Pour la rentrée, on vous a préparé une petite série de portraits de nos poulains dans le rap français : trois rappeurs et beatmakers dont on a suivi la progression fulgurante la saison passée et sur lesquels on mise pour les mois à venir. Le deuxième d’entre eux c’est schumi1, et si, parmi tous les jeunes producteurs français, c’est sur lui que l’on a choisi d’écrire, ce n’est pas pour rien. Aux manettes de certains des morceaux les plus innovants et percutants de 2019 et 2020, le beatmaker et producteur développe un style qui ne fait jamais dans la facilité, et cherche toujours à créer des écarts et des ruptures sonores.
Qui est schumi1 ?
Zuukou Mayzie, Jäde, BU$HI de Lyonzon, Marty de Lutèce… Non non, on ne vous dévoile pas notre top album, mais bien quelques uns des projets auxquels a participé schumi1 cette année 2020. Autant dire que le producteur a probablement quelque chose à voir avec la réussite de ses artistes et leur caractère audacieux. Cela est d’autant plus vrai qu’en général, quand schumi1 s’investit dans un projet, ce n’est pas à moitié : il mixe, produit, compose, et cela pour plusieurs morceaux d’un même album. Autant dire que l’artiste fait bien plus que « placer ses prods ».
C’est aux commandes de l’EP Clichétape de jäde que l’on a fait sa connaissance en 2018. On le découvrait dans un style qui allait chercher du côté du R&B et de la nu-soul mais qui pouvait pourtant parfois se mâtiner de rythmiques trap. Déjà à ce moment, on sentait une richesse dans ses instrumentales à laquelle – il faut bien l’avouer – on n’est pas toujours habitués en France. Et pourtant, loin de l’univers élégant et feutré de jäde, c’est aux côté du collectif lyonnais de Lyonzon que schumi1 continue à faire ses armes. Il y développe un goût pour les sonorités anxiogènes, entre basses profondes et sons stridents, à un moment où, aux Etats-Unis, Playboi Carti et XXXTentacion (re)popularisent la saturation dans le rap. En parallèle, toujours en région lyonnaise, il collabore avec Marty de Lutèce, sur son projet NOOB. Il délivre avec lui encore une autre facette de son talent, faite de mélancolie et de rêveries lentes, comme sur le très beau La pluie, l’été. Ses sonorités gagnent en ambition, ne suivant pas les grandes lignes attendues des beats de rap, pour oser davantage de ruptures et de prises de risques : il sort des sentiers battus.
Quelque part entre l’élégance du R&B luxuriant, le spleen lyonnais, et la folie électronique et étouffante du soundcloud rap, le producteur construit une identité singulière, et semble se fixer un objectif au fur et à mesure qu’il progresse : chacune de ses productions doit être davantage qu’une instru ; elle doit avoir une idée singulière, quelque chose qui la rend marquante ; bref, elle doit détonner.
Qu’est-ce qu’on aime chez lui ?
Et c’est ce qui nous a fasciné chez schumi1 en 2019-2020, année où sa productivité s’est intensifiée, et son identité singularisée. Ludovic Capillon refuse les productions génériques, passe-partout, ces type-beats trap qui donnent parfois aux prods de rap français des airs de riddims monotones. Chacun de ses morceaux a quelque chose qui accroche l’oreille, et déstabilise l’auditeur : une idée, une dissonance, une fêlure, un contraste. En octobre, toujours aux côtés de Marty de Lutèce, sur le morceau Comment faire, le producteur fera ainsi dialoguer une rythmique aux influences 2 step avec une mélodie intrigante, permettant au rappeur de chanter sa mélancolie sur une production up-tempo. On retrouvera le même jeu de contrastes entre la rythmique et la mélodie un mois plus tard, quand schumi1 mixera et produira en grande partie (en collaboration avec King Doudou) l’EP Poster du lyonnais, et en particulier le morceau Monday. En effet, sur cette piste, la mélancolie de la mélodie vient répondre de manière touchante à la rythmique reaggaeton, créant un de ces morceaux rares, sur lesquels on ne sait pas trop si l’on doit pleurer ou danser.
C’est cette même capacité à faire danser et rêver en même temps que l’on retrouvera sur l’un des morceaux les plus aboutis de l’année du rap français, produit par schumi1 : Vincent de Zuukou Mayzie (un des collaborateurs fréquents du beatmaker), ballade joyeusement mélancolique, planante et nocturne, qui vient rappeler les rêveries de Nujabes.
Mais on ne va pas vous passer en revue toutes les productions de l’année de schumi1, avec Jonny Vegas ou lowhp. Décrire la cohérence et la diversité qui les traversent serait aussi minutieux que périlleux : capable de passer d’une production funk et organique (Les vêtements) à une autre électronique et brutale (Milano) au sein d’un même EP (Première fois de jäde), Ludovic Capillon a montré cette année sa personnalité affirmée, qui permet paradoxalement de mettre en lumière l’univers des artistes avec qu’il collabore.
Qu’attend-on de lui cette année ?
On peut même se demander si schumi1 n’a pas la stature pour assumer un vrai travail de direction artistique, et si ce n’est pas vers et horizon qu’il pourrait se diriger lors de ses prochains projets. A la manière d’un P’ierre Bourne (avec lequel il partage le goût d’un son électronique brut et parfois chaotique), l’artiste semble aspirer à une conception globale des albums, plutôt qu’à la simple création de pistes éparses. On a ainsi pu voir cette perspective s’affirmer sur les albums de deux membres du groupe Saturn Citizen (qui fait partie de Lyonzon) parus cette année, et auxquels schumi1 a participé : BU$HI et Mussy.
Sur la première BU$HI tape, le producteur a ainsi mixé et masterisé plus de la moitié des morceaux, donnant à la mixtape une empreinte volontairement lo-fi, électrique, où une voix sous-mixée émerge d’un monde spatial et brumeux. Sur un morceau comme Beach house, schumi1 synthétise tout son savoir-faire : un sample audacieux qui donne au titre sa dimension planante (le morceau tire son nom du groupe de dream pop qu’il sample), une rythmique qui ne va pas chercher dans la facilité de la TR-808 (Ludovic Capillon est aussi batteur), et un mix étouffé et travaillé. Sur la version 1.5 de la tape, le producteur prend encore du poids, son nom se trouvant dans les crédits de la quasi-totalité des morceaux, y laissant s’exprimer son penchant pour la saturation lofi, les samples de dream pop électronique indie, et les rythmes inattendus.
Mais c’est sur le projet de Mussy que schumi1 assume le mix et le mastering de la totalité des morceaux. Il en ressort un projet aussi étouffant que rêveur, où les rythmiques s’entrecroisent sur des samples hypnotiques. C’est aussi l’un des projets où le producteur assume le plus l’influence de rythmiques issues des musiques électro. Sur le morceau Dring, mixé, masterisé et arrangé par schumi1, des rythmes déstructurés tous droits sortis des scènes électroniques les plus froides (Detroit, Berlin) viennent dialoguer avec un sample rêveur de guitare. Encore une fois, le contraste; encore une fois l’écart; encore une fois la distorsion; encore une fois la pureté du rêve et la confusion des machines. Schumi1 est venu déstructurer le rap français au moment où il en avait le plus besoin. Alors, on a hâte de l’entendre prendre les commandes de nouveaux projets cette année.