Qui parle de rap français sans évoquer Swift Guad ? Le narvalo de Croix de Chavaux aux rimes sombres et affutées n’a pas encore l’âge du Christ mais n’a pas besoin de ça pour crucifier la concurrence. Rappeur, beatmakeur, parfois réalisateur et fondateur du Narvalow Club, trois albums studios – sans oublier six excellentes mixtapes – derrière lui, le Montreuillois n’a plus rien à prouver au rap français. Son dernier album en date, L.C.D.C. (La Chute Des Corps), dans les bacs depuis septembre 2014, offrait au public une facette encore sous-estimée du rappeur : plus noir, plus triste, mêlant plus encore son rap à des refrains souvent psalmodiés ou chantés pour un album aux airs de street et de nécropole.
En parallèle de ce projet est sorti en décembre dernier une version alternative, La Chute en Musique, qui proposait les pistes instrumentales de tous les tracks de L.C.D.C., ainsi que celles du classique Narvalo et de cinq des titres les plus connus de Vice et Vertu (Assez, Grandeur et Décadence, Vautour, Expédition punitive, et 4 saisons) : une manière d’offrir pour Noël au public de profiter des superbes instrumentales de L.C.D.C. ? Une chance pour tous ceux qui l’écoutent de s’entraîner à poser leur seize sur les beats du narvalow ? Sans doute tout cela à la fois, mais ce qui est intéressant c’est de constater que les morceaux ajoutés sur cette mixtape instrumentale proviennent (à l’exception de Narvalo, donc) de Vice et Vertu, et on se laisse retomber avec plaisir dans l’ambiance incroyable de ce monument.
Je les vois d’ici se dire « Mais pour qui se prend-t-il, sortir une anthologie instrumentale de ses succès passés, du haut de sa trentaine d’années ? » Mesdames et Messieurs, nulle trace d’anthologie ici, et l’explication est accessible depuis avril dernier. S’il a ressorti les belles couleurs noires et blanches de Vice et Vertu, ce n’est que pour en annoncer la suite : nouveau son, nouveau clip, et Swift Guad annonce Vice et Vertu volume 2 dans les bacs pour septembre 2015.
Âme, stram, grammes
« J’écris au clair de la Lune à l’heure ou Pierrot prend sa cuite »
Dévoilé sur YouTube le 6 avril dernier, le premier single du projet , AmStramGram est une comptine lancinante et.. nécrosée. Reprise décalée des grands noms qui ont bercé une – ou des – génération(s) d’enfant(s), transcrite dans un univers très terre à terre sur une instru totalement planante : dans l’univers de Swift Guad, Cendrillon a délaissé ses souliers crottés pour des louboutins et Alice aux pays des horreurs s’est faite violer dans une ruelle. Quatre minute de contraste frappant durant lesquelles on se laisse bercer la voix éraillée du rappeur ruiner toute forme d’innocence possible, la remplaçant par des histoires où alcools, sexe et drogues détruisent la magie de l’enfance.
Dans la lignée directe de son évolution musicale des dernières années, un flow moins agressif pour des paroles plus sombres que jamais qui ici contrastent totalement avec la douceur et la légèreté de la prod (qu’on doit à Blixx) : le narvalo n’a rien perdu de sa plume, et sait conserver le thème avec brio tout au long du track. La vie en rose vire au gris avec Swift Guad, mais on n’en attend pas moins, et on revient à la chanson comme à une comptine
« Rapports conflictuels, on préfère chercher l’ivresse / La lapin trop pressé s’est fait serrer pour un excès de vitesse / Cadet Rousselle a trois maitresses qui n’ont ni charme ni politesse / On les voit dans des clips de rap qui manipulent des colis d’cess »
Et on ne voit pas autre chose dans celui d’AmStramGram. Aux réfractaires qui reprocheront au narvalo trop de douceur (chaque artiste a son lot de fan puriste de la dernière heure qui se refusent à écouter d’autres albums que les premiers), le clip brillamment réalisé par l’Indis les fera taire. Un Swift Guad chevelu et barbu (une première !) entouré de princesses adultes aux allures de femmes fatales, du vice dans les yeux – rouges – et de la vodka dans la main sont là pour rappeler qu’il n’a rien à prouver en terme de street cred. Le vice omniprésent dans ce morceau est chèrement défendu et représenté par le narvalo, rappant tantôt seul dans l’ombre, tantôt harponné en pleine lumière par ces princesses des temps modernes, leur vulgarité voulue et leur vice inhérent. Un clair-obscur tant visuel que musical, pour un résultat brillant et… stupéfiant.