Tu viens de sortir de la soirée de chez ton/ta pote ou de ton bar préféré, il est 2h du mat’, tu as loupé le dernier métro, et tu as environ un quart d’heure de marche pour rentrer chez toi ? Pas de panique, on a pensé à toi : on t’a concocté un petit Top 5 des meilleurs albums de rap français à écouter la nuit pas piqué des hannetons. Tu nous en diras des nouvelles.
5) Conçu pour durer de La Cliqua
Le contexte : La Cliqua, c’est un collectif composé de La Squadra (Daddy Lord C et Rocca), de Coup d’État Phonique (Kohndo, Egosyst, Raphaël et Lumumba), ainsi que de trois producteurs, Chimiste, Jelahee et JR Ewing. Et comme souvent avec les gros collectifs (Mafia K’1 Fry, L’Entourage), faire de la musique à plus de dix personnes, ça ne survit pas à plus de deux albums. C’est ce qui s’est passé avec La Cliqua : après Conçu pour durer (1995) et La Cliqua (1999), le collectif s’est dissout, et plusieurs de ses membres sont partis en solo, avec succès (Rocca, Kohndo, Daddy Lord C). Reste qu’en à peine deux albums, La Cliqua a marqué le rap français au fer rouge. Notamment grâce à Conçu pour durer : avec ses prods old-school pleines de samples de soul et de jazz et ses rythmiques boom-bap, couplées aux textes remplis d’allitérations et d’assonances de Daddy Lord C et autres Kohndo, cet EP de sept titres symbolise parfaitement cet âge d’or du rap méga technique parisien du milieu des années 90. Et depuis que l’on a appris que Booba aurait pu faire partie du collectif, le groupe est devenu encore plus légendaire. Et oui, on peut avoir une cover dégueulasse et quand même faire devenir un classique absolu du rap.
Pourquoi il faut l’écouter la nuit : Si t’es un ancien ; parce que la nuit la ville devient parfois une jungle où l’on doit user de la parole “comme une sarbacane” pour éviter d’être “tué dans la rue pour un oui pour un non” ; pour les refrains de Dans ma tête et Toujours plus haut ; parce que Kohndo n’a que 18 ans à l’époque comme il l’a récemment révélé dans un podcast de nos confrères de l’Abcdr du Son, et que c’est quand même très fort d’écrire des textes pareils en étant si jeune ; pour le charisme de Daddy Lord C ; pour les paroles en espagnol de Rocca ; parce que ça fait ultra plaisir de réentendre des scratchs en 2020 ; et parce que l’EP dure exactement 29 minutes, ce qui est parfait pour rentrer chez soi en ayant écouté ce petit chef-d’œuvre en entier.
4) Goldman de Jean Jass
Le contexte : Après quelques apparitions remarquées chez Grünt et aux côtés de Lomepal et Caballero (déjà), Jean Jass se lance dans l’élaboration d’un premier projet solo. En découle un EP de huit titres qui synthétise toute la première partie de la carrière du Jean jusqu’au Jass : des rimes super techniques, un flow nonchalant, des jeux de mots un peu trop présents mais souvent bien trouvés (“je frime mais je vais cesser, je suis comme la meilleure table : dans le fond, je suis réservé”), une certaine mélancolie, une sincérité déconcertante et rafraîchissante à une époque où le rap est encore assez complexé (merci les Belges pour ça), et une certaine auto-dérision que l’on peut aujourd’hui voir comme une sorte de prélude à ce que va devenir son duo avec Caballero sur les Double Hélice. Le tout, sur des prods aux influences jazz et soul et des rythmiques boom-bap (mais pas uniquement), composées avec de vrais instruments, ce qui donne un côté intemporel à l’EP. Un bien bel objet, en somme.
