Interviews Rappeurs

S.Pri Noir : « Le but, c’est d’être écouté par le plus grand nombre »

Le rendez-vous avec S. Pri Noir est fixé à 17 h, au métro La Chapelle. Le rappeur arrive, propre sur lui, un casque de scooter à la main. Il se révèle beaucoup plus grand que ce que l’on aurait pu penser en le voyant dans ses clips. Il prend le temps de s’installer, commande un Perrier menthe. Le café est à moitié rempli, la télé derrière nous est allumée, et les images du procès des deux policiers impliqués dans l’affaire Zyed et Bouna tournent en boucle. Le rappeur de la Nouvelle Ecole est quelqu’un de posé, qui prend le temps de réfléchir entre chaque réponse. Celui qui qui a commencé à rapper vers 19 ans un peu par hasard nous avoue d’ailleurs apprécier donner des interviews, lui qui considère l’exercice comme « une autre manière de défendre son projet ». Aujourd’hui, c’est son second EP Le monde ne suffit pas qu’il est venu défendre. Le Perrier menthe arrive. L’interview peut commencer.

Ton nouvel EP Le Monde ne suffit pas sort le 1er juin. Comment tu te sens à deux semaines de la sortie ? Stressé, serein ?
Je suis pressé. Oui, je suis pressé que les gens écoutent en fait. Vu que c’est mon deuxième, de savoir aussi si j’ai une évolution. Tu peux sentir en studio avec tes gars que t’as pu avoir une évolution dans ton rap. Mais en vrai, ceux qui vont vraiment donner l’étalonnage, c’est le public. Je suis tout simplement pressé.

C’est important pour toi d’avoir une évolution entre ton premier EP et le deuxième ?
Oui, c’est important. Excuse-moi, je regarde la télé parce que j’ai participé à un truc sur Zyed et Bouna (ndlr : les deux adolescents morts en 2005 dans un transformateur électrique après une course poursuite avec la police). Non mais je pense… Putain, c’est un truc de ouf.

Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Qu’est-ce qu’ils viennent d’annoncer ?
Bah en fait j’ai participé à un projet sur le procès de Zyed et Bouna avec l’association Stop le contrôle au faciès. Et là, il y a le délibéré.

Les policiers ont été relaxés…
C’est un truc de ouf. Et en fait ce qu’il s’est passé c’est que j’ai participé à un projet avec Disiz, Youssoupha et pleins de personnalités. On a retranscrit le premier procès à travers des tweets.

C’est quoi ta première réaction en voyant ça ?
Je suis choqué, énervé. Et en même temps, tu te dis que c’était prévisible. Et tu te dis que c’est dommage que ça soit prévisible… Donc bref, je te disais, c’est le même univers, parce que je pense que ton univers c’est le tien donc ça ne va pas vraiment changer, à moins que ta vie change du tout au tout.

Avec plus d’exposition médiatique, ta vie peut changer.
Bah elle a un peu changé. Mais je vais toujours aux mêmes endroits, je fréquente les mêmes gens, je fais toujours ma musique au même endroit. Donc elle n’a pas vraiment changé, à part que j’ai vieilli.

Pourquoi avoir choisi d’appeler ton EP Le monde ne suffit pas ?
À la base, dans ma tête, je m’étais dit que j’allais faire deux EP avant l’album. Pour le premier, j’ai choisi OOS parce que les gens m’appellent S. Donc OOS Licence to Kill. Je trouvais que c’était un bon titre parce que Licence to kill ça veut dire permis de tuer et c’était une manière égo-trip de dire que j’avais le permis de tuer dans le rap. Comme on dit souvent que je suis un kickeur, j’aimais bien la métaphore. Et comme je suis un grand fan de James Bond, c’était parfait pour le premier titre. Après le premier, tout de suite j’ai réfléchi au deuxième. Et en fait, les deux titres, tu peux les mettre à côté. Quand tu as le permis de tuer, tu as le pouvoir de Dieu, de vie ou de mort. Mais est-ce que ça suffit ? L’être humain veut toujours plus.

Et pour l’album, il y aura une nouvelle référence à James Bond ? Casino Royale par exemple ?
(Rires) Casino Royale, on pète la banque ! Non, je commence tout juste à travailler l’album.

Tu as déjà lâché 3 extraits de l’EP. Ces trois morceaux ont des instrus complètements différentes les unes des autres. Sur le premier EP, il y avait une instru aux sonorités celtiques.  C’est important pour toi de varier le plus possible les ambiances ?
Bah sans prétention aucune, j’ai une petite culture musicale. Je n’écoute pas que du rap. Et quand j’étais petit, j’écoutais des musiques celtiques, que ce soit en colo ou chez des gens.

