« Même un minable peut dépasser le niveau de l’élite en faisant énormément d’efforts… » (Goku, Dragon Ball).
Suivant son chemin comme il l’entend depuis des années, ce « petit bonhomme » venu de Sète serait-il en train de devenir un « Grand » du rap ? En bon artisan du bic qui se respecte, Rachid Daif alias Demi Portion n’en avait pas fini avec ses histoires et a donc pris le temps qu’il fallait pour dévoiler sa dernière création, produit entièrement par ses soins. Ce troisième album qui devait s’appeler logiquement Les histoires 2, a finalement pris le titre de Dragon Rash, écho aux références tirées de l’univers des mangas parsemant l’album. Le résultat ? Un projet sérieux par un artiste accompli offrant au rap la possibilité de grandir encore un peu plus.
« La rage d’Aimé Césaire… entrainement DBZ ! »
Bel art moderne que cette musique germant l’esprit libre et la main autour d’un crayon : « A l’heure où tout le monde essaie de marcher sur les autres, on y est, on essaie de se prendre la tête sur cahier, ça fait de nous des Supers-guerriers ! ». L’introduction sur le titre éponyme de l’album affiche la couleur de ce dernier, morceau sur lequel les amateurs de Dragon Ball Z auront surement « reconnu le Tapion » et les notes de son instrument de prédilection. L’esprit de Dragon Rash illustré ici en moins de 4 minutes : réfléchi, incisif et flottant sur les souvenirs d’enfance à l’image d’une pochette qui rappellera cette part de nostalgie qui sommeille en chacun. Pour le reste, Rachid Daif a depuis quelques années maintenant délaissé l’épée de l’ami Trunk pour prendre son envol avec une plume dirigée en direction d’une société qui semble attendre son heure avant d’imploser « à l’heure où l’argent facile arrive plus vite qu’une pizza ! » (Demi Parrain). Musicalement, le constat offre un mélange singulier sur des productions souvent réussies, « la rage d’Aimé Césaire, entrainement DBZ » comme le résume l’artisan sétois.
« L’habit ne fait pas le moine, et la parole plus l’homme, derrière une marionnette se trouve un ventriloque »
Côté texte, les rimes incisives s’enchaînent avec la même efficacité, même lorsque l’aisance du MC laisse place aux interrogations sur le titre Est-ce que ? : « Est-ce qu’on partage avec toi ? Est-ce qu’on peut crier victoire ? Est-ce qu’on touchera les étoiles ? Est-ce que tu rêves d’après toi ? ». Des questions banales pour certaines, cruciales pour d’autres, sans réponse dans leur majorité. Avec Dragon Rash, Demi-Portion n’entend pas jouer aux marionnettes, pour laisser librement s’exprimer le « ventriloque », seul, honnête et sans voix pour le guider. Car l’enfant devenu adulte s’ouvre sur le monde, élargissant son regard pour nourrir sa vision critique et, dans le même élan d’émancipation, ses doutes et ses peurs. Cet album est l’un de ces récits évoquant une innocence perdue depuis longtemps et illustrée avec force, simplicité et réussite ! « J’ai peur et j’ai le droit, de toute manière ça m’occupe ! », avoue Demi Portion sur Peur, l’une des perles de ce nouvel opus, long couplet, sans refrain ni coupure dont l’écriture soignée fera oublier la syntaxe moins appliquée sur Parti de rien ou Dernier chevalier.
Ce troisième album de Demi-Portion ne manque donc assurément pas d’atouts pour trouver son public, atouts renforcés par la présence d’invités bien intégrés au projet pour en assurer la solidité. En particulier sur la version remixé du concept Mon dico où Demi Portion partage à nouveau la plume avec son acolyte Sprinter, mais également Disiz, Swift Guad, Aketo, Mokless, Koma, REDK et bien d’autres. Et si Saïd Tagmahoui ne fait, quant à lui, qu’une apparition sur le clip Demi Parrain, tourné au Maroc, d’autres ont aussi prêté leurs voix aux côtés du maître d’oeuvre : Jeff le Nerf, Blata, Maestro Omayela sur Babylone, la conclusion de l’album et un autre lyriciste de marque en la personne d’Oxmo Puccino ! Une connexion qui se révèle plutôt harmonieuse sur le titre Une chaise pour deux, un autre morceau incontournable de cet album qui risque de faire encore parler de lui une fois l’hiver passé. Car en cette fin janvier, la sortie de Dragon Rash éclabousse audacieusement l’assurance des artistes soutenus par les plus grands « commerciaux en musique », avec pour force originelle : l’espoir de maintenir le rap au coeur d’un courant d’expression libertaire dans lequel certains MCs osent se baigner encore aujourd’hui.