Pourquoi il faut l’écouter la nuit : Parce que l’intro donne l’impression que l’on va assister un spectacle de cabaret dans les années 20 avec Jass en guise d’animateur fantasque, avec tout l’alcool et la fumée qui découle de cet imaginaire ; parce le story-telling de NPQ peut faire office d’épisode de série auditive, ce qui est plutôt efficace pour faire passer le temps plus vite ; parce que si vous avez fumé autre chose que des cigarettes, Pas ton problème et Vivre autrement peuvent vous faire partir très loin ; parce que son couplet sur Pippo Inzaghi est incroyable ; et parce que le dernier morceau de l’EP, Un truc, avec sa prod, la sincérité et l’émotion du texte de Jass peuvent vous faire monter les larmes. Le tout, pour 32 minutes de pur kif.
3) Nuit de Jazzy Bazz
Le contexte : Après un EP Sur les routes du 3.14 sorti en 2012 puis son premier album P-town sorti en 2016, Jazzy Bazz est de retour dans les bacs le 7 décembre 2019 avec Nuit. Dans ce nouvel album de douze titres, le membre de L’entourage sort de sa zone de confort : après deux premiers projets plutôt classiques dans les prods (à quelques rares exceptions près), Ivan Bruno-Arbiser de son vrai nom prend des risques en s’attaquant à des instrus aux rythmiques plus trap, ou tout du moins plus actuelles. Malgré tout, il continue de travailler avec son équipe de toujours de Grandeville. En ressort un son hybride oscillant entre ses influences jazz et boom-bap et le son trap d’aujourd’hui, entre tradition et modernité, qui lui sied à merveille. Et avec ses titres courts et ses prods qui changent plusieurs fois dans le même morceau, Nuit apparaît même comme un album super moderne. À noter qu’alors qu’il se la jouait plutôt solitaire sur le premier album, il fait croquer pas mal de ses potes sur ce second LP : Nekfeu, Alpha Wann, Bonnie Banane, Esso Luxueux…
Pourquoi il faut l’écouter la nuit : Parce que tout est dit dans le titre : l’album raconte une Nuit du Crépuscule à 5h du matin ; pour le couplet de Nekfeu sur Éternité qui peut te mettre en transe tellement c’est technique ; parce que si tu as dragué une meuf ou un mec toute la soirée sans finir avec elle ou lui à la fin, tu te reconnaîtras direct dans cet hymne à la friendzone qu’est Leticia ; parce qu’un couplet d’Esso Luxueux c’est tellement rare que ça se savoure comme un bon wisky ; parce que tous les insomniaques se reconnaîtront dans les paroles d’Alpha quand il dit “trois jours sans mi-dor : piquer du nez comme avion sans pilote” dans le titre Insomnie ; parce que Parfum, ça peut potentiellement rappeler des souvenirs et faire chialer chacun d’entre nous ; parce que malgré ses douze morceaux, ça reste assez court (quarante minutes) et ça change tellement d’ambiance qu’on n’a pas le temps de s’ennuyer.
2) Une nuit avec un bon gamin de Loveni
Le contexte : Après avoir fait quelques brèves apparitions à la fin des années 2010 aux côtés de 1995 (à l’époque où le groupe s’appelait encore P.O.S.), Loveni s’éloigne de Paris Sud et part traîner dans les bars de l’est de Paris, où il rencontre le rappeur Ichon et le beatmaker Myth Syzer. Les trois s’associent et forment le groupe Bon Gamin. Les années passent, et Ichon commence à lancer sa carrière solo, tout comme Myth Syzer. Loveni, de son côté, se contente de les accompagner sur leurs projets. Il faudra attendre l’année 2019 pour le voir enfin sortir un premier projet solo : ce sera Une nuit avec un bon gamin, un EP de huit titres sur lequel il invite tous ses potes pour participer à la fête (Ichon, Myth Syzer, Bonnie Banane, le trop rare Jeune LC…). Comme son gars Jazzy Bazz (qu’il dédicaçait il y a quelques années dans le titre Louper), les prods que Loveni choisit mélange samples de soul et de jazz dans la plus pure tradition du rap old school, associés à des rythmiques trap plus actuelles (même si avec Myth Syzer aux manettes, les instrus sonnent plus modernes que chez Jazzy Bazz). Plutôt friand des textes super techniques et des rimes multi-syllabiques par le passé (comme la plupart des rappeurs qui gravitaient autour de L’Entourage), Loveni a su épurer son rap pour laisser plus de respirations, et donner plus de musicalité et d’émotion à ses textes. Résultat ? Des lyrics qui peuvent parfois apparaître simples (voire simplistes), mais qui ont finalement plus de sens, et dont la saveur se révèle après plusieurs écoutes. Comme il le dit lui-même : “j’prends de l’âge, j’me bonifie comme le vin”.
