J’ai grandi dans le même quartier que le rap français. Dit-il non sans une certaine fierté cocardière. Quelque peu mensongère, aussi. Mais enfin, à défaut d’un « berceau du hip hop » bien établi et unanimement reconnu comme l’est le 1520, Sedgwick Avenue dans le West Bronx pour l’US rap, on peut toutefois aisément s’accorder à voir en Paris le lieu de naissance du MCing français. En définir un plus net, un arrondissement ou un quartier, relèverait de la prouesse historiographique – ou de la fierté cocardière et mensongère.
J’ai grandi rue Riquet, nord-est de Paris, XIXe arrondissement. Elle se poursuit jusque dans le XVIIIe, jusqu’à Marx Dormoy où j’ai fait mon collège, ainsi que Hugo TSR (« Mes premiers tags, mes premiers joints au collège Marx Dormoy », J’veux pas grandir). J’ai grandi dans le quartier de Stalingrad, à l’intersection des Xe, XVIIIe et XIXe arrondissements – à l’intersection de ce qui fut : la première boutique de fringues hip hop en Europe, celle de Dan de Ticaret à Louis Blanc, à quelques pas du lycée Colbert (RPZ), où tant de pionniers sont venus checker le propriétaire, où Booba a plus tard effectué son stage de BEP Ventes et enregistré son premier couplet avec La Cliqua ; le terrain vague de la Chapelle célébré notamment pour avoir accueilli les premières block parties à la française ainsi que l’illustre DJ Dee Nasty ; et le « Bataclan du pauvre », la Grange aux Belles, le repère des hip hop heads originelles à Colonel Fabien (#Urbanisme).
J’ai grandi à Stalingrad, dans le XVIIIe – à trente minutes de la Porte de la Chapelle de Doc Gyneco, à quinze du Barbès de la Scred et de l’Élysée Montmartre, cet écrin de premier ordre qui a reçu tant de légendes du golden age américain. Aujourd’hui, c’est l’arrondissement – pardon, la zone – des Flynt, Davodka, Lefa, Georgio, C.Sen et autres TSR Crew.
J’ai grandi à Stalingrad, dans le XIXe – à quelques stations de la Place des Fêtes d’Oxmo, à une seule du Jaurès où aurait vécu MC Jean Gab’1, sûrement pas loin d’où créchait Pit Baccardi. Aujourd’hui, c’est l’arrondissement – pardon, le ter-ter – des Jazzy Bazz, MHD, Mister You et bien entendu du trop fameux Brulux. Le peuple de Stalincrack aime à raconter que Maître Gim’s a vécu ici. Wikipédia s’en tient, nébuleusement, au XIXe. On restera sceptique, et de toute façon indifférent : Stalingrad, c’est d’abord et avant tout le fief de Fredy K d’ATK (REP – rappe en paix).
J’ai grandi à Stalingrad, dans le même quartier que le rap français. Dommage qu’il ait déménagé pour poser ses bagages un peu partout dans l’Hexagone bien avant ma naissance – cet étalage impudique de revendications rapologiques et de nationalisme des blocs aurait eu du sens.