Tu peux nous raconter d’où vient le mec derrière l’hippocampe ?
La légende veut que je sois le fils de Poséidon et que j’aie grandi sous la mer. C’est la version officielle, celle que je donne en interview d’habitude. Mais en vrai, je suis juste un passionné de cinéma qui a suivi un parcours classique.
Tu aimes le cinéma depuis tout petit ?
Oui, c’était ma vraie première passion. La musique est venue plus tard. Je le précise parce que mon père est musicien et qu’on pense que ça vient naturellement. Mais non, j’étais à fond dans le ciné.
Donc tu arrives à la musique plus tard.
Exactement. Quand j’ai commencé mes études de ciné en fait. J’ai découvert le rap via Ghost Dog de Jim Jarmusch et ça a été un déclic. Dans ce film, il place la culture des films de mafieux, celle des samouraïs et le hip-hop au même niveau. Ça m’a tout de suite intrigué. Je retrouvais quelque chose dans les rythmiques et je me suis rendu compte que j’aimais vraiment ça.
C’est plutôt rare de voir un rappeur venir au rap tard. Généralement, ça prend à l’enfance ou l’adolescence puis on s’ouvre à d’autres cultures après.
J’aime le rap depuis longtemps mais je ne vais pas m’inventer une vie, le rap n’a jamais été pour moi une porte de sortie ou une manière d’extérioriser des frustrations.
C’était bien l’idée de ma question, c’est peut-être le signe d’un changement d’époque.
J’ai commencé à écrire et à m’intéresser au rap quand TTC, La Caution etc. ont commencés à sortir. Ça n’a rien à voir avec eux mais c’était le début d’un courant alternatif. Il y avait aussi Java, d’ailleurs. Donc pour moi, c’était déjà possible et envisageable de faire du rap qui parle de tout et n’importe quoi.
On pouvait déjà sortir de l’étiquette quartier si on fouillait un peu.
Voilà, tu pouvais t’éloigner des codes. Après, il y a eu l’essor de ce gangsta-rap au cours des années 2000 qui ne me parlait pas du tout. C’était trop froid, même au niveau des productions. On dirait l’ancêtre de la trap mais sans ce côté bounce qu’il peut y avoir maintenant.
C’est étrange parce que le rap racailleux des années 2000, hormis quelques albums, est rejeté presqu’en bloc maintenant alors qu’il a vraiment phagocyté le mouvement à une époque.
C’est vrai. Mais je respecte tous les artistes et tous les genres musicaux. Pourquoi on pourrait faire du rap un peu étrange et marrant et pas du gangsta rap ? Mais c’est vrai qu’on ne voyait que ça à une époque et c’est vraiment resté ancré dans l’opinion publique.
Puisqu’on parle des années 2000, je crois savoir que tu es venu au rap par le slam.
Oui, mes premiers textes étaient des a cappella dans des soirées slams. Je me testais et je faisais des flows déjà rapides. C’est un bon galop d’essai parce que tu vois tout de suite ce qui marche ou non. Je refais des soirées slams maintenant et ça me met une pression que je n’avais pas avant. Je fonctionne par période. Parfois je bosse le fond : j’ai besoin de défendre mon univers et de développer mon discours. Puis après tu vas te prendre une claque d’un rappeur et tu vas te rappeler que le flow est à la base du genre. Donc tu vas partir sur des textes à flow très technique. Le but, c’est d’arriver à allier le fond et la forme.
C’est une émulation perpétuelle.
C’est ça. Je sais que j’ai progressé, je commence à avoir une bonne synthèse des deux. En live, il y a des moments où je suis dans la technique pure et les gens crient. Ils apprécient l’exercice comme un batteur qui ferait un solo. C’est jouissif comme sensation. Sur mes nouveaux aqua-shows, je veux faire la même chose mais en offrant plus de thèmes et des morceaux plus calmes par moment.
L’avantage d’un texte très technique, c’est qu’il nécessite plusieurs écoutes pour l’appréhender correctement.
Oui mais pour faire ce genre de textes, il faut bien sélectionner ses syllabes. Certaines sont bannies tout simplement parce qu’elles sont très dures à prononcer rapidement. Alors tu choisis des consonnes faciles à enchainer et forcément tu ne peux plus dire ce que tu veux. Tu es tributaire de l’enchaînement des sonorités.
Tout en gardant une certaine musicalité quand même. C’est Orelsan qui disait que « si t’as du flow et pas d’paroles, tu seras jamais plus fort que Scatman ».
A l’heure actuelle, des gars comme lui et Stromae sont vraiment au-dessus du lot. Ils ont réussi à aller au-delà du rap sans faire dans le niais. Il y a quelque temps, j’avais envie d’aller voir Orelsan et de lui dire « t’as vu, j’arrive à rapper super vite et en plus j’ai des paroles. » Mais c’est pas mal aussi de faire des textes sans prouesse technique, juste pour le texte. C’est là où Orel est fort, il n’y a pas d’esbroufe chez lui. Il ne se cache pas derrière sa technique.