Chroniques

[Chronique] Sur les traces d’un petit artiste local.

Dans la masse des artistes indépendants du rap français, difficile parfois de faire le tri entre les beatmakers Fruity loops, les voix saisies au micro de karaoké d’occasion et les lyrics tellement hardcores qu’elles en perdent tout impact. Alors quand on tombe sur une pépite du genre de l’album de DEF au mic, sorti en Décembre dernier, à l’esthétique travaillée, aux paroles intelligentes et au Mcing juste et équilibré, forcément ça tourne en boucle.

Débarquant du Havre, ville peinte et dépeinte par des artistes aussi divers que Claude Monet, Léo Ferré ou encore Médine, DEF revendique son identité normande en exposant les travers de cette ville, entre grisaille des murs, du ciel et de la vie et en fait l’étendard de son rap, comme un art de prolétaire ambitieux. Tout le paradoxe d’une ville neuve sans être moderne, l’album de DEF sent le boum-bap à l’ancienne, sans pour autant tomber dans l’obsession du old school. Le petit artiste local ne reste pas pour autant prostré dans sa ville ou son quartier mais sait aussi extrapoler et livre un regard incisif avec une plume qui fait mouche.

Du producteur au consommateur

Parce que DEF est indépendant, Havrais, prolétaire et fier de tout ça à la fois, il expose son statut dans le titre de son album. Si l’intro pose les thèmes et les grandes lignes de la suite, la piste suivante présente l’art, voire même l’artisanat, redéfinie par l’artiste. Les mots mon essence, le titre est évocateur et s’il « s’y retrouve plus dans l’argot que dans le latin », c’est pour mieux plier le matériau de base à sa volonté, le tout sur une boucle de piano posée par son compère Efdy, dont le rôle dépasse celui du simple assistant d’atelier. Même sur des morceaux plus personnels tels que Trois lettres (ma plume me rend unique au monde), le beatmaker et le MC semblent en parfaite osmose, à l’image des grands binômes du rap.

Si les premières pistes de l’album sonnent comme une quête d’identité à travers l’art et la création, la suite explore un peu plus le personnage, son histoire et ses aspirations. DEF, citoyen de la dernière ville communiste du pays (Vague à l’âme), refuse son destin prolétarien et tente de s’en défaire par le rap (sans le rap je ne s’rais qu’un autre, Je peins des maux) ou s’en sortir par d’autres moyens (en attendant c’est les barrettes et les skeuds que j’vends, Les pieds dans la flaque).

Le succès pas vraiment au rendez-vous vire alors à la mélancolie plus fortement sur  Les cordes, performance lyricale sur le thème de l’intitulé et ses variations. Exprimant ce sentiment complexe qu’est le spleen, le MC explore les tréfonds d’un champ lexical et convoque toute la richesse et l’ambiguïté de la langue française. En réaction, l’égotrip de Z’étes trop marrant permet de relever la tête en se réinventant (dans le rap, j’suis pas le patron mais je me suis embauché).

Mais DEF ne vire pas à la mégalomanie pour autant et reste local comme peuvent l’attester les phases p’têtre qu’on a fumé le même shit dans une même caisse ou encore j’écris pour la populace que j’connais pas non plus dans Beatmaker MC, ode old school méta-rapique ; citons aussi simplement le titre Accent franchouillard, assumant l’héritage populaire de sa condition.

Du local au global

Dans tout cela, DEF n’oublie pas de s’indigner et de nous offrir son point de vue sur le monde et ses travers toujours avec cette rage. Si on peut émettre quelques réserves sur l’anti-américanisme un peu primaire de Et maintenant ?, les réflexions se font plus intéressantes sur par exemple Controverse, faisant l’analogie entre les sentiments contradictoires qui l’anime et les travers du monde qui l’entoure (Adorer ou haïr ce monde et ces controverses ?). L’artiste-artisan met en lumière les sous-entendus et ambiguïtés du discours politique et moral de référence dans nos sociétés. Le tout agrémenté d’instrus énervées, parsemées de guitares saturées et de caisses claires aux allures de fouet.

Il nous invite alors à la pensée individuelle libre sur Libre arbitre, un thème en béton. Morceau existentialiste qui pousse à nous projeter et penser qu’ avec des si l’homme coupe des arbres et ne refait plus le monde.

Le morceau Premier abord enfonce le clou, clamant qu’au milieu de ce marasme, il est encore possible d’être bon si on le veut, en s »affranchissant des slogans imposés : c’est nous le futur ? Nan, mais c’est à nous de le faire. Comme on est plus fort ensemble, cette track est la seule à accueillir un invité, qui tombe à pic. On retrouve donc ainsi Tiers Monde (un featuring bien local lui aussi), sorti du Mont-Gaillard pour un couplet abattant préjugés et divisions à coup de haches lyricales.

En conclusion, il suffit d’évoquer la piste Vague à l’âme qui condense très bien l’état d’esprit de cet album. Entre l’étau du système et la fierté d’être indépendant, DEF au mic se livre et délivre un disque aux allures artisanales mais abouti et taillé comme le diamant. Et si la drogue et l’alcool lui [évitent] d’éclater sa tête à coups de pourquoi ?, l’écriture semble un échappatoire voire un exutoire pour ce p’tit artiste local qui fuck la télé (Accent franchouillard). Le rap devient ainsi le principal repère culturel et fait du Havre la Californie à deux heures d’Paris.

Jibé.

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À proposJibé

Amateur de snares qui claquent et de kicks qui portent, j'aime les freestyles à base de kalash et de double-time.

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