J’ai entendu dans une interview que ce goût pour la musique celte te venait de Manau.
Oui, Manau c’était bombardé à la télé et à la radio quand j’étais petit. Tout le monde a écouté. Et moi ce que j’aimais bien dans Manau, c’était cette musique celtique, comme dans Highlander. Et par exemple pour A380, c’est Van Halen, un grand guitariste. De lui, le truc qu’on connaît le plus en France c’est l’hymne de l’OM, la musique d’entrée des joueurs dans le stade. Et là c’est un thème qu’il avait utilisé dans une série qui s’appelait Robin des Bois qui passait sur M6 quand j’avais peut-être 10 ans. Ce thème-là, je l’ai toujours gardé en tête. Je l’ai retrouvé sur internet et on l’a samplé.

Et du coup à quoi va ressembler le reste de l’EP ? Il faut s’attendre à des surprises comme celle-là ?
Ce titre-là, il ne sera pas sur l’EP. Mais oui, il y a plein de surprises musicales, même plein de surprises artistiques, avec des artistes que personne ne connaît mais qui sont vraiment forts.

Sur le morceau « My life« , tu dis « raciste, c’est avec nous que ta fille traîne ». Tu peux nous expliquer quel message t’a voulu faire passer ?
À la base, cette phase n’était pas tournée comme ça mais autrement.

C’est une phase qui pourrait choquer certaines personnes… 
La première version aurait pu choquer. Mais avec du recul, ce que je voulais dire c’est celle qui est restée au final. Notre environnent est cosmopolite. Au quartier, il y a de tout. Et voilà, ça s’adresse au raciste. Ta fille, elle traîne avec nous. J’ai pas dit qu’elle faisait des trucs de ouf, c’est juste notre amie. J’aurais pu dire « raciste, c’est avec nous que ton fils traîne ». Mais je me suis dit qu’on allait plus retenir. Et justement vu que tu m’en parles, le but a été atteint.

Comment t’expliques qu’en 2015 il y ait encore des gens racistes ?
Je ne sais pas. Le racisme, ça vient souvent de la peur. Les gens qui sont racistes, ce sont des gens qui ont peur de ce qu’ils connaissent pas. Leur bêtise fait qu’au lieu d’essayer de se renseigner, ils préfèrent se renfermer et vivre par la peur. C’est malheureux.

Cet EP, tu as mis combien de temps à le faire ? Est-ce que tu l’as fait rapidement dans une seule énergie, ou est-ce que ça s’est fait sur plusieurs mois ?

J’ai mis 6 mois à le faire. Dès que mon premier EP est sorti, je me suis mis à taffer le deuxième EP. Et après avec tout ce qui concerne le mix, le mastering, la promo… J’ai mis 6 mois.

J’ai lu qu’à tes débuts, tu écrivais tes textes assez vite. Est-ce que maintenant ça te prend plus de temps à construire un texte ?
Moi je ne suis pas un mec qui écrit en forçant. Si je n’ai pas envie d’écrire, je n’écris pas. Après, je peux écrire deux/trois phases dans la journée que je mets de côté. Mais quand j’écris un texte, c’est que je ressens vraiment l’envie de le faire. Donc non ça n’a pas trop changé. Sauf que dans l’écriture, je me connais de mieux en mieux.

Tu considères avoir une meilleure écriture qu’avant ?
Plus simple on va dire. Plus accessible. Avant j’avais d’autres critères, j’étais dans d’autres trucs. Mais maintenant j’essaye de faire la même chose, mais en plus accessible. Parce que le but, c’est d’être écouté par le plus grand nombre. Ce n’est pas intéressant d’être capté que par les rappeurs.

Il y a quelque chose que les gens ne savent pas forcément, c’est qu’avant de signer avec Nouvelle École, tu aurais pu faire partie de L’institut, le groupe affilié à Sexion d’Assaut.
Vers 2009, j’allais souvent dans le neuvième arrondissement de Paris. J’allais là-bas et je rappais. Je rencontrais les membres de L’institut, je rencontrais les membres de la Sexion

Et là, il y avait des sessions freestyle.
Ouais, il y avait des sessions freestyle. C’était juste avant L’écrasement de tête. Et là-bas, à peine tu disais bonjour, on te demandait direct « c’est quoi ton nouveau texte ? » (Rires)

Et à l’époque, t’as dû choisir en la Nouvelle École et L’institut.
Ce n’est pas vraiment comme ça que ça s’est passé. À l’époque, la Sexion voulait étoffer le panel d’artistes du Wati-B. Et c’était logique qu’ils signent L’institut, c’était la génération d’après. Mais moi, j’étais déjà chez Nouvelle Ecole. Il y avait des histoires de contrat et pour simplifier les choses, il valait mieux que ça se passe comme ça.

Qu’est-ce que tu penses du succès de Black M et Maitre Gims ?
Je suis content. Parce que quoi que disent les gens, ils ont dépassé la variété française alors qu’ils viennent des bas-fonds de Paris.