Pourquoi il faut l’écouter la nuit : Comme pour Jazzy Bazz, le titre est plutôt équivoque : sur cet EP, on passe une nuit typique dans la vie de Loveni, qui commence À l’arrière du Uber, et qui finit par Relance, un hymne à cette dernière chanson en fin de soirée que l’on met avant que tout le monde commence à rentrer chez soi ; parce que les fêtards noctambules se reconnaîtront forcément dans le refrain de Soleil : “ça fait deux semaines que j’ai pas vu le soleil” ; ils se reconnaîtront également dans les paroles de Une dernière fois, chanson qui raconte cette envie de s’extirper de ce cercle vicieux qui pousse à sortir tous les soirs pour faire la fête afin de revenir à une vie un peu plus saine et normale ; parce que là aussi, ça dure que 29 minutes, et que c’est assez court pour ne pas devenir chiant.
1) Adios Bahamas de Népal
Le contexte : Après s’être fait connaître à travers des freestyles avec la 75e session au début des années 2010, Népal, rappeur au visage caché, sort deux mixtapes (La folie des glandeurs 1 et 2) avec son acolyte de toujours Doum’s, sous le nom de groupe 2fingz. Ensuite, en 2014, celui qui est également beatmaker sous le nom de KLM dévoile son premier EP solo, 16x16. Deux ans plus tard, il est de retour avec un double EP nommé 444 nuits, tiré à seulement 444 exemplaires. La même année, le grand public le découvre avec son couplet incroyable sur le titre Esquimaux aux côtés de Nekfeu. Puis il sort les EP 445 nuits en 2017, et KKSHINSENSE8 l’année suivante. En début d’année dernière, celui qui n’a jamais accordé d’interview annonce son premier album, Adios Bahamas. Le 9 novembre 2019, on apprend que Népal est décédé, mais que son album sortira quand même début 2020.
Pourquoi il faut l’écouter la nuit : Parce qu’après avoir écouté des gros sons pour faire la fête toute la soirée, entendre la voix calme de Népal sur des prods super chill, ça fait un bien fou ; parce qu’avec son ambiance planante, l’album peut agir comme une sorte de berceuse qui permet d’apaiser son esprit avant d’aller dormir ; parce que malgré ses douze tracks, l’album ne dure que 38 minutes ; parce que l’écouter tout en sachant qu’il est mort, ça procure forcément une certaine émotion ; parce que les petites leçons qu’il tire de la vie peuvent être des leitmotiv pour ta journée du lendemain ; parce que tu auras peut-être passé toute ta soirée à essayer d’esquiver un connard frustré, qui ne te parlait que de faire de l’argent avec son entreprise de merde au détriment de tout le reste, et qu’entendre “faut pas oublier la magie qu’il y a dans nos iris” et “la drogue c’est ce qui fait que des gens biens se reposent pendant que des enfoirés travaillent dur”, ça te confortera dans tes idées ; pour l’interlude à la fin du morceau Trajectoire ; pour le refrain de Vibe ; pour le couplet de 3010 ; pour ce talent incroyable qu’il avait d’inventer un nouveau flow sur chaque nouvelle prod ; et parce que c’est un putain d’album d’un putain de rappeur, tout simplement.
ZIDI: ALICE
Bonne insomnie.
J’aurais carrément rajouté « Huis clos » de Vîrus.