’est fait dans ce sens et au final, ça donne du « sur mesure » »

Il y a aura un avant et un après Lipopette Bar pour le rappeur. « Beaucoup de choses ont et vont changer« , prophétisait-il lors de la promotion de cet album. Il n’a pas menti. Oxmo va par la suite prolonger l’aventure avec les deux Vincent pour se lancer dans un cycle « variété » avec L’arme de paix et Roi sans carrosse.

 

Vincent Ségal (violoncelliste et bassiste)

Vincent Ségal, violoncelliste et bassiste de son état, est un passionné de hip-hop de la première heure. On apprend ainsi au détour d’une des pages du superbe ouvrage de Vincent Piollet, Regarde ta jeunesse dans les yeux, que Vincent Ségal a été impliqué dans la première exposition de graff de l’histoire du rap français. On était alors en 1988. C’est dire si son intérêt pour le rap remonte à loin.

Touche-à-tout passionné, Vincent Ségal s’est lancé dans toutes sortes d’expérimentations sonores. Trip-hop avec l’excellent groupe Bumcello formé avec Cyril Atef, la musique africaine avec le joueur de kora Ballaké Sissoko ou la variété française avec M ou Mayra Andrade.

Néanmoins, son intérêt pour le rap n’a pas disparu. On le retrouve par exemple sur les crédits de 113 fout la merde ou Jeu de société de Disiz. En 2002, il participe au projet Story of espion de feu DJ Mehdi qui constitue le trait d’union entre la période rap et électro de Mehdi. Il jouera toutes les parties de violoncelle sur cet album.

C’est donc tout naturellement qu’Oxmo Puccino, encore lui, le débauche pour certains arrangements sur Lipopette Bar. Il continuera d’ailleurs à travailler avec Oxmo Puccino sur scène pour une version acoustique de son set.

 

The HOP (live band)

A l’origine, The Hop est un collectif comptant pas moins de 12 musiciens. A l’instar de band comme BadBadNotGood, The Hop fait partie de cette génération de musiciens qui a grandi dans le hip-hop. D’influence pop culture évidente, il devenait alors logique pour ses membres de mêler ces différentes influences, bien aidés en cela par des potes rappeurs. Et quand on compte parmi ses potes en question Jazzy Bazz ou Espiiem, cela donne assez vite quelque chose d’assez prometteur comme en témoigne l’EP autoproduit The Hop EP.

A l’époque, Espiiem et Kema font partie du groupe et assure les parties vocales. Aujourd’hui, le groupe devenu quatuor a évolué et s’est concentré sur la composition. Cette activité n’étant pas suffisante pour vivre pleinement de sa musique, The Hop est aussi le live band ponctuel de grands noms du rap français comme Nekfeu. Ils sont également les principaux acteurs des fameuses Stud’ Sessions où le groupe rejoue des morceaux de rap français en studio avec des pointures du rap français (Ärsenik, Médine, etc.).

Ce concept rafraîchissant a le mérite de proposer au plus grand nombre une autre vision du rap français. Grâce à leur persévérance, les membres de The Hop ont su se tailler une place dans le rap français. Non sans mal. Par ailleurs, nous vous conseillons de lire (ici) cette excellente interview du groupe quant à la place du live band dans l’écosystème rap français et la différence de perception avec les États-Unis qu’on évoquait en introduction.

 

 

 

À proposZayyad

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3 commentaires

  1. Et tu as bien raison !
    J’ai fusionné dans ma tête Marc Nammour et Serge Teyssot Gay. Assez moche je reconnais. Merci pour les relectures attentives et pour la mansuétude.

  2. Mec, j’ai même pas fini ton article… Moi je connais pas de Marc Teyssot Gay dans Noir Désir! Tu parles sûrement de Serge, c’est bien de vérifier quand on écrit un article…

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