Black M vient de franchir le cap des 500.000 albums vendus…
C’est énorme. Même Francis Cabrel bégaye devant Black M. Les mecs ils sont en contact avec les Enfoirés, ils sont au top dans les charts… Tu ne peux qu’être content.

On est là pour le Rap en France : c’est quoi ton regard sur le rap en France ? En ce moment il y a beaucoup de débats autour de la trap.
Je savais que tu allais m’amener vers ça. (Rires) Il y a eu la mode des freestyle, la mode des clashs…

Tu penses que c’est juste une mode ?
Pas forcément. Je pense que c’est une influence qui va rester dans le rap. Si ça reste en tant que style à part, tant mieux. Mais dans tous les cas, ça aura apporté quelque chose au rap. Ça apporte de nouveaux flows, de nouvelles manières d’attaquer des instrus, ça a apporté le rap en boîte. C’est très français de partir dans la critique négative. Il faut voir le positif avant de voir le négatif. Dans le foot, c’est pareil. Les gens ne vont pas voir combien de buts Benzema a mis au Real, ils vont retenir le jour où le mec sera en-dessous. Non et puis même, ça permet de voir des mecs débarquer de nulle part.

Comme Gradur, par exemple.
Gradur, je l’avais vu à Lille il y a peut-être 1 an et demi. J’étais allé faire une radio là-bas. On avait freestylé. Il n’était pas très connu. Et 3 ou 4 mois après, il a explosé, il a fait disque d’or… C’est lourd. Mais oui, ça apporte du positif.

Le principal reproche qu’on peut faire à la trap, c’est peut-être le manque de fond dans les textes.
Dans le rap, il faut de tout. Il y a des sons pour évacuer son stress, des sons un peu plus légers, de l’entertainment, et d’autres plus conscients, qui vont te faire réfléchir et parfois avancer en tant qu’homme… Dans le rap, il y a de la place pour tout le monde.

Nekfeu est en featuring sur ton EP, et tu seras aussi sur son album. C’est quoi ton avis sur lui ?
Nekfeu ? Très très fort. On est partis à L.A pour clipper le son qu’on a fait ensemble pour son album. J’ai écouté un peu son album, et il me fait un peu penser à un Drake français. Il un peu pris son créneau. Il rappe bien, il fait de la mélodie, il plaît aux meufs… Je le connais depuis longtemps. Je trouve qu’il est très bon.

Les gens disent parfois de lui que c’est un rappeur pour les bobos.
Il est juste fort. En freestyle, il peut en soulever plus d’un. Que tu viennes du fin fond de ta cité ou d’autre part, en freestyle, c’est juste les paroles et ta dextérité qui parlent. Et il va en soulever plus d’un.

Ton EP s’appelle Le monde ne suffit pas, en référence à James Bond. Tu es un cinéphile ?
Assez.

Le nouveau Mad Max vient d’être présenté au festival de Cannes. Tu es allé le voir ?
Je ne l’ai pas encore vu. Tous les nouveaux films, je les vois un mois ou deux mois après. En ce moment je suis dans les films de renois américains. Hier je regardais Think like a man. C’est un film plutôt pour les meufs. En fait c’est un mec qui s’appelle Steve Harvey, il a écrit un livre pour les meufs sur la manière de penser des hommes. Toutes les meufs se l’arrachent… Ce sont des humoristes américains qui font ça et je mate parce que c’est une approche différente de l’humour. Ce n’est pas diffusé en France et je trouve ça dommage parce que il y a vraiment des bons films. Mais je suis plus ou moins un cinéphile. Je sélectionne beaucoup.

Au fait, pourquoi S. Pri Noir ?
Quand j’étais au collège, il y avait les débuts d’internet. Il y avait un pote à moi qui faisait du graff au moment où il y avait les débuts d’MSN. C’est quelque chose que je n’ai pas souvent dit. Il fallait se choisir un pseudo. Et du coup j’ai choisi S. Pri Noir pour le pseudo et pour le graff. Après avec le temps j’ai vu qu’il y avait un autre S. Pri Noir dans le 19ème. C’est un mec qui rappait aussi. Dédicace à lui d’ailleurs. Moi le rap c’est arrivé bien plus tard. Vers 19 ans. Mais j’ai gardé ce nom.

Dernière question : pourquoi t’as toujours un bâton de siwak dans la bouche ?
Là comme tu vois je ne l’ai pas aujourd’hui… (Rires) A la base, je suis Sénégalais d’origine. Et dans pas mal de pays d’Afrique de l’Ouest, on utilise beaucoup ce bâton pour les dents. Le matin et le soir, tu te brosses les dents. Et la journée, tu peux utiliser ce bâton. Ma mère m’en ramenait toujours. Un jour je l’ai gardé dans un clip, et depuis je le garde souvent. Tout simplement